samedi 27 février 2010

Video Game saves


















Les jeux olympiques d’hiver ! Le concept de transposition des olympiades antiques dans le contexte des sports d’hiver m’a toujours fasciné. Bien évidemment, le point d’orgue de cette fascination n’est autre que la discipline reine dite du biathlon : ski de fond-tir à la carabine… ou quand le sport semble fonctionner par association d’idées. Slip ? Gourmette ! Ski de fond ? Tir à la carabine ! Je galèje mais ça n’a pas l’air simple cette histoire de biathlon. Il faut skier, et plus vite que les concurrents bien sûr, tout en adoptant régulièrement – et sans « déchausser » – la fameuse position du tireur couché… Pas simple. Non. Pas simple du tout. C’est sûr. Mais bon c’est assez ridicule aussi, non ? Plus que le curling ? Moins que le short-track ? C’est difficile à dire j’en conviens. Finalement, le plus fascinant dans tout ça c’est la reconnaissance sociale qui, peu ou prou, est liée à une olympiade et à sa finalité : la médaille, de quelque métal qu’elle soit faite. Je veux dire que glisser sur la neige, même plus vite qu’un serbo-croate, et tirer sur des cibles, même plus précisément qu’un russe, ça ne change pas fondamentalement la face du monde. Néanmoins la reconnaissance symbolique de la réussite dans une activité aussi improbable demeure forte. Du coup, je me demande bien ce qu’on reproche aux jeux vidéo ? D’être inconséquents ? De pousser à la confusion entre réalité et virtualité ? Toute activité humaine n’est-elle pas d’abord un investissement en termes d’imaginaire ? Les victoires dans le monde de World of Warcraft – où certains noms de joueurs sont craints et respectés – ne sont pas moins réelles que celles qui adviennent dans le microcosme – certes médiatisé une fois tous les deux ans – du biathlon ski et carabine. Toute reconnaissance est d’abord une activité symbolique. Or nous sommes des êtres de sens (même si les tenues respectives du champion de biathlon et du geek de base n’en n’apportent pas de preuve immédiate !). Conséquemment, et quelque soit le jeu, le bonheur d’en maîtriser suffisamment les règles pour gagner est le même. Car la réussite dans le jeu a un impact sur notre quotidien, ne serait-ce que parce que cette réussite vise rien moins que le principe de plaisir cher à Freud et qui n’est rien d’autre, dans son accomplissement, que la réduction d’une tension. Des tensions provenant de la vie réelle peuvent tout à fait se trouver réduites dans l’univers du jeu. Par ailleurs le jeu comme le sport proposent un univers moral et structurant. Une « bonne » ou une « mauvaise » action y ont des conséquences immédiates quelles qu’elles soient. Et l’accès au Paradis ou à l’Enfer y est alors fort diligent. C’est tout de suite que l’on est ou non reconnu. Comme l’on peut cultiver son jardin, il est possible d’améliorer son avatar pour s’approcher d’un personnage à la hauteur de ses désirs et qui obtiendra en retour la juste reconnaissance de ses pairs. L’ordinateur, la console, ne sont jamais que des fournisseurs d’accès à ce principe psychologique et social fondamental qu’est la reconnaissance. Non, la frontière entre réel et virtuel est rarement aussi pertinente et évidente qu’on le laisse entendre. Autant qu’une fuite, l’univers vidéo-ludique peut ainsi être présenté comme une reconquête du réel. La question qui se pose alors, pour nombre de participants tout à fait méritants au jeu de la vie réelle, serait bien davantage : pourquoi n’est-il pas systématique d’obtenir une adéquation entre mérite et reconnaissance de ce mérite dans des sociétés à priori plus avancées et aux règles plus reconnues que celles de World of Warcraft ?


jeudi 25 février 2010

Les bals costumés, c'est de la merde

Oui, c’est de la merde, les bals costumés. Il faut quand même bien que quelqu’un se décide enfin à le dire, bordel.

Si. Si c’est de la merde. N’insiste pas, ordure : tu le sais très bien que c’est de la merde. Oublie ce que tu as vu dans les films : les mecs avec des costumes classe qui dansent avec des gonzesses portant de somptueuses tenues sexy dans des châteaux… oublie tout ça : les bals costumés dans la vraie vie, c’est des hommes apeurés déguisés à leur corps défendant en Pierrot qui tentent d’éviter de danser avec des boudins portant des robes en doublure criardes dans une salle des fêtes éclairée au néon. Voilà. Voilà ce que c’est un bal costumé, enculé.

Mais je m’énerve. Les bals costumés, c’est de la merde, voilà un fait avéré. Mais ce n’est pas le tout de le constater : l’honnête homme se doit encore de lutter. Mais comment lutter efficacement contre les bals costumés, me demanderiez-vous ? Tout d’abord, ça va de soi : il ne faut pas organiser de bal costumé soi-même. C’est évident. Ensuite, si vous êtes invités à un bal costumé, il ne faut pas y aller. Si un bal costumé a lieu chez vous, il faut en partir. Si, malheureusement, ça arrive, vous êtes invités à un bal costumé et que, pour diverses raisons sociales, affectives ou autres, vous ne pouvez pas refuser, alors, vous êtes perdus. Gardez courage, cependant, car diverses stratégies d’évitement s’offrent à vous.

La première, évidente, consiste à ne pas se costumer. Vous pourrez toujours prétendre que vous ne saviez pas, qu’on vous a prévenu trop tard, qu’on vous a volé votre costume de Pierrot ou qu’un clochard a vomi dessus, n’importe quoi, vous trouverez bien. Gardez à l’esprit qu’il vaut toujours mieux être non-costumé dans un bal costumé que costumé dans un bal non-costumé.

Autre stratégie : en vertu de la règle que je viens d’énoncer, un ami à moi, invité à un bal costumé où il ne pouvait refuser d’aller et dont, de surcroit, il soupçonnait qu’il puisse être, en réalité, un bal peu ou non-costumé, avait adopté l’habile stratégie suivante : il s’est habillé comme d’habitude, en civil si l’on veut, avec une chemise en dessous de laquelle il portait un t-shirt bleu électrique frappé du blason de Superman. Une fois sur les lieux, il pouvait suivant la situation soit rester tel qu’il était, soit déchirer sa chemise pour révéler le t-shirt et se retrouver ainsi déguisé en Clark Kent en train de se transformer en Superman. Habile. Mais cela vous oblige à sacrifier une chemise.

À l’inverse de ce parti pris de discrétion, certaines personnes, face à la question du bal costumé, acceptent l’absurdité de la situation et la prennent à bras le corps en optant pour le déguisement le plus grotesque possible. J’ai vu de mes yeux un homme déguisé en huitre. Le week-end dernier, un ami à moi m’a confessé s’être exhibé en public déguisé en batavia (voir photo). Notre collègue bloggueur Hrundi V. Bakshi nous affirme s’être rendu à une soirée grimé en abeille. C’est une affaire de tempérament : je comprends le raisonnement qui pousse ces gens à de telles extrémités, mais cela me semble au final un mauvais choix, le but d’un déguisement de bal costumé étant, à mon sens, d’être discret tout en conservant le plus de dignité possible au vu des circonstances.

Il reste donc comme solution, en dernier recours, de se rendre au bal costumé dans une tenue qui serait normale en un autre lieu : blouse d’infirmier, uniforme militaire, que sais-je… J’ai moi-même fini récemment par opter pour un kilt écossais (voir photo). Grotesque, j’en conviens, mais que voulez-vous : on ne va pas à un bal costumé pour s’amuser, non plus.


mercredi 24 février 2010

L’heureux élu

De la même manière que certaines phrases sonnent merveilleusement à l’oreille – « je t’aime » ou « C’est bénin » pour ne citer que ces deux là – il en existe d’autres qui résonnent tels des glas. « Alors, qu’est-ce que tu deviens ? » appartient à cette seconde catégorie.

L’autre jour je suis dans le train parce qu’on ne peut pas toujours rester chez soi. Il s’agit du train numéro 5523. C’est appréciable, c’est un multiple de sept. C’est un Corail Teoz à destination de Paris Gare de Lyon. Je me trouve dans la voiture numéro 12. C’est ma favorite. Je suis assis à la place numéro deux – un siège individuel comme je les affectionne. La voiture numéro 12 en possède un. Du bon côté et dans le bon sens. C'est-à-dire côté fenêtre et dans le sens de la marche. J’ai mes habitudes et mes petits problèmes comme tout un chacun. Pour passer le temps, j’observe machinalement mes voisins. L’un d’entre eux tout particulièrement. L’infortuné voyage côté couloir dans le sens opposé à celui de la marche du train ! Les gens sont tellement étranges parfois… Pourtant ce n’est pas cette coquetterie qui retient mon intérêt, non, disons que je suis davantage fasciné par l’optimisme qu’affiche ostensiblement mon original : qu’on en juge, le voilà qui commence ses mots croisés au stylo bille ! Quittant un instant ses mains des yeux je m’aperçois alors que, de son côté de la vie et du couloir, il me dévisage avec insistance. Je soutiens mollement son regard lorsqu’un coup de tonnerre déchire la tranquillité sourde qui régnait jusque là dans le wagon :

« Alors, qu’est-ce que tu deviens ? »

Je sais alors ce que j’aimerais devenir – une souris s’engouffrant dans le premier trou venu – mais je ne possède pas vraiment de réponse à la présente question, si toutefois le brame puissant qui vient de retentir en était bien une.

« Bertrand ! Bertrand Dupuy ! C’est moi ! Mais si, le collège Aragon à Mably, en 4ème et en 3ème ! Tu te souviens maintenant ! Tu as redoublé ta troisième et on s’est perdu de vue ! »

« Oh… Maintenant que tu en parles je me rappelle. »

Pour tout dire je me rappelle effectivement avoir redoublé ma 3ème mais les traits de l’énergumène vociférant me restent toujours inconnus.

« Et… Et toi ? Dis-je dans l’expectative la plus crasse.

« Moi ? Tu vas rire… »

Et Monsieur Dupuy de m’expliquer en long, en large et en travers comment il a dit oui à la vie ! Il s’est marié avec « Nadine-mais-si-tu-sais-bien-Nadine » et s’est trouvé une maison et un job à la con en région parisienne. De là il tente inlassablement de conquérir le monde. Dans l’immédiat il rentre chez lui. Il ne « descend » plus très souvent. Il ne comprend pas pourquoi j’habite Clermont-Ferrand. Il est vrai que je n’ai pas d’explication convaincante à lui fournir. Le bougre en profite pour m’asséner sans perdre haleine nombre de conseils pour m’en « sortir ». Il me suggère notamment de vendre, c’est le moment, les taux sont intéressants. Lui préciser que je suis locataire de mon gourbi est je le crains bien inutile car sur ces entrefaites voilà déjà que Bertrand me met dans la confidence : il connait des gens, beaucoup de gens, des gens de biens pour qui désire piscine ou jacuzzi, des gens de peu pour qui souhaiterai de surcroît ne pas trop débourser pour clapoter gentiment. Le mot « combine » est prononcé. Je plisse les yeux pour marquer le coup et j’évite d’évoquer ma peur panique de l’eau. D’après Bertrand, qui n’a décidément pas changé, l’époque est propice à qui veut « en croquer ». J’opine du chef. Qu’est-ce que j’opine quand j’y pense ! D’après lui « l’Etat c’est rien que des pédales ! » Insensiblement ma vue se met à baisser, mes paupières se font lourdes. Je me rends à l’évidence : je suis tout ballonné par l’ennui, le vrai, celui qui fait qu’on se sent vieillir en temps réel. J’exsude l’ennui par tous les pores dans un wagon surchauffé qui…

« Comment ? L’émission « Capital » ? Non, pas souvent, enfin jamais, je regarde peu la télévision ou alors plutôt… La meilleure émission de la Télé ? Mais c’est bien possible après tout, tu sais Bertrand je… »

J’enrichi notre échange de plusieurs syllabes distinctes de plusieurs secondes les unes des autres. Pendant ce temps, Bertrand se déploie tout autour de moi. Il n’est que sourires. De toutes les tailles et pour toutes les occasions. J’apprends, abasourdi, qu’il est également adjoint à la mairie de son bled, qu’il « brique-comme-on-dit » le poste de maire, qu’il n’a aucune intention de s’arrêter là, qu’il ira jusqu’au bout… Finalement et tout bien considéré par lui, il ne s’en tire pas mal. Comme ça, en tenant des jambes de ci de là. Dans l’immédiat il ne veut visiblement rien moins qu’échanger sa chemise. Seulement voilà, je suis du genre frileux. Malgré cela, Bertrand veut « qu’on se revoie, qu’on se donne des nouvelles ». Nous échangeons des coordonnées. Le train entre en gare. Il m’embrasse à grand renfort de tapes dans le dos et je le regarde, incrédule, descendre… à Nevers.

Je garde aujourd’hui encore l’intime conviction de n’avoir jamais connu de Bertrand au collège. Le train arrive à Paris. Je descends à mon tour. Par la porte opposée au côté où j’étais assis, comme d’habitude. En me disant que j’ai bien fait. Oui, j’ai bien fait de lui donner une fausse adresse.


mardi 23 février 2010

Chroniques du noble art

Le temps passe, on prend de l’âge, le ventre, jadis plat, se transforme en boule immonde… crise de la trentaine, de la trente-cinquaine, de la quarantaine etc. face à cette situation, nombreux sont les hommes — l’avez-vous remarqué ? — qui tentent de se remettre au sport. Se remettre au sport est difficile. Quand on décide de se remettre au sport, on doit d’abord oublier les humiliations des cours de gym au lycée. On subit les quolibets de ses amis et de ses parents. Toute honte bue, on pénètre pour la première fois de sa vie chez Go Sport ou chez Décathlon en n’en revenant pas se retrouver dans ce genre de magasin. Horreur : on achète des baskets ! On fait quelques tentatives maladroites, on sort timidement de son immeuble en short, le rouge aux joues, et puis on se dit que non, il n’est décidément pas de notre condition d’aller grossir les hordes de ceux qui font du jogging dans la rue. C’est alors que, si on fait partie des gens qui ont vu trop de films d’action pourris la solution apparaît : on décide de se mettre à un sport de combat.

Le problème est alors de choisir son sport de combat. Le nom de Bruce Lee vous vient tout de suite à l’esprit, mais vous vous rendez vite compte de que les sports de combat asiatiques, ça ne fait pas très sérieux. La boxe française, ça, c’est classe, mais son vrai nom (la savate) et la tenue traditionelle (sorte de combinaison moulante à jambes longues et sans manches) sont vraiment trop grotesques. Vous envisagez un temps des choses inquiétantes et exotiques telles que le Kapap-Lotar ou le Systema, mais vous vous dites qu’il ne s’agirait pas non plus d’aller prendre un mauvais coup avec des abrutis. S’impose alors comme de lui-même le sport que l’on a, avec sagesse, surnomé le Noble Art : la boxe.

La boxe : alors là, mes petits amis je vous le dit, ça rigole un peu moins. Vos amis cessent de rire pour vous regarder avec consternation, votre mère est épouvantée, vos collègues de travail vous considèrent avec l’inquiétude vaguement respectueuse que l’on réserve aux timbrés potentiellement dangereux. De retour chez Go Sport ou chez Décathlon, c’est avec un regard conquérant, en bombant le torse et en rentrant la boule immonde que l’on pose gants en cuir, bandellettes et protège-dents devant la jeune caissière (qui, bien légitimement, n’en a rien à foutre de vous, mais bon…). Enfin, un beau soir, après le travail, vous vous pointez à la salle de sport pour votre premier entraînement.

(à suivre)


Certains disent par la glace. D’autres par le feu.

C’est sûr. Pour ce que je m’y connais, moi, en réchauffement climatique. Mais tout de même, il y a d’ici quelques jours j’ai vu à la suite Le Jour d’après et 2012 de Roland Emmerich. Et bien ça donne matière à réfléchir. C’est vrai, 2012 ce n’est pas si loin, c’est demain ou le jour d’après… Mais 2012 c’est avant tout un concentré de ce que les laboratoires Emmerich savent le mieux faire : 2012 c’est une goutte de merde pure dans la grande fosse septique du cinéma. C’est amusant de surcroît de voir cette affaire de climat tomber pour l’essentiel entre les mains de mastodontes réactionnaires tels que notre ami Roland… « Chanson ! » me suis-je tout naturellement surpris à penser. Et à l’instar de la grande fosse du cinéma j’étais moi aussi bien septique. Dans les chansons de Roland, un coup on gèle, un coup on crame. L’écologie y est présentée comme l’escalier vermoulu et savonné avec largesse qui relie Charybde et Scylla. L’écologie y est un énième prétexte à vendre de la peur par l’entêtante médiation du purin et de son indéniable photogénie. Car le réchauffement climatique, finalement, quand on y pense bien – c'est-à-dire mal – ça n’est jamais qu’une apocalypse. Et une apocalypse est bien plus drôle quand elle est annoncée comme il se doit.

On sait qu’au siècle du roi Soleil, ce dernier – le soleil pas le roi – a manqué d’un peu de sa traditionnelle vigueur, déclenchant au passage ce que l’on nomme depuis une « mini ère glacière ». Ne serait-ce qu’au 20ème siècle, les journaux des années 10 ont fait leurs choux gras d’un fulgurant abaissement de la température, de ceux qui font dire à qui mieux mieux : « on a pas vu ça depuis 50 ans ! » Puis, las de prêcher la pétrification de leurs contemporains, les mêmes journalistes – du moins ceux qui n’étaient pas morts gelés 20 ans plus tôt – ont profité, le jour d’après, dans les années 40, d’une intense vague de chaleur pour alarmer les foules occidentales en agitant le spectre caniculaire d’un enfer comme Dante lui-même n’aurait pu le concevoir ! Dans les années 80, je me souviens pour ma part de la menace qu’une bonne calotte glacière faisait peser sur nos joues empourprées par l’indicible crainte d’un nouveau tsunami de froid comme on n’en avait pas connu depuis les années… 10 ! L’Occident était tétanisé à l’idée de devoir faire une croix sur la nouvelle collection printemps-été…

L’époque étant plus que jamais propice à la confusion entre information et terreur, il est probablement possible de rester dubitatif face au « syndrome du Titanic » tel qu’annoncé par le Monsieur Hulot du 21ème siècle (moins drôle reconnaissons-le que celui du 20ème). Sans être spécialiste du fait météorologique, plusieurs points doivent être considérés, me semble-t-il, avant que de ne céder aux joies millénaristes que sont, entre autres, la vie au grand air au fond d’une yourte, les toilettes sèches au fond du jardin ou le suicide collectif en toges bigarrées.

L’échelle du « temps profond » de Braudel, par exemple, qui nous invite à considérer l’apparition de phénomènes sur 1000 ans et plus, est peut-être plus judicieuse face au climat et à ses lubies que l’obsession actuelle et fort libérale pour des échelles de temps d’à peine 100 ans (une éternité pour un trader, je le conçois). Car s’il en va de même de l’économie et de la météo – deux phénomènes incontrôlables et incontrôlés – le temps de l’une ne peut pas s’appliquer à l’autre. Par ailleurs, si réchauffement il y avait bel et bien, notons que les conséquences, selon que vous habitiez à Moscou ou au cœur du Sahel, seraient bien différentes dans chaque cas et loin d’être systématiquement négatives… Disons que le prêche de la fin des temps est la vision imposée par certains pays à l’économie si ce n’est florissante du moins déterminante ! Je revoyais récemment La Ligne rouge, le très beau film de Terence Malick – cinéaste panthéiste s’il en est – qui conte la bataille de Guadalcanal. Deux images me restent en mémoire. Tout d’abord celle d’un peloton US avançant dans la terreur de l’armée japonaise et croisant un sémillant autochtone rentrant, bonhomme, de la pêche sous le regard incrédule des américains : tout le monde ne vit pas sur terre dans la même réalité. Ensuite, après, la bataille, je me souviens du soleil traversant les feuilles des arbres par des trous tantôt du fait des balles, tantôt de celui des chenilles : pour se dire que toutes transformations du milieu est imputable à l’homme encore faut-il penser que ce dernier est le maître du monde. C’est là une vision parfaitement occidentale. Autrement dit, l’Orient s’en bat probablement les nattes de notre apocalypse. Certes l’activité humaine est particulière. En effet, si l’on tient compte du fait que taille et nombre sont liés à la surface du globe, c'est-à-dire qu’il est normal sur Terre qu’il y ait plus de fourmis que de d’éléphants, alors la réussite de l’homme, animal surdéveloppé devenu « agent géologique » (chaque année, l’homme déplace plus de terre que la Terre elle-même), est démesurée. Elle se chiffre comme l’on sait en milliards d’individus alors que nous devrions n’être que quelques millions. Toutefois, le fait que des gouvernements cherchent à imposer un fait encore hypothétique – et surtout éminemment relatif – alors que l’humanité est chaque jour confrontée à la faim, aux maladies, au manque d’eau sans que des sommes suffisantes soient allouées à la résolution des ces réels problèmes, demeure parfaitement irresponsable et relève sans doute davantage du renouvellement de la tête de gondole d’un marché en quête d’un nouveau paradigme que du légitime souci de l’avenir de nos contemporains. Tout le monde est allé faire sa cuisine à Copenhague pour nous servir du réchauffé, peu sont allés à Istanbul alors que le problème de l’eau potable est extrêmement concret ! Par ailleurs, si la nature est inquiète elle n’en est pas pour autant névrosée : confondre principe de précaution et risque 0 relève pourtant de la névrose…

Enfin, et c’est le seul point sur lequel je me permets d’être formel, il est permis et même conseillé de préférer le cinéma de Terence Malick à celui de Roland Emmerich.

jeudi 11 février 2010

Faire son malin

A Denis Diderot.

Serge Daney employait parfois cette expression à propos de certaines critiques qui invoquent aujourd’hui encore, disons, Diderot, pour parler, disons, sur le film Disco (article « Le disco de la méthode » du 2 avril 2008 dans le journal Libération par exemple)… C’est facile de faire son malin. Ça ne mange pas de pain. Par exemple moi, j’ai toujours beaucoup aimé Jim Carrey. Pour plusieurs raisons. Plusieurs raisons de malin. Il représente la dernière résurgence de la tradition burlesque tombée en désuétude après Jerry Lewis. Il a participé à quelques très bons films (The Truman Show, Man on the Moon ou Eternal sunshine of the spotless mind pour ne citer qu’eux). Par ailleurs les comédies lui assurant sa popularité et son pécule sont souvent plus intéressantes que la moyenne des comédies assurant popularité et pécule à quelqu’un, et ce pour deux raisons : elles contiennent peu ou prou un aspect documentaire type « les animaux du Monde » sur l’animal Carrey et elles reposent souvent sur un concept amusant (devoir toujours dire la vérité – Liar liar – être obligé de toujours dire oui à tout – Yes man – assumer des pouvoirs divins – Mighty Bruce – j’en passe et des bien pires…). Dans ses meilleures comédies et dans leurs meilleurs moments, le corps de Jim Carrey, son visage, deviennent sous les yeux médusés du spectateur une sorte de miroir outrancier de toutes les déviances comportementales. Et tout y passe : schizophrénie (Me, myself and Irène), complexe d’infériorité et trouble obsessionnel (The Cable Guy), crétinisme (Dumb and Dumber)… De surcroît, Jim Carrey a été, avec Arnold Schwarzenegger, l’un des deux acteurs-clés qui ont permis et accueilli l’arrivée des effets numériques au cinéma, au début des années 90. Si le corps massif et proprement démesuré de Schwarzenegger a joué la carte de l’affrontement (corps réel mais incroyable du Terminator-culturiste contre corps de synthèse mais parfaitement grégaire, puisque imitant systématiquement la réalité, du T 1000 dans Terminator 2), le corps élastique de Carrey a, quant à lui, accueilli dans sa chair des effets de synthèse devenus rapidement pour lui – dès The Mask – une extension naturelle de son goût de la déformation voire de la difformité. Là encore Carrey joue le rôle d’un réceptacle. D’ailleurs les effets numériques ont fini par remplacer totalement le corps de l’acteur-caoutchouc (via la motion capture de Scooged par exemple) sans que le comédien ne perde de son expressivité, ailleurs catoonesque mais ramenant ici et dans le contexte technologique présidant à la création du film, une réelle humanité.

De quoi aimer Jim Carrey, non ? D’autant que l’ensemble des films cités ici s’articulent tous, plus ou moins, autour d’une passionnante dichotomie : réel-virtuel, vrai-faux, réalité-simulacre. Politique d’acteur probable, problématique contemporaine à coup sûr.

Bien. Bon. Tout ça c’est bien gentil, c’est bien malin mais tout ça c’est évidemment faux. C’est à dire que ce n’est pour tout ça que j’aime, au fond, Jim Carrey. J’ai fait mon malin. Parce que c’est facile et que j’avais plusieurs raisons de le faire. Non, la vérité est plus prosaïque : j’aime Jim Carrey depuis le jour où j’ai vu son personnage d’Ace Ventura, dans l’improbable Ace Ventura : when Nature calls, s’extraire à grand peine de l’anus d’un imposant rhinocéros contrefait – pour tout dire une simple cache en forme de périssodactyle –, et ce, devant toute une petite famille de touristes américains bon teint à la fois confondue et épouvantée par tant de soudaine monstruosité !

L’homme capable d’imaginer un gag aussi énorme, aussi incertain, aussi contestable, cet homme-là ne peut pas être totalement mauvais, cet homme-là pratique l’humour comme d’autres les concepts de guerre totale ou de terre brûlée.

Pourtant Jim Carrey vient de trouver son maître en matière d’humour. Et du même coup j’ai trouvé bien plus malin que moi. Pas plus tard que lundi dernier. Car, outre la grotesque rétrospective que lui consacre du 7 au 14 février une Cinémathèque Française qui n’en finit pas, elle aussi, de faire sa maline tout en étant décidément bien en peine de trouver quelqu’un à honorer, Jim Carrey a été décoré par le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, de la médaille de Chevalier de l’Ordre National des Arts et des Lettres. Ce n’est pas tant le fait d’accoler dans la même phrase Jim Carrey, ordre, arts et lettres qui est à pleurer de rire ici (jadis Super-Malraux, alias Jack Lang, avait bien récompensé jadis et par la même friandise l’hyperbolique Sylvester Stallone…) mais bien plutôt ce que le ministre a dit à l’acteur à l’instant critique, les yeux dans les yeux, et sans plus de soucis du second degré, quelques mots de malin comme on n’en fait plus, d’une drôlerie telle qu’elle rend caduque toute l’œuvre passée, présente et future du maître-grimacier Carrey. Et cette phrase définitive sur la Qulture la voici :

« Quand je vous vois, je pense à Diderot. »


jeudi 4 février 2010

Haut et court(s)

Chaque année, à Clermont-Ferrand, se déroule le Festival du Court-Métrage. Sans que je puisse rien y faire. C’est une manifestation d’ampleur internationale qui draine quelques milliers de gens dans les rues de la capitale auvergnate. Et on n’ y peut vraiment rien. C’est ainsi. C’est comme ça. C’est la vie. C’est le Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand.

Au début, je veux dire en ce qui me concerne car le festival existait bien avant que je m’y intéresse, il y a d’ici quelques années, je « faisais » – comme on dit – sérieusement le Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand. C’est à dire que je voyais entre 180 et 250 films dans la semaine. Il y avait les films certes, mais également une ambiance festive, de la bière comme s’il en pleuvait et des saucisses cuites dans la graisse d’oie avec plein d’oignons. J’étais alors un autre homme. Oui, c’est cela : j’étais visiblement quelqu’un d’autre. Peut-être comme… possédé ? Toujours est-il qu’un jour – je ne sais pas, peut-être ai-je dit ou fait quelque chose qui l’aura vexé ? – toujours est-il que le démon a décidé de quitter mon corps. Revenu à moi comme au monde je me suis aperçu de plusieurs choses : 1/ qu’une ambiance festive dans les rues d’une ville morte c’est plus qu’appréciable ; 2/ que j’aimais toujours beaucoup la bière ; 3/ que si je devais n’emporter qu’une seule chose sur une île déserte ce serait bien évidemment une saucisse cuite dans la graisse d’oie avec plein d’oignons et enfin 4/ que les films du Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand sont la plupart du temps indigents. Revoyant défiler devant mes yeux ma courte vie de festivalier à l’agonie, je me suis rendu compte que, en tout et pour tout, j’avais découvert une petite dizaine de films épatants et deux ou trois merveilles lors de mes années d’addiction les plus intenses. Et encore, l’honnêteté m’oblige à avouer que je gonfle, que je bidonne, que je truque à qui mieux mieux ces derniers chiffres et cela dans le veule espoir de ne pas passer pour un odieux grincheux réactionnaire qu’effarouche le cinéma enfin démocratique puisque pouvant être pratiqué à partir du premier téléphone portable venu et ce jusque sous sa douche ou sur ses toilettes.

Bien sûr chaque année je me jure de ne pas y remettre les pieds. Au Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand. Ou alors pas plus loin que le stand à bière comme s’il en pleuvait et à saucisses cuites dans la graisse d’oie avec plein d’oignons le plus proche de chez moi. Et bien sûr chaque année je me fais avoir. Car il y en a toujours de ces gens pour me proposer « d’y aller ensemble ». Au Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand. De ces gens on n’en manque jamais. Et souvent ce sont de mes amis. Et toujours ils aiment eux aussi la bière comme s’il en pleuvait et les saucisses cuisinées comme l’on sait. Alors je dis oui, parce c’est ainsi, parce que c’est comme ça, parce que c’est la vie et qu’à la vie on ne dit pas non. Mais quand même, cette histoire de Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand j’y vais à reculons, comme à une pendaison. Celle du cinéma très souvent. La mienne à cou sûr.

Et j’y suis allé cette année encore au Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand. Voir des sélections « Zombies ». Pour faire plaisir à des collègues qui ne sont même pas venus, et qui ont, ce faisant, ostensiblement dit non à la vie, les bienheureux. Parce qu’il était agréable d’y rencontrer fortuitement des amis devant des stands fort bien achalandés en bière et en saucisses. Parce c’est ainsi, parce que c’est comme ça, parce que c’est la vie et qu’à la vie etc. J’y suis allé parce que cette chienne de vie ne mégote jamais en période festivalière et prend mille visages pour se rire de vous et vous convaincre que le Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand « is the place to be ».

Notons que par pure charité chrétienne je passe rapidement ici sur l’inanité invraisemblable des sept films qui m’ont été infligés lors d’une première projection flageolante – « Zombies 1 » –, ainsi que sur la formidable platitude d’une seconde bordée tout aussi fébrile que la première et composée cette fois de huit amusettes dénuées du moindre intérêt – « Zombies 2 ». C’est à peine si je consentirais à faire une exception pour un sympathique film de zombies bavarois – « Plein emploi » – ayant pour principal mérite d’envisager dans toute sa complexité économique et sociale le dur métier de « tueur de zombies » (je sais : à priori ça à l’air bien mais en fait pas tant que ça, croyez-moi…).

Plus tard dans la soirée, sous une pluie de bière et dans une flaque de graisse d’oie où flottaient avec indolence quelques saucisses, songeant aux films, à l’indigence et aux liens étroits qui unissent ici les premiers avec la seconde, je compatissais en pensée à la tâche laborieuse du Jury, cette rude et âpre tâche de la remise des prix. Comment faire ? A qui le prix ? Et pourquoi ? La réponse m’est venue d’une image illustrant un prospectus qui traînait à mes pieds dans la bière et la graisse, un prospectus du Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand : le Jury, serein et bonhomme, à l’instar de nombre de festivaliers, a choisi de s’en remettre visiblement au hasard ou à la grâce de Dieu dans la plus parfaite des démocraties artistiques : il tire au sort…

mercredi 3 février 2010

Lecture : "Je m'en vais" de Jean Echenoz

Tout est affaire de point de vue. Si l’on se dit que les prix littéraires, ce sont des gens connaissant la littérature qui se réunissent pour choisir quel est, à leur yeux, le livre le plus intéressant paru lors de l’année écoulée, alors évidemment, on ne peut être que consterné par le palmarès de tous les Goncourt, Médicis et autres guignolades qui récompensent à longueur de temps des gens qui écrivent comme des pieds.

Si l’on se dit au contraire que les prix littéraires, c’est un panier de crabes où des gens du milieu éditorial, n’y connaissant pas forcément grand chose en littérature mais qui par contre se connaissent entre eux, participent à des négociations sans fin entre collègues, journalistes et éditeurs, de déjeuners en cocktails, pour se mettre d’accord pour savoir à qui on le donne cette année pour que l’an prochain on se renvoie l’ascenseur et à qui on ne le donne pas parce que ce connard m’a fait un mauvais article une fois etc. alors on ne peut être qu’agréablement surpris par le palmarès de tous les Goncourt, Médicis et autres guignolades qui récompensent miraculeusement de temps en temps des gens qui écrivent à peu près bien.

Et donc, j’ai lu Je m’en vais, roman pour lequel Jean Echenoz a obtenu le Prix Goncourt en 1999. C’est un roman qui me laisse une impression mitigée. Le style est souvent assez agaçant. Il a notamment cette manie d’ancrer l’écriture dans le réel en évoquant sans arrêt des éléments triviaux, noms de rues, de stations de métro, marques de cigarettes, de voitures, de vêtements, voire en nous infligeant des incongruités du genre : « C’était maintenant un brise-glace long de cent mètres et large de vingt : huit moteurs de locomotive couplés développant 13600 chevaux, vitesse maximum 16,20 nœuds, tirant d’eau 16,7 mètres ». On apprend en effet, dans un entretien avec l’auteur qui suit le roman dans mon édition, que Jean Echenoz se documente beaucoup avant de commencer l’écriture de ses romans. Eh bien ça se sent, il faut bien le dire. Ça sent un peu la sueur de l’auteur qui a pris plein de notes et qui a envie que ça serve un peu quand même. Certes, l’humour avec lequel tout cela est fait ne m’échappe pas, mais tout de même.

L’humour est d’ailleurs un élément important dans Je m’en vais. Un humour discret, froid, assez efficace. Mais aussi un humour assez précieux : « Par bonheur et par paliers, l’infirmière finit par se détendre ». Les zeugmas, ça fait rire les professeurs de français. C’est bien prout-prout, tout ça.

Mais cela dit, le roman est assez bon, assez bien écrit, assez bien construit. Très divertissant, très amusant quand même et avec des coups de théâtre surprenants… C’est pas mal, quoi, pour un Prix Goncourt.



Note privée : Nous apprenons encore dans l’entretien qui suit le roman une chose qui amusera notre ami et co-bloggeur Hrundi V. Bakshi : que Jean Echenoz a écrit un autre de ses romans, Les Grandes Blondes, avec, comme seul point de départ, ce titre qu’il trouvait amusant.