mercredi 5 mars 2014

Nutrition, piège à cons


Je sors de chez ma nutritionniste. J’ai une nutritionniste. Voilà bien une phrase que je n’aurais jamais pensé écrire, prononcer, penser un jour. J’ai une nutritionniste. Peu importe pourquoi, des raisons médicales sans intérêt pour autrui. Peu importe également les détails, ce qu’elle me dit en consultation peut se résumer à une seule chose : il faut manger des légumes. Comme je suis sérieux et que quitte à donner de l’argent à une nutritionniste pour avoir ses conseils, autant les suivre, je me suis mis à manger des légumes. Triste destin que le mien.

Mais tout d’abord, pour manger des légumes, il a fallu que j’identifie ce qu’une nutritionniste appelle un légume. Car avant, je considérais comme légumes à peu près exclusivement les frites, le riz, les pâtes et le poisson. Je classais pour tout dire dans les légumes tout ce qui n’était pas la viande et pouvait cependant à la rigueur se manger quand même. Il s’avère en réalité que ce qu’une nutritionniste appelle « légume » et qu’elle considère donc comme étant propre à la consommation humaine est un ensemble de végétaux que je classais jusqu’ici dans la catégorie des plantes ornementales.


J’ai donc entrepris de me repaître de ces végétaux et c’est alors que j’ai commencé à prendre conscience de l’horrible complot légumiste qui se manigance autour de nous. Et j’ai en outre compris que le maître mot, le concept à considérer quand on s’intéresse aux légumes est : mensonge.

Mensonge, mensonge, mensonge, tout n’est que mensonge dans l’univers du légume.

Mensonge du goût : les légumes n’ont jamais de goût. Jamais. Et je ne veux pas seulement dire par là que le meilleur des légumes a moins de goût que la plus insipide des viandes. C’est certes vrai, mais il y a plus grave : le légume a moins de goût que ce qu’il prétend. Fourberie du légume. Prenons la tomate, par exemple : les gens qui sont nés à la campagne ont comme une sorte de souvenir du goût de tomates qui auraient été cultivées par leur grand-père dans son jardin et qui en auraient, du goût. J’ai moi-même des souvenirs gustatifs de cet ordre. Mais je commence sérieusement à mettre en doute leur authenticité. En réalité, plutôt que d’avoir le souvenir du goût que sont sensées avoir les tomates, je pense que je n’ai en réalité qu’une sorte de sentiment confus de ce que ce goût devrait être, mais que c’est une sensation que je n’ai en réalité jamais éprouvée. En fait de tomates, je n’ai, aussi loin que je me souvienne, jamais mangé que des sphères de matière organique rouge pâle gorgée d’eau et dégageant un vague goût d’anus. Je n’ai pas souvenir d’avoir éprouvé le moindre plaisir ces trente dernières années à avoir mangé une tomate. Et encore, pour les légumes traditionnels, tomate, melon, courgette… j’ai une idée confuse du goût qu’ils sont sensés avoir, mais pour des végétaux plus exotiques, je n’ai même pas cela. Juste ce vague goût d’anus. « Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation » : Guy Debord a écrit La Société du spectacle en pensant aux légumes et les légumes n’ont plus de goût. Un bon légume est un légume mort.
 
Mensonge de la saison : « mais si elles ne sont pas bonnes, ces tomates, c’est parce que ce n’est pas la saison : il faut acheter des légumes de saison » me disent les agents de la propagande légumiste, nombreux, actifs, fanatiques. Foutaises ! Saison des tomates ! Saison des légumes ! Foutaises ! Sommes-nous au Moyen-âge ? Les légumes que l’on achète sont-ils produits par quelque paysan rougeaud en pantalon de velours côtelé qui essuie son front en sueur d’une main calleuse en s’appuyant sur sa houe alors que sonne l’angélus au clocher de l’église du village ? Voilà l’image que conjure dans mon esprit les gens qui me parlent de saison pour les légumes. Ignorent-ils que les légumes sont de nos jours fabriqués en hors-sol par l’industrie agro-alimentaire dans de vastes hangars aseptisés éclairés jour et nuit au néon ? N’ont-ils pas remarqué que les légumes n’ont jamais de goût, quelle que soit le mois de l’année et que la seule différence quand ce n’est pas la prétendue saison est qu’ils ne sont pas produits en France et qu’ils sont quatre fois plus chers ? Salauds de gens. Salauds de légumes.

Mensonge du prix : le prix des légumes ! « Les légumes, c’est bien, parce que c’est moins cher que la viande » disent-ils encore effrontément. Mais mensonges ! Quand ce n’est pas la saison, ils sont plus chers que la viande et quand c’est la saison, ils sont quatre fois plus chers que la viande. Et où acheter ces satanés légumes ? Où ? Puisque je dois désormais en acheter, j’ai dû comprendre l’organisation de ce triste commerce. Il ressort qu’il existe trois types d’endroit pour cela : les supermarchés, les marchés et les inframarchés également appelés AMAP. Les supermarchés vendent de loin les légumes les plus répugnants et insipides, des choses pâlottes et aqueuses qui passent miraculeusement de l’état « pas mur » à l’état « pourri » et qui ne sont même pas bon marché. Les marchés à l’inverse proposent à la convoitise du chaland des végétaux qui sont à la fois les moins insipides et les moins chers que l’on puisse trouver dans cette vallée de larmes : il s’agit donc là de l’option la plus valable pour qui n’a que ça à foutre d’y aller. Enfin, signalons le cas des AMAP, associations de producteurs à circuits courts et autres âneries de hippies postmodernes qui viennent rejoindre le commerce équitable et le bio dans la galerie des guignolades de notre époque : ils vendent des légumes vaguement meilleurs que chez Auchan mais moins qu’au marché du coin, mais ils le font à des prix ahurissants et conditionnent la vente de leurs produits à tout un tas de conditions, d’engagements à acheter, de clauses de retrait et autres obligations contractuelles encore plus contraignantes et malhonnêtes que celles imposées par les assureurs ou les opérateurs de téléphonie mobile. On le voit donc, non seulement acheter des légumes n’apporte aucune joie, mais il faut encore se battre comme un lion pour les acquérir. Enculés de légumes.

Mais heureusement, le Monde ne se compose pas uniquement, comme on pourrait le croire, de nutritionnistes et de leurs victimes. Il existe de-ci de-là quelques havres, quelques sanctuaires de la vie, tel ce bouchon lyonnais dans lequel, à la question de savoir quel légume ils servaient avec leur tablier de sapeur, je me suis entendu répondre avec sérénité : « ben, des quenelles ».

La lutte contre les légumes continue.