dimanche 31 janvier 2010

Comme de l'an 40 !

« Les idéologues moi j’m’en fous comme de l’an 40 ! Et toi, quand tu me dis un truc comme ça et ben t’es rien qu’un idéologue ! Heureusement que t’as pas les moyens de penser des trucs comme ça ! »

Il y a des soirs, de nombreux soirs, où toute certitude nous déserte ! On en ressent généralement un trouble. Ce trouble, qui confine parfois à une forme diffuse d’inquiétude, fait envisager le monde pour ce qu’il est : un lieu erratique. Il y a donc des soirs où la seule issue c’est d’aller au bar. Ne serait-ce que pour partager son trouble à soi avec d’autres victimes d’un trouble voisin... ou non. L’alcool aidant le caractère réel d’un tel voisinage deviendra de toutes manières et assez rapidement anecdotique. Donc l’un de ces soirs-là, j’étais au bar, en proie à mon trouble à moi, c’est à dire que j’étais là sans plus de certitude – outre celle que quelque part, dans des abbayes inconnues, d’anonymes et encapuchonnés bienfaiteurs de l’humanité, des héros authentiques, brassaient la bière à grands flots et dans de grands éclats de rire pour d’autres anonymes parfois moins enjoués et souvent moins habiles de leurs mains. C’est alors que le dialogue de sourds de mes deux voisins de zinc parvint à mes oreilles de manière soudainement intelligible…

« Y’a des travailleurs illégaux dans la réalité… »

« C’est bien ce que je dis, et y faut les renvoyer chez eux ! »

« Non, c’est pas ça que je dis. C’est une métaphore. Moi je dis que dans la réalité y’a des évènements qui viennent sans papier en règle, qui sont pas identifiables. Inexpliqués, quoi, et inexplicables. Mais qu’ils sont là quand même. »

« Qu’est-ce que tu racontes ? »

« J’te parle de certitudes négatives. D’une certitude à l’envers. Comme une réalité qui reste à l’état de question pour laquelle ben y’a pas de réponse. C’est comme ça et c’est bien comme ça ! »

« Quel rapport avec les étrangers ? J’croyais qu’on parlait de l’Identité Nationale ? »

« Mais il est tout pourri ton débat ! Tu comprends pas qu’il n’y a pas plus de définition du Français qu’il n’y a de définition de l’Homme ! Non. Y’en a pas. C’est pas la peine de chercher. Et c’est tant mieux parce que si y’en avait une elle serait totalitaire. On s’demande pourquoi t’as été à la fac des fois ? »

« Ouais, ben j’ai pas fait philo, moi… »

« C’est pas la question. Changes pas de sujet, c’est nul. Le propre d’un régime totalitaire c’est qu’il a une définition de l’Homme ! Et du coup, cette définition elle lui permet aussi de définir ce qui n’est pas un Homme ! Une définition de l’Homme ça sert surtout à décider de qui n’est pas un Homme ! »

« Tu pousses un peu, là, non ? »

« Non, non, non. Si tu vois mémé dans les orties c’est qui faut qu’tu changes de lunettes. Ecoute : une société démocratique c’est une société qui ne sait pas ce que c’est qu’un Homme, c’est une société qui accepte de rester dans le doute. Comme une conne. C’est pour ça qu’elle a un système d’éducation. C’est parce que personne ne sait exactement ce que c’est qu’un Homme. Tu le sais toi ? Tu vas y dire quoi à ton débat ? »

« Ben… Un Homme c’est… »

« Un Homme c’est ce qui peut devenir un Homme. Avec l’éducation, avec la vie en commun. Un animal même si tu lui apprends des trucs y deviendra jamais un Homme ! Y saura juste faire des tours pour t’amuser… »

« T’as trouvé ça tout seul… »

« Non mais ce que je veux dire c’est qu’on peut pas décider de certaines choses, c’est trop vaste. A moins d’avoir une vision globale donc totalitaire de la réalité. A moins d’être un idéologue. Et un idéologue qui a les moyens de mettre en œuvre son idéologie – avec un état, quoi – et ben ça donne un état totalitaire. Alors c’est pas le cas ici et maintenant j’suis d’accord, mais avoues que déjà poser des questions qui peuvent et qui doivent pas avoir de réponses, c’est un peu inquiétant, non ? Y’a de l’humanité de l’Homme chaque fois qu’elle est pas définie cette humanité. Chaque fois qu’elle l’est ou même qu’on essaye c’est un danger pour elle, on risque de la réduire à pas grand chose. »

« Oh, ça va. J’suis pas un idéologue, j’dis juste… »

« Les idéologues moi j’m’en fous comme de l’an 40 ! Etc. »

Pendant cette conversation finalement assez passionnante, pendant que je notais à grands traits ce qui s’y disait en substance, je pensais à Flash Gordon. A l’empereur Ming aussi. Parce que le patron passait la B.O. de Queen. Et parce que Flash Gordon se bat contre l’empereur Ming et pour toute l’espèce humaine. C’est déjà pas mal, non ? D’essayer d’être un bienfaiteur de l’humanité sans brasser de la bière c’est déjà courageux ! Peut-être que parfois Flash Gordon va au bar ? Peut-être qu’il s’y fait appeler Guy Léclair pour plus d’anonymat ? C’est un héros après tout : inutile que tout le monde sache qu’il picole à l’occasion. Et je pensais aussi à l’an 40. Qu’est-ce qui s’est passé en l’an 40 et pourquoi tout le monde s’en fout à ce point ? C’est difficile d’avoir des certitudes, non ? Mais comme ça paraît parfois grave d’en avoir alors ça n’est sûrement pas grave que ça soit aussi difficile... Bref, je me comprends.

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