dimanche 16 septembre 2012

Pour une défense des musées nuls



Comme beaucoup d’hommes, je suis chaque année contraint par ma compagne à partir en voyage dans des pays plus ou moins exotiques et pourris, au lieu de, comme je le souhaiterais, rester tranquillement chez moi, à Paris, à jouer à Diablo III en slip en buvant des bières et en écoutant des opéras de Verdi. Mais enfin bon. C’est comme ça.

J’ai quand même fixé certaines limites. Par exemple, je n’accepte de séjourner que dans des villes où il y a des Rembrandt et un orchestre symphonique. Ça limite les conneries.

Et cet été, c’est à Lisbonne que je suis allé, à mon corps défendant, traîner mes guêtres. Et à Lisbonne, comme partout ailleurs, après avoir vu les Rembrandt du Museu Calouste Gulbenkian et constaté qu’il n’y avait pas de concert l’été au Teatro Naciónal de São Carlos, s’est posée la question du musée nul.

Les musées nuls, c’est mon grand truc. Cela peut paraître paradoxal, dit comme ça, mais moi, j’aime beaucoup les musées nuls. J’en ai visité un certain nombre, de par le Monde, au gré des voyages qui m’ont été imposés : le Musée d’histoire naturelle de Moscou (nul), le Musée National d’Histoire et d’Art du Luxembourg (très nul), l’Irish Museum of Modern Art de Dublin (bouh, qu’il était nul, celui-là), le Musée Océanographique d’Ostende (le plus nul de la Galaxie, on ne peut même pas y croire), la COCOF à Bruxelles (dont j’ai déjà dit du mal dans ces pages)… mais aujourd’hui, c’est au Museu da Escola Politécnica de Lisbonne que je me suis rendu, essentiellement, disons-le bien, parce qu’il était situé juste à côté de ma résidence lisboète.

Pourquoi est-ce que j’aime les musées nuls ? Eh bien, en fait, je trouve que ce sont en général des endroits très poétiques. D’abord, le musée nul a pour avantage que vous êtes tout seul à le visiter : tout le monde sait qu’il est nul, ça se voit, il est moche, il est loin, il n’a qu’une étoile dans le Guide du routard… personne n’y va. Vous entrez, les employés dorment, ils sont étonnés de voir des visiteurs et ils vous vendent un ticket qui ne coûte rien avec un air éberlué avant de se rendormir et faire des rêves troublés par votre image. Vous pouvez alors commencer à arpenter tout à loisir les salles mal éclairées où toutes les ressources de la science muséographique sont mobilisées dans une tentative désespérée de masquer la nullité des collections. Grande poésie des musées nuls, grands moments de paix à les visiter.

Le Museu da Escola Politécnica utilise le principe du choc initial : ils n’ont qu’un truc bien, ils le mettent au début pour frapper les esprits. Ainsi, quand vous rentrez, s’offre à vos regards avides un laboratoire de chimie du XIXème siècle tout équipé avec son superbe amphithéâtre en bois qui évoque mille films fantastiques, avec loups-garous, le Docteur Jeckyll et autres joyeusetés. De plus, musée nul oblige, on a le droit de baguenauder à loisir dans l’amphithéâtre, de s’asseoir sur les bancs, de tripoter les becs de gaz, d’écrire au tableau… autant de choses qui seraient parfaitement interdites dans un musée potable où l’amphithéâtre serait sous verre, derrière des cordons.

Une fois quitté l’amphithéâtre, par contre, on se rend compte rapidement qu’on a mangé son pain blanc. L’ambiance musée nul s’impose avec puissance: minéraux inintéressants (pléonasme), fossiles en veux-tu (non) en voilà quand même, bêtes empaillées miteuses, animaux douteux dans du formol, squelettes (très) partiels de dinosaures… le tout, de plus, en très petites quantités. Car effectivement, la supériorité de l’art sur la nature proclamée par Hegel aidant, un musée des beaux-arts qui n’aurait qu’un Rembrandt serait encore merveilleux. Alors que, en écho à la profusion de la nature, un musée d’histoire naturelle ne trouve son salut que dans la profusion (comme à la Grande Galerie de l’évolution à Paris) : troupeaux de squelettes de brontosaures, milliers de bêtes empaillées, barils de bêtes mortes difformes dans des hectolitres de formol, fossiles de 3 mètres de haut, minéraux par palettes entières… mais rien de tel au Museu da Escola Politécnica, notre musée nul du jour. Non, on erre paisiblement parmi ce bric-à-brac hétéroclite, en remarquant goguenard avec les amis avec lesquels on visite (je ne visite pas les musée nuls tout seul : c’est déprimant) qu’il y a des objets équivalents à ceux exposés chez nos grand-mères respectives (à part pour les molaires de dinosaures, quand même).

Et signalons pour finir la petite touche portugaise de ce lieu sympathique et pourri : pour des raisons inconnues (l’ennui des musées nuls, c’est que les explications ne sont que dans la langue du pays que personne ne parle – ici, le portugais), ce musée dédié à la science présente également dans à peu près chaque salle, entre un fossile de trilobite et une rotule de tyrannosaure, une statue de la vierge ou de quelque saint, d’époques diverses et imprécises. Théorie de l’évolution et créationnisme agglutinés ensembles, les musées nuls ont toutes les audaces.




3 commentaires:

  1. C'est vrai qu'en y repensant, le fait que ce soit de saintes figures qui indiquent le chemin en un lieu pareil tient à la fois du gag et de l'inquiétude... Voici résolues à peu de frais de vieilles et justes querelles... Ces Portugais ne s'embêtent pas en théologie qu'en cuisine décidément! Merceilleuse ville et chouette pays par ailleurs.

    RépondreSupprimer
  2. Je viens d'arriver à Lisbonne. je cherche sur internet des avis sur les musées. Je cherche ensuite des avis de gens qui trouvent tel ou tel musée "nul" et je tombe ici. Merci pour cette grosse rigolade. J'en ai les yeux qui pleurent et mal aux abdominaux.

    RépondreSupprimer
  3. Mais de rien. Tout le plaisir est pour moi. Permettez-moi de vous signaler, côté musée intéressants par contre, la Fondation Arpad Szenes-Vieira da Silva.

    RépondreSupprimer