mercredi 19 septembre 2012

Le coaching, c’est de la merde



J’entreprends aujourd’hui d’écrire ce texte au titre sibyllin car je me rends compte que mes nouvelles activités professionnelles me mettent régulièrement en contact avec des gens exerçant cette étrange activité « professionnelle » que l’on nomme « coaching ». Celui qui pratique le coaching, le « coach », est une créature des ténèbres vomie par les portes de l’enfer qui prend forme humaine dans notre monde pour venir tourmenter les honnêtes travailleurs et dérober l’argent des sociétés qui les emploient. Le coach est ainsi un démon malfaisant doublé d’un parasite et doit donc être combattu avec la dernière énergie.

Afin de lutter plus efficacement contre le coaching, il importe de bien connaître les gens qui se rendent coupable de le pratiquer. Le coach est la plupart du temps une femme. La coach, donc, a environ 50 ans. Elle parvient presque à dissimuler son tempérament puissamment névrotique sous un abord affable et ostensiblement cool. Elle aime à raconter son parcours professionnel qui est généralement le suivant. La coach ne parle pas de ses études, soit qu’elle n’en ait pas fait (contrairement à vous), soit qu’elle les méprise (contrairement à vous). Elle a longtemps travaillé dans une « boîte américaine » (contrairement à vous), de préférence pour une société jouissant de quelque prestige dans certains milieux : IBM, Price Waterhouse Coopers, Xerox... Elle y avait des responsabilités importantes et devait donc travailler de 8h à 22h30 tous les jours (contrairement à vous), ce dont, feignant de le critiquer, elle est extrêmement fière. Elle a ensuite « fait sa crise de la quarantaine » ce qui l’a amenée à mettre un terme à sa lucrative carrière après avoir « négocié un chèque » pour se lancer dans une entreprise professionnelle aberrante : élevage de chèvres dans le Larzac, atelier de poterie, épicerie de commerce équitable… Contrairement à vous. Ce n’est qu’après avoir épuisé la somme d’argent obtenue lors de son départ de chez IBM et constaté qu’elle n’arrivait pas à vendre ses fromages de chèvre dégueulasses sur les marchés qu’elle a fait, contrairement à vous, un « bilan de compétences » qui l’a convaincue de se lancer dans le coaching. Car « ce qu’elle aime, finalement, c’est aider les gens ». Et maintenant, forte de son expérience et de cette brillante carrière professionnelle, la coach vient vous expliquer la vie.

Pour ce faire, la coach organise des ateliers aux intitulés aussi alléchants que « management organisationnel », « gestion du stress et assertivité » ou encore « travailler en open space ». Prenons pour exemple ce dernier atelier : la coach le propose aux gens qui avaient l’habitude d’avoir des bureaux individuels mais que leur employeur a décidé, généralement pour des raisons d’économie, d’installer en open space. Une chose est sûre pour tous les gens concernés par ce genre de situation : l’open space c’est moins bien. La coach va pourtant éviter par tous les moyens d’énoncer ce constat  évident. Elle va au contraire passer en revue les avantages réels ou supposés de l’open space, et ce, jusqu’à l’absurde (« votre bureau est plus petit, donc vous marcherez moins, donc vous gagnerez du temps et vous vous fatiguerez moins »). Elle va ensuite s’attacher à rationaliser le choix de passer à l’open space : elle va ramener la résistance au passage à l’open space à une peur du changement (« il faut aller de l’avant, ne pas avoir peur de la modernité », le présenter comme une fatalité (« c’est un signe des temps, il n’y a plus d’argent, c’est fini le bon temps ») ou encore donner dans un volontarisme délirant (« de toute façon on est obligé d’y aller, les gars, alors on y va, et on y va à fond »). Et pour finir, elle conclut la formation par des exercices de sophrologie / relaxation / développement personnel / méditation (« appelez le comme vous voulez, les mots n’ont pas d’importance : l’important, c’est que vous vous sentiez bien ») au cours desquels on se retrouve assis par terre, les yeux fermés à essayer de « visualiser sa bulle intérieure ». Non, moi non plus je ne sais pas ce que ça veut dire.

L’art délicat de la coach consiste donc, on le voit, à créer un écart entre ce qu’elle dit et les intérêts qu’elle sert. En effet, dans le cas de l’open space, elle aide les dirigeants à imposer à leurs employés des conditions de travail dégradées déshumanisantes inspirées des méthodes américaines et japonaises les plus pourries. Mais elle le fait au moyen d’un discours cool new age de hippie de merde écœurant qui fait que de critiquer ce qu’elle vient vous imposer, en l’occurrence l’open space, fait miraculeusement de vous un mec pas cool, un salaud sans cœur complice des méthodes de management moderne.

À l'instar du putois, la coach est, on le voit, une créature putride dont on ne peut s’approcher sans être soi-même souillé. Mon conseil du jour est donc, lorsque confronté à une coach, de lui fendre le crâne au moyen d’un démonte-pneu, puis de jeter son cadavre dans un fossé afin qu’il soit dévoré par des chiens errants.

Après moi, je dis ça, je dis rien, hein...




El curso de formación libre !


« Comment ça, la télévision ? »
« Oui. Elle est toujours allumée… »
« C’est vrai. D’ailleurs les images qu’elle diffuse sont incroyables ! »
« Trash T.V. »
« Comme un commentaire complètement décalé de ce qui se passe dans l’appartement… »
« Complètement. C’est ça. »
« On aurait dû y penser plus tôt… »
« C’est certain. Mais comme on ne peut pas passer à côté, on en parlera demain. »
« Oui. Demain on en parlera. »
« Une sorte d’improvisation, quoi. »
« J’allais le dire ! »

C’est un repas. C’est un repas à caractère professionnel. Je participe, à deux pas du collège où je suis employé, à une formation qui se destine aux enseignants, mes semblables, dans le cadre d’une opération appelée « Lycéens au cinéma ». Il s’agit de proposer, à des collègues de toutes les disciplines, des « outils pédagogiques », des « pistes de travail » pour aborder le film en classe. Ce film s’intitule « Fish Tank ». C’est un film anglais réalisé en 2009 par Andrea Arnold. Il décrit le quotidien agité d’une adolescente, déscolarisée et dénigrée par sa famille, qui rêve de devenir danseuse de hip-hop et va vivre sa première expérience amoureuse avec l’amant de sa mère. En dépit de tous ces handicaps, c’est un film remarquable.

« …Et vous avez sans doute noté, Mesdames et Messieurs, l’importance de la télévision à l’intérieur du dispositif filmique que déploie la cinéaste pour capter le quotidien de cette famille anglaise. »

Faible rumeur dans la salle. Un acquiescement mou se laisse un peu désirer.

 « Pas plus tard qu’hier soir, Hrundi et moi-même énumérions les différentes émissions dont nous apercevons quelques images lors des séquences se déroulant dans le salon familial ou bien encore dans la chambre de la jeune héroïne. De nombreux exemples vous viennent sans aucun doute… »

La rumeur monte, puis une voix se dégage du marécage sonore inintelligible :
 « Ben c’est sûr qu’il y a tous ces clips de rap et de hip-hop atrocement vulgaires ! Au jour d’aujourd’hui, ça n’a vraiment rien d’étonnant… »

« Rien ! C’est un bon exemple ! D’autres remarques ? »

C’est un grondement qui résonne à présent dans la salle dont plusieurs voix s’échappent presque distinctement :
« On en parlait là, avec les collègues, et c’est vrai qu’on a envie de dire qu’il y a également tous ces reportages sur les animaux des stars qui sont absolument aberrants, non ? »

« Mais absolument ! D’autres exemples ? Je suis sûr que… »

Un orage verbal éclate alors :
« Ces émissions continuelles abordant la prostitution en Russie sont formellement répugnantes!? Et si vous voulez notre avis, il est parfaitement révoltant que de telles images soient laissées à portée de regard de la jeunesse ! »

« Parfaitement d’accord ! Nous sommes parfaitement d’accord avec vous ! N’est-ce pas Hrundi ? Ne me disais-tu pas hier que tu avais de ton côté remarqué ce type tout nu avec une cagoule de catcheur mexicain qui gesticule bizarrement pendant la scène où la jeune héroïne et son beau-père se disputent ? »

« C'est-à-dire que… Je… Moui. C’est vrai qu’il y a ce type qui… Enfin, il est… Il ne porte aucun vêtement effectivement. Et alors forcément avec cette… cagoule, on ne peut pas voir son visage. Et comme il saute sur place avec… Je dirais avec frénésie… Eh bien on remarque son… Enfin, c’est vrai qu’il attire l’attention… Non ? »

« … »

« Quelle séquence, tu dis ? »

« C’est vrai ! De quelle séquence parlez-vous ? »

« Moi je n’ai rien vu de tel ! »

« Moi non plus. »

« Vous êtes formateur ? »

La rumeur a repris de plus belle, mais de manière feutrée pour ne pas dire sournoise. Tous les regards convergent vers moi. On me regarde alors qu’on se penche vers ses voisines et voisins pour leur glisser des choses à l’oreille. Des choses qui finissent par rapidement m’obséder. Certains rient sous cape. Je les vois. Pas la peine de mentir. D’autres écarquillent les yeux dans ma direction en faisant de petits gestes, à priori perfides, dont je ne saisis que mal le sens réel. D’autres, enfin, prennent silencieusement des notes sur de minuscules carnets en moleskine en me fixant épisodiquement avec de petits yeux freudiens cruels tout en dodelinant régulièrement de la tête. Les parois de la salle semblent se refermer sur moi. J’ai du mal à respirer. Je suffoque. Je me sens comme un poisson hors de l’eau, à cette différence près que je me noie sans me débattre un seul instant. Entre deux colossales perles de sueur, mes yeux brûlants se figent de stupeur : tous les stagiaires portent la cagoule noire et blanche de Rey Mysterio, mon champion préféré de Lucha Libre, ou bien ? Non, non, non. Ce n’est pas possible. Je sais bien que la popularité de celui qui se fait aussi appeler Super Mystico ou encore Super Nino est quasi-nulle dans la région de Clermont-Ferrand. Je ne me suis jamais fait d’illusion là-dessus. Je ferme les yeux. Je tente de retrouver mon souffle. Je suis en proie à une crise aigüe de paranoïa rien de plus. Pas la peine d’en faire une maladie !

« Hrundi ? Hrundi, tu es certain que… Enfin, c’est bien dans ce film… On parle de « Fish Tank », là ? N’est-ce pas ? »

« Hum… Je crois. »

En fin de journée, j’épluche les « fiches-bilans » remplies comme de coutume par les enseignants. Dans la rubrique « remarques diverses », plusieurs collègues demandent mon nom. Trois d’entre eux affirment être parents d’élèves et souhaiteraient savoir quelle matière j’enseigne et, surtout, dans quel établissement. Deux autres réclament mon numéro de téléphone tout en ayant préalablement laissé les leurs. C’est une plaisanterie. Du moins c’est ce qu’il me semble…

Il y a des soirs où l’on rentre chez soi sans trop savoir qui tourne la poignée pour lancer à la cantonade le fameux : « Hola mi Cariño ? Este soy Yo ! »






lundi 17 septembre 2012

Simetierre.


« Ah. Et c’est quoi comme marque ? »
« Doberman. J’achète toujours allemand. »
Que dire ?
« Du solide ? »
« Et du fonctionnel ! Avant l’arrivée de Cujo – oui, j’ai toujours été fan de Stephen King – nous avions été cambriolés cinq fois en deux ans ! Depuis six mois c’est le calme plat. »
Bon sang, mais que dire ??
« Efficace ! Et… il reste toujours à l’intérieur ? »
« Non. Pourquoi ? »
« Ben tu m’en a beaucoup parlé mais je ne l’ai pas vu ce soir. »
« C’est marrant ça… C’est vrai, d’habitude il est toujours dans nos pattes. Surtout pour une occasion pareille.»

C’est l’été. C’est un merveilleux soir d’été. C’est un barbecue entre collègues du collège où je suis employé. C’est une suite ininterrompue de babillages divers dans le jardin du professeur d’allemand qui nous a invités sous le sympathique prétexte de ne pas attendre la rentrée pour avoir l’occasion de tous nous revoir. 

« Cujo ! Cujo ?! »
« Laisse. Il doit s’être endormi quelque part. »
« Cujo ? Endormi ? Tu rigoles ! »
« … »
« Chéri ? Tu as vu Cujo ce soir ? »
« Ah, ça n’est pas le moment de penser au chien ! Tu es impossible avec ton clébard ! Bon, j’espère que vous avez faim : voilà les merguez ! »

« AAAAH ! » général de satisfaction lorsque le plat copieusement garni apparaît… à l’instar de Cujo, émergeant tout frétillant des broussailles.

« Oh ! Mon Dieu ! Cujo !! »
« Qu’est-ce qu’il a entre les dents ? »
« On dirait… »
« Ah ! Il le pose sur mes godasses ! Non… »
« Ouah ! C’est bien dégueu ! »
« C’est ce que je crois ? »
« Putain, c’est le chihuahua de la voisine ! »
« C’est Pollux ça ? »
« Ce qu’il en reste. »
« Pas grand-chose… »
« Je crois que je vais vomir. »
« Il est carrément dangereux votre molosse, là ? Non ? »
« Qu’est-ce qu’on fait ? »
« Comment ça ? »
« Ben avec le clebs mort, là ? Qu’est-ce qu’on fait ? »

C’est l’été. C’est un abominable soir d’été. C’est la panique entre collègues. Nous sommes blafards. Cinq convives blafards se regardent dans le crépuscule. Cinq matières sont représentées. L’éducation physique et sportive, les sciences de la vie et de la terre, l’anglais, les arts plastiques et, bien entendu, l’allemand. Un conseil pédagogique extraordinaire se met en place afin d’aborder l’épineuse question de l’aveu pourtant familière à toute personne se targuant d’éduquer son prochain. Les débats ne s’éternisent pas.

« Je ne pourrais jamais aller avouer à cette vieille dame que son chienchien adoré a été… s’est fait… n’est plus de ce monde. Du moins pas sous la forme qui lui a donné tant de joie. Elle va faire une attaque ! Pire ! Elle va exiger que je fasse piquer Cujo ! Les cambriolages vont reprendre. Et ce sera de nouveau l’enfer dans ce quartier ! »
« Vous la connaissez bien ? »
« La voisine ? Pas encore assez pour la détester. »
« Suffisamment pour la trouver sympa. »
« Bon ! Il faut agir vite ! Christelle, toi qui dépiaute des grenouilles à longueur de temps, tu dois t’y connaître en cadavres, non ? Tu vas nous nettoyer cette merde, d’ac ? »
« … »
« Hrundi ? Accompagne-là. Et arrange-toi pour laisser parler ton côté artiste : donne lui bonne mine, qu’il ait l’air d’avoir fait une crise cardiaque sous le coup d’un bonheur trop intense.»
« … »
« Sophie, décroche le téléphone et appelle la voisine : raconte-lui que tu es anglaise et complètement perdue. Tu n’as qu’à lui baragouiner que tu cherche une adresse dans le quartier : l’essentiel c’est de la tenir éloignée du jardin. »
« … »
« Georges, avec ton survêtement et tes Nike tu vas nous escalader le mur comme personne : attrape le clebs, et dépose-le dans sa niche. Elle est à gauche du cerisier, le long du mur mitoyen. »
« … »

Tous nous nous affairons autour du cadavre sanguinolent de Pollux. Tous nous nous exécutons un quart d’heure durant. Chacun fait son office. Un plan sans accrocs se déploie en silence. Un complot est en marche. C’est un mystérieux soir d’été. C’est une cabale entre collègues. Nous nous déplaçons en silence dans le crépuscule pour accomplir d’étranges rituels. Après que Christelle ait nettoyée au champoing antipelliculaire et à grande eau la fourrure un rien défraîchie de ce qui fût Pollux, je passe le tout au sèche-cheveux durant cinq bonnes minutes… C’est le plus pimpant des cadavres que nous confions aux bons soins de Georges qui, déjà, disparaît par-dessus le mur du jardin… pour revenir cinq minutes plus tard.

Et puis la vie  reprend ses droits. Nous mangeons et buvons à satiété. Certains entonnent même des airs paillards qui détonnent dans la calme sérénité nocturne retrouvée. C’est une sacrée nouba qui va et vient de part et d’autre de la table comme pour conjurer la mort si proche. Jusqu’à ce que le bruit strident de la sonnette de la porte d’entrée retentisse et vienne soudainement glacer les cœurs comme les âmes.

« Je vais… ouvrir », nous prévient notre hôte.

Alors, tous, nous nous levons pour le suivre, le soutenir, car tous nous savons qui attend à la porte d’entrée. Ca ne peut être qu’elle. Elle sait tout. Elle nous tient. Elle ne nous lâchera plus. Jamais. Les masques s’apprêtent à tomber. La honte va s’abattre sur nous. Nous voilà de retour dans nos peaux adolescentes. Nous voilà en proie à la culpabilité d’avoir été méchants et de ne pas l’avoir reconnu. Nous étions de fiers enseignants il y a si peu encore, mais voici que cinq lâches trainent maintenant des pieds à travers le salon, accablés par le poids d’une veulerie sans nom.

La porte s’ouvre. Et nos cœurs cessent de battre quelques secondes comme s’ils en avaient perdu tout simplement le goût.

« Bonsoir… »

C’est elle ! C’est bien elle bon sang de bois ! Je crois que j’avais espéré jusqu’au bout. Je crois que tous nous avions espéré jusqu’au bout que nous nous fourvoyions, que nous faisions fausse route. Mais hélas – trois fois hélas ! – il n’en est rien !

« Je… Je suis désolé de vous déranger à une heure pareille mais j’ai… Voilà, je vis toute seule chez moi comme vous le savez. Mon unique compagnie, mon seul petit bonheur c’est… Enfin c’était… Je ne sais comment vous le dire. Vous allez penser que… Bref, je me lance : mon chien Pollux est mort… »
« A ce propos… », interrompt notre hôte avant d’être lui-même interrompu.
« …il y deux jours. »
« Pardon ? »
« Il y a deux jours, j’ai trouvé mon chien mort dans le salon. Je l’ai enterré dans le jardin… Mais ce soir, lorsque je suis sorti faire quelques pas, je me suis aperçu que le trou dans lequel je l’avais mis en terre était béant ! Je ne sais pas pourquoi, je me suis précipitée en direction de sa niche et je l’y aie trouvé, si calme… Si… propre. Il était véritablement… soyeux. Il avait l’air de dormir. Paisiblement. Comme vous m’aviez dit que vous invitiez votre collègue de biologie ce soir, je me suis permise de venir demander un avis. Et si vous aviez un verre de quelque chose de fort par la même occasion, je crois que je l’accepterais de bon cœur. »
« La même chose pour moi s’il te plaît », demande Christelle qui va devoir trouver dans les plus brefs délais une sorte d’explication à ce qui semble n’être rien d’autre qu’inexplicable.

C’est la fin de l’été. C’est une surprenante fin de soirée de fin d’été. C’est une suite de mystifications qui, elle, semble ne pas avoir de fin. C’est une fin de soirée entre collègues autour d’une vielle dame, d’un peu de whisky et de quelques mensonges. Christelle réclame un deuxième verre…




dimanche 16 septembre 2012

Pour une défense des musées nuls



Comme beaucoup d’hommes, je suis chaque année contraint par ma compagne à partir en voyage dans des pays plus ou moins exotiques et pourris, au lieu de, comme je le souhaiterais, rester tranquillement chez moi, à Paris, à jouer à Diablo III en slip en buvant des bières et en écoutant des opéras de Verdi. Mais enfin bon. C’est comme ça.

J’ai quand même fixé certaines limites. Par exemple, je n’accepte de séjourner que dans des villes où il y a des Rembrandt et un orchestre symphonique. Ça limite les conneries.

Et cet été, c’est à Lisbonne que je suis allé, à mon corps défendant, traîner mes guêtres. Et à Lisbonne, comme partout ailleurs, après avoir vu les Rembrandt du Museu Calouste Gulbenkian et constaté qu’il n’y avait pas de concert l’été au Teatro Naciónal de São Carlos, s’est posée la question du musée nul.

Les musées nuls, c’est mon grand truc. Cela peut paraître paradoxal, dit comme ça, mais moi, j’aime beaucoup les musées nuls. J’en ai visité un certain nombre, de par le Monde, au gré des voyages qui m’ont été imposés : le Musée d’histoire naturelle de Moscou (nul), le Musée National d’Histoire et d’Art du Luxembourg (très nul), l’Irish Museum of Modern Art de Dublin (bouh, qu’il était nul, celui-là), le Musée Océanographique d’Ostende (le plus nul de la Galaxie, on ne peut même pas y croire), la COCOF à Bruxelles (dont j’ai déjà dit du mal dans ces pages)… mais aujourd’hui, c’est au Museu da Escola Politécnica de Lisbonne que je me suis rendu, essentiellement, disons-le bien, parce qu’il était situé juste à côté de ma résidence lisboète.

Pourquoi est-ce que j’aime les musées nuls ? Eh bien, en fait, je trouve que ce sont en général des endroits très poétiques. D’abord, le musée nul a pour avantage que vous êtes tout seul à le visiter : tout le monde sait qu’il est nul, ça se voit, il est moche, il est loin, il n’a qu’une étoile dans le Guide du routard… personne n’y va. Vous entrez, les employés dorment, ils sont étonnés de voir des visiteurs et ils vous vendent un ticket qui ne coûte rien avec un air éberlué avant de se rendormir et faire des rêves troublés par votre image. Vous pouvez alors commencer à arpenter tout à loisir les salles mal éclairées où toutes les ressources de la science muséographique sont mobilisées dans une tentative désespérée de masquer la nullité des collections. Grande poésie des musées nuls, grands moments de paix à les visiter.

Le Museu da Escola Politécnica utilise le principe du choc initial : ils n’ont qu’un truc bien, ils le mettent au début pour frapper les esprits. Ainsi, quand vous rentrez, s’offre à vos regards avides un laboratoire de chimie du XIXème siècle tout équipé avec son superbe amphithéâtre en bois qui évoque mille films fantastiques, avec loups-garous, le Docteur Jeckyll et autres joyeusetés. De plus, musée nul oblige, on a le droit de baguenauder à loisir dans l’amphithéâtre, de s’asseoir sur les bancs, de tripoter les becs de gaz, d’écrire au tableau… autant de choses qui seraient parfaitement interdites dans un musée potable où l’amphithéâtre serait sous verre, derrière des cordons.

Une fois quitté l’amphithéâtre, par contre, on se rend compte rapidement qu’on a mangé son pain blanc. L’ambiance musée nul s’impose avec puissance: minéraux inintéressants (pléonasme), fossiles en veux-tu (non) en voilà quand même, bêtes empaillées miteuses, animaux douteux dans du formol, squelettes (très) partiels de dinosaures… le tout, de plus, en très petites quantités. Car effectivement, la supériorité de l’art sur la nature proclamée par Hegel aidant, un musée des beaux-arts qui n’aurait qu’un Rembrandt serait encore merveilleux. Alors que, en écho à la profusion de la nature, un musée d’histoire naturelle ne trouve son salut que dans la profusion (comme à la Grande Galerie de l’évolution à Paris) : troupeaux de squelettes de brontosaures, milliers de bêtes empaillées, barils de bêtes mortes difformes dans des hectolitres de formol, fossiles de 3 mètres de haut, minéraux par palettes entières… mais rien de tel au Museu da Escola Politécnica, notre musée nul du jour. Non, on erre paisiblement parmi ce bric-à-brac hétéroclite, en remarquant goguenard avec les amis avec lesquels on visite (je ne visite pas les musée nuls tout seul : c’est déprimant) qu’il y a des objets équivalents à ceux exposés chez nos grand-mères respectives (à part pour les molaires de dinosaures, quand même).

Et signalons pour finir la petite touche portugaise de ce lieu sympathique et pourri : pour des raisons inconnues (l’ennui des musées nuls, c’est que les explications ne sont que dans la langue du pays que personne ne parle – ici, le portugais), ce musée dédié à la science présente également dans à peu près chaque salle, entre un fossile de trilobite et une rotule de tyrannosaure, une statue de la vierge ou de quelque saint, d’époques diverses et imprécises. Théorie de l’évolution et créationnisme agglutinés ensembles, les musées nuls ont toutes les audaces.