mercredi 19 septembre 2012

El curso de formación libre !


« Comment ça, la télévision ? »
« Oui. Elle est toujours allumée… »
« C’est vrai. D’ailleurs les images qu’elle diffuse sont incroyables ! »
« Trash T.V. »
« Comme un commentaire complètement décalé de ce qui se passe dans l’appartement… »
« Complètement. C’est ça. »
« On aurait dû y penser plus tôt… »
« C’est certain. Mais comme on ne peut pas passer à côté, on en parlera demain. »
« Oui. Demain on en parlera. »
« Une sorte d’improvisation, quoi. »
« J’allais le dire ! »

C’est un repas. C’est un repas à caractère professionnel. Je participe, à deux pas du collège où je suis employé, à une formation qui se destine aux enseignants, mes semblables, dans le cadre d’une opération appelée « Lycéens au cinéma ». Il s’agit de proposer, à des collègues de toutes les disciplines, des « outils pédagogiques », des « pistes de travail » pour aborder le film en classe. Ce film s’intitule « Fish Tank ». C’est un film anglais réalisé en 2009 par Andrea Arnold. Il décrit le quotidien agité d’une adolescente, déscolarisée et dénigrée par sa famille, qui rêve de devenir danseuse de hip-hop et va vivre sa première expérience amoureuse avec l’amant de sa mère. En dépit de tous ces handicaps, c’est un film remarquable.

« …Et vous avez sans doute noté, Mesdames et Messieurs, l’importance de la télévision à l’intérieur du dispositif filmique que déploie la cinéaste pour capter le quotidien de cette famille anglaise. »

Faible rumeur dans la salle. Un acquiescement mou se laisse un peu désirer.

 « Pas plus tard qu’hier soir, Hrundi et moi-même énumérions les différentes émissions dont nous apercevons quelques images lors des séquences se déroulant dans le salon familial ou bien encore dans la chambre de la jeune héroïne. De nombreux exemples vous viennent sans aucun doute… »

La rumeur monte, puis une voix se dégage du marécage sonore inintelligible :
 « Ben c’est sûr qu’il y a tous ces clips de rap et de hip-hop atrocement vulgaires ! Au jour d’aujourd’hui, ça n’a vraiment rien d’étonnant… »

« Rien ! C’est un bon exemple ! D’autres remarques ? »

C’est un grondement qui résonne à présent dans la salle dont plusieurs voix s’échappent presque distinctement :
« On en parlait là, avec les collègues, et c’est vrai qu’on a envie de dire qu’il y a également tous ces reportages sur les animaux des stars qui sont absolument aberrants, non ? »

« Mais absolument ! D’autres exemples ? Je suis sûr que… »

Un orage verbal éclate alors :
« Ces émissions continuelles abordant la prostitution en Russie sont formellement répugnantes!? Et si vous voulez notre avis, il est parfaitement révoltant que de telles images soient laissées à portée de regard de la jeunesse ! »

« Parfaitement d’accord ! Nous sommes parfaitement d’accord avec vous ! N’est-ce pas Hrundi ? Ne me disais-tu pas hier que tu avais de ton côté remarqué ce type tout nu avec une cagoule de catcheur mexicain qui gesticule bizarrement pendant la scène où la jeune héroïne et son beau-père se disputent ? »

« C'est-à-dire que… Je… Moui. C’est vrai qu’il y a ce type qui… Enfin, il est… Il ne porte aucun vêtement effectivement. Et alors forcément avec cette… cagoule, on ne peut pas voir son visage. Et comme il saute sur place avec… Je dirais avec frénésie… Eh bien on remarque son… Enfin, c’est vrai qu’il attire l’attention… Non ? »

« … »

« Quelle séquence, tu dis ? »

« C’est vrai ! De quelle séquence parlez-vous ? »

« Moi je n’ai rien vu de tel ! »

« Moi non plus. »

« Vous êtes formateur ? »

La rumeur a repris de plus belle, mais de manière feutrée pour ne pas dire sournoise. Tous les regards convergent vers moi. On me regarde alors qu’on se penche vers ses voisines et voisins pour leur glisser des choses à l’oreille. Des choses qui finissent par rapidement m’obséder. Certains rient sous cape. Je les vois. Pas la peine de mentir. D’autres écarquillent les yeux dans ma direction en faisant de petits gestes, à priori perfides, dont je ne saisis que mal le sens réel. D’autres, enfin, prennent silencieusement des notes sur de minuscules carnets en moleskine en me fixant épisodiquement avec de petits yeux freudiens cruels tout en dodelinant régulièrement de la tête. Les parois de la salle semblent se refermer sur moi. J’ai du mal à respirer. Je suffoque. Je me sens comme un poisson hors de l’eau, à cette différence près que je me noie sans me débattre un seul instant. Entre deux colossales perles de sueur, mes yeux brûlants se figent de stupeur : tous les stagiaires portent la cagoule noire et blanche de Rey Mysterio, mon champion préféré de Lucha Libre, ou bien ? Non, non, non. Ce n’est pas possible. Je sais bien que la popularité de celui qui se fait aussi appeler Super Mystico ou encore Super Nino est quasi-nulle dans la région de Clermont-Ferrand. Je ne me suis jamais fait d’illusion là-dessus. Je ferme les yeux. Je tente de retrouver mon souffle. Je suis en proie à une crise aigüe de paranoïa rien de plus. Pas la peine d’en faire une maladie !

« Hrundi ? Hrundi, tu es certain que… Enfin, c’est bien dans ce film… On parle de « Fish Tank », là ? N’est-ce pas ? »

« Hum… Je crois. »

En fin de journée, j’épluche les « fiches-bilans » remplies comme de coutume par les enseignants. Dans la rubrique « remarques diverses », plusieurs collègues demandent mon nom. Trois d’entre eux affirment être parents d’élèves et souhaiteraient savoir quelle matière j’enseigne et, surtout, dans quel établissement. Deux autres réclament mon numéro de téléphone tout en ayant préalablement laissé les leurs. C’est une plaisanterie. Du moins c’est ce qu’il me semble…

Il y a des soirs où l’on rentre chez soi sans trop savoir qui tourne la poignée pour lancer à la cantonade le fameux : « Hola mi Cariño ? Este soy Yo ! »






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