mardi 7 juin 2011

Les belges, y sont pas comme nous...

Me voici donc en Belgique. À Bruxelles. Pour quelqu’un qui habite à Paris, qui n’aime pas voyager mais qui est obligé de voyager parce que sa régulière a la manie de voyager, Bruxelles présente bien des avantages : ce n’est pas loin, ça ne coûte pas cher d’y aller et d’y séjourner, les gens parlent la même langue que vous et on trouve facilement de la bière. Que demander de plus ? Trouverait-on une destination de voyage moins pénible ? Difficilement.

Mais ce n’est pas le tout d’y aller et de boire des bières. Une fois sur place, il faut encore se livrer à des activités à caractère culturel. M’étant renseigné sur Internet pour savoir ce qu’on pouvait bien fabriquer à Bruxelles entre deux bières, j’avais découvert avec plaisir qu’il y avait, au nord de la ville, dans une petite rue, le Musée d’art spontané.

Il se trouve en effet que je me suis pris de passion depuis quelques temps pour ce que l’on appelle l’art brut. Le concept étant flou, souvent mal compris, et se trouvant désigné par une multitude de termes différents, j’ai estimé que le Musée d’art spontané était, bien certainement, un musée d’art brut. C’est donc avec une grande confiance envers le peuple belge que je marchais d’un bon pas, hier après-midi, parmi les rues du quartier turc de Bruxelles à la recherche de cette institution.

Confiance envers le peuple belge, oui. Car c’est vrai : le belge est sympathique. Certes, il y a l’accent. C’est sûr. Certes on ne peux pas faire un pas à Bruxelles sans tomber sur une rue Tintin, un buste de Tintin, une statue de Tintin, un mausolée Tintin et ce en dépit du fait que Tintin est la bande-dessinée la plus emmerdante qui existe. Certes. Mais le belge demeure sympathique. Un pays qui nous a donné le chocolat, la bière, la carbonnade et qui sauve régulièrement l’honneur du cinéma francophone a droit à notre respect.

Le belge a pourtant ses défauts, disons-le bien. Ainsi, dans les rapports que l’on peut avoir, en tant que visiteur, avec tous les serveurs, postiers, employés de magasins et autres, on est bien frappé par leur amabilité (fascinante pour qui vit à Paris) mais aussi par leur mollesse et, avouons le, leur incompétence. Les belges sont mous et ils sont nuls. Par exemple, depuis que je suis à Bruxelles, je ne parviens que très rarement à obtenir la marque de bière que je souhaite dans les bars. Commanderais-je une Orval, je me verrais servir une Rodenbach. Commanderais-je une Rodenbach, j’aurais une Leffe. Presque à chaque fois. Ils sont cons, ces belges.
Mais vive les belges quand même, me disais-je en marchant gaillardement vers le Musée d’art spontané. J’arrive devant la porte, je rentre. C’est le bordel, là-dedans : il y a des tableaux, des sculptures aux murs, mais aussi par terre, posés contre les murs, empilés un peu partout. Une dame d’une cinquantaine d’année, aimable et molle, m’accueille. « Oui, ah ! Vous venez pour le musée, hein ? Ah oui… c’est embêtant, voyez, parce que on est entre deux expositions, là. Donc c’est un peu le bazar, là, depuis quelques semaines. Voyez, là au mur, c’est l’ancienne exposition, et puis là, par terre, dans le coin, c’est la nouvelle, et là sur la table, aussi… et puis là, dans le coin, c’est les nouvelles acquisitions qu’on a pas eu le temps de traiter, encore, avec tout ça. Là aussi, le tas derrière la porte, c’est des nouvelles acquisitions. Mais je vous ferai une réduction, hein, comme c’est le bazar ! Vous inquiétez pas. Ou plutôt, attendez, vous êtes pas allés à la Cocof, des fois ? »

La Cocof ? Non. Je n’étais pas allé à la Cocof.

« Eh, Marieke ! C’est ouvert, aujourd’hui, la Cocof ? »

« Ouais, mais faut se grouiller : y ferment dans 2 heures ! »

« Bon, alors, il faut que vous alliez à la Cocof. Ils ferment dans pas longtemps, mais c’est à deux rues d’ici, vous allez voir, c’est très bien. »

La dame me donne un prospectus pour une exposition intitulée Le beau, le brut et le naïf à la Cocof. J’apprends en le parcourant que cet acronyme absolument grotesque désigne la Commission Communautaire Française, ce qui ne m’apprend pas grand chose, à part que ça parlera français là-bas dedans, ce qui est une bonne chose (paraît qu’il y en a qui parlent flamand, par ici). Je prends congé des gens du Musée d’art spontané que je ne visiterai donc pas pour me diriger vers la Cocof.

Alors, la Cocof, ça ne plaisante pas. Grand building en verre et béton, grandes portes vitrées avec "Cocof" fièrement indiqué en lettres dépolies, hall d’entrée et une hôtesse d’accueil. Aimable et molle.

« Ah vous venez pour l’exposition ? C’est vrai ? Allez ! Ah ben alors attendez, je crois qu’il faut que vous signez un truc… ah oui, c’est ça, parce qu’on ne rentre pas ici comme ça, vous comprenez, c’est une administration… attendez, il faut signer ce registre d’entrée… mais mince, y’a plus de feuilles… attendez je crois qu’il m’en reste quelque part, ah voilà, tenez. Vous mettez votre nom, là, et vous signez. Normalement, faut mettre son numéro de carte d’identité, mais bon, on s’en fout. Là. Et puis tenez, il faut mettre ce badge "visiteur". Voilà. Alors les collection, sont réparties un peu partout dans les bureaux. Faut vous balader et puis vous allez tomber dessus. Y’en a dans tout l’immeuble, sauf au 8ème et au 1er étage. Ceux-là c’est pas la peine d’y aller, mais sinon, les autres, y’en a partout. Voilà voilà. Bonne visite. »

…et me voilà donc parti avec mon déguisement de touriste – basquets, jeans, t-shirt du film Predator et casquette militaire délavée – à travers les bureaux de la Cocof à la recherche de tableaux. Disons-le tout de suite, l’expo n’était pas terrible. Grande confusion entre l’art brut et l’art naïf. L’art brut, ce sont des gens en marge de la société – fous, mystiques, asociaux – qui produisent des œuvres inquiétantes hors des codes artistiques courants. L’art naïf, ce sont des gens comme vous et moi, mais qui par une sorte de fausse naïveté roublarde produisent des œuvres d’une niaiserie malsaine. Art naïf à la Cocof, donc. Art niais : des coiffeurs, des postiers, des avocats et des fonctionnaires qui peignent mal, comme ils s’imaginent que peignent les enfants. Agaçante exposition. Une seule œuvre, assez frappante, d’un certain De Guide, mais sinon, que de la merde.

De Guide : Afghanistan


Mais là n’était pas l’intérêt de l’opération. Le gag a consisté en ce que j’ai passé 2 heures à arpenter les locaux de la Cocof habillé en pouilleux, passant dans les couloirs, les bureaux, les salles de réunion, poussant les portes sans façon sous le regard interloqué d’hommes en costume, croisant la directrice financière au sortir de son bureau du dernier étage, la saluant courtoisement alors qu’elle se demande qui l’on peut bien être, surprenant le directeur au sortir des toilettes, lisant le courrier, les notes de services, les cartes postales des employés en vacances sur la Côte d’azur, les petits mot et les petites photos que chacun met à la porte de son bureau pour personnaliser l’endroit en affichant son amour pour son chien, pour Linux, pour Verlaine ou pour l’équipe d’Anderlecht qui a récemment remporté une victoire décisive. Une vue de l’intérieur d’une administration nébuleuse. Bien nébuleuse, en vérité, car que fabrique la Cocof ? Ayant dérobé quelques rapports qui trainaient sur certains bureaux, j’ai pu voir qu’ils s’occupaient de problèmes majeurs tels que l’alcoolisme, la santé mentale ou les SDF dont ils avaient, si l’on en croit ces documents, une vision théorique complexe et structurée.


Je suis sorti de la Cocof en me disant que quand même, ces belges ne sont pas comme nous. Je suis allé boire une bière dans un estaminet pour réfléchir tout à mon aise à cette question et écrire le présent texte. J’ai commandé une Faro. Le serveur, très aimable, m’a, au bout d’une demi-heure, apporté une Palm.