dimanche 31 janvier 2010

Comme de l'an 40 !

« Les idéologues moi j’m’en fous comme de l’an 40 ! Et toi, quand tu me dis un truc comme ça et ben t’es rien qu’un idéologue ! Heureusement que t’as pas les moyens de penser des trucs comme ça ! »

Il y a des soirs, de nombreux soirs, où toute certitude nous déserte ! On en ressent généralement un trouble. Ce trouble, qui confine parfois à une forme diffuse d’inquiétude, fait envisager le monde pour ce qu’il est : un lieu erratique. Il y a donc des soirs où la seule issue c’est d’aller au bar. Ne serait-ce que pour partager son trouble à soi avec d’autres victimes d’un trouble voisin... ou non. L’alcool aidant le caractère réel d’un tel voisinage deviendra de toutes manières et assez rapidement anecdotique. Donc l’un de ces soirs-là, j’étais au bar, en proie à mon trouble à moi, c’est à dire que j’étais là sans plus de certitude – outre celle que quelque part, dans des abbayes inconnues, d’anonymes et encapuchonnés bienfaiteurs de l’humanité, des héros authentiques, brassaient la bière à grands flots et dans de grands éclats de rire pour d’autres anonymes parfois moins enjoués et souvent moins habiles de leurs mains. C’est alors que le dialogue de sourds de mes deux voisins de zinc parvint à mes oreilles de manière soudainement intelligible…

« Y’a des travailleurs illégaux dans la réalité… »

« C’est bien ce que je dis, et y faut les renvoyer chez eux ! »

« Non, c’est pas ça que je dis. C’est une métaphore. Moi je dis que dans la réalité y’a des évènements qui viennent sans papier en règle, qui sont pas identifiables. Inexpliqués, quoi, et inexplicables. Mais qu’ils sont là quand même. »

« Qu’est-ce que tu racontes ? »

« J’te parle de certitudes négatives. D’une certitude à l’envers. Comme une réalité qui reste à l’état de question pour laquelle ben y’a pas de réponse. C’est comme ça et c’est bien comme ça ! »

« Quel rapport avec les étrangers ? J’croyais qu’on parlait de l’Identité Nationale ? »

« Mais il est tout pourri ton débat ! Tu comprends pas qu’il n’y a pas plus de définition du Français qu’il n’y a de définition de l’Homme ! Non. Y’en a pas. C’est pas la peine de chercher. Et c’est tant mieux parce que si y’en avait une elle serait totalitaire. On s’demande pourquoi t’as été à la fac des fois ? »

« Ouais, ben j’ai pas fait philo, moi… »

« C’est pas la question. Changes pas de sujet, c’est nul. Le propre d’un régime totalitaire c’est qu’il a une définition de l’Homme ! Et du coup, cette définition elle lui permet aussi de définir ce qui n’est pas un Homme ! Une définition de l’Homme ça sert surtout à décider de qui n’est pas un Homme ! »

« Tu pousses un peu, là, non ? »

« Non, non, non. Si tu vois mémé dans les orties c’est qui faut qu’tu changes de lunettes. Ecoute : une société démocratique c’est une société qui ne sait pas ce que c’est qu’un Homme, c’est une société qui accepte de rester dans le doute. Comme une conne. C’est pour ça qu’elle a un système d’éducation. C’est parce que personne ne sait exactement ce que c’est qu’un Homme. Tu le sais toi ? Tu vas y dire quoi à ton débat ? »

« Ben… Un Homme c’est… »

« Un Homme c’est ce qui peut devenir un Homme. Avec l’éducation, avec la vie en commun. Un animal même si tu lui apprends des trucs y deviendra jamais un Homme ! Y saura juste faire des tours pour t’amuser… »

« T’as trouvé ça tout seul… »

« Non mais ce que je veux dire c’est qu’on peut pas décider de certaines choses, c’est trop vaste. A moins d’avoir une vision globale donc totalitaire de la réalité. A moins d’être un idéologue. Et un idéologue qui a les moyens de mettre en œuvre son idéologie – avec un état, quoi – et ben ça donne un état totalitaire. Alors c’est pas le cas ici et maintenant j’suis d’accord, mais avoues que déjà poser des questions qui peuvent et qui doivent pas avoir de réponses, c’est un peu inquiétant, non ? Y’a de l’humanité de l’Homme chaque fois qu’elle est pas définie cette humanité. Chaque fois qu’elle l’est ou même qu’on essaye c’est un danger pour elle, on risque de la réduire à pas grand chose. »

« Oh, ça va. J’suis pas un idéologue, j’dis juste… »

« Les idéologues moi j’m’en fous comme de l’an 40 ! Etc. »

Pendant cette conversation finalement assez passionnante, pendant que je notais à grands traits ce qui s’y disait en substance, je pensais à Flash Gordon. A l’empereur Ming aussi. Parce que le patron passait la B.O. de Queen. Et parce que Flash Gordon se bat contre l’empereur Ming et pour toute l’espèce humaine. C’est déjà pas mal, non ? D’essayer d’être un bienfaiteur de l’humanité sans brasser de la bière c’est déjà courageux ! Peut-être que parfois Flash Gordon va au bar ? Peut-être qu’il s’y fait appeler Guy Léclair pour plus d’anonymat ? C’est un héros après tout : inutile que tout le monde sache qu’il picole à l’occasion. Et je pensais aussi à l’an 40. Qu’est-ce qui s’est passé en l’an 40 et pourquoi tout le monde s’en fout à ce point ? C’est difficile d’avoir des certitudes, non ? Mais comme ça paraît parfois grave d’en avoir alors ça n’est sûrement pas grave que ça soit aussi difficile... Bref, je me comprends.

samedi 30 janvier 2010

L’enfer c’est les collègues, petit.

Bon, disons que vous avez un travail. Disons que par le fait vous vous rendez tous les jours ou presque en un lieu où vous le pratiquez. Et disons que, subséquemment, vous êtes amenés à y fréquenter des gens. Des gens qui eux aussi ont un travail. Sensiblement le même que le vôtre. Et ces gens qui ont sensiblement le même travail que le vôtre sont en conséquence amenés à vous côtoyer chaque jour. Et donc cette étrange conjoncture, eh bien elle crée des liens. Des sortes de liens. Bon, tous ces gens on les appelle des collègues. Vous aussi vous êtes un collègue. Et alors parfois il faut se voir en dehors du travail parce que comme de toutes façons il faut se voir tous les jours autant essayer de consolider ces sortes de liens qu’on finit par avoir avec des collègues. A force de se voir tous les jours. Alors bien sûr au début vous disiez : « ah ben c’est gentil mais justement ce soir-là – le fameux soir où on vous propose d’aller consolider quelque part, comme ça, entre collègues – ce soir-là, donc, ça tombe bien mal parce que j’ai un autre rendez-vous, ou parce que j’ai piscine, ou parce que je dois me faire dévitaliser une dent, ou parce que je ne voudrais pas rater l’émission « Hitler et ses complices » sur Arte, etc., etc. Tout ce fatras d’excuses de plus en plus bourbeuses finit un jour au l’autre – et vous espérez toujours que ce sera plutôt l’autre, c’est humain – par faire long feu. Donc il vient un jour dans votre vie de collègue où vous devez dire à un autre collègue, plus tenace, plus entreprenant que les autres, ou qui n’a pas hésité a vous prêter, car il en possède l’intégrale en DVD, les derniers épisodes de la série documentaire « Hitler et ses complices » : « Oui, avec plaisir, qu’est-ce que j’apporte ? »

Donc vous voilà invité chez des collègues. Pas seul, non. Avec d’autres collègues. Triés sur le volet. Le rendez-vous semble d’ailleurs frappé du sceau du secret : vous êtes un élu parmi la masse grouillante et soupçonneuse des collègues. Mais personne ne doit le savoir. Cela afin de pas dégrader cette fameuse sorte de liens qui n’a pas manqué de s’établir entre le plus grand nombre et vous et qu’on vous propose par ailleurs de consolider en comité réduit, dans des lieux et à des heures connus seulement d’une élite – celle-là même qui souhaite vous introniser en tant que « collègue-qu’on-voit-en-dehors-du-travail ». De cette sorte nouvelle de collègues, il y en a dès votre arrivée sur le théâtre des opérations. Plein. Trop. C’est là votre première impression. Ne vous en voulez pas : elle est et restera la bonne tout au long, très long, de la soirée. Cette soirée qui « ne fait que commencer » comme on vous le rappelle en de nombreuses occasions – le kir, les amuse-bouches, une cigarette fumée à la sauvette entre collègues-qui-se-voient-en-dehors-du-travail fumeurs sur une terrasse ou un bout de pelouse défraîchie par l’incessante cohorte des collègues qui s’y sont pressés avant vous. Evidemment, il faut alimenter les conversations qui ne manquent de pleuvoir sur vous comme la mitraille sur l’honnête et courageux soldat fortuitement égaré au Chemin des Dames. Fort heureusement votre double statut de collègue et de collègue élu à pour effet de réduire votre participation au minimum : la plupart de vos collègues pensent que vous pensez comme eux et lorsqu’ils veulent votre avis sur une question professionnelle – de celles qui peuplent l’essentiel du babillage de la soirée – ils vous le donnent sans difficulté.

Parfois, le maître de maison, parce qu’innocemment vous l’avez complimenté sur un point de détail vestimentaire, pris de panique que vous étiez à votre arrivée face à la masse compacte et suffocante qui semblait à vos yeux chancelants comme proliférer dans toute la maison, parfois donc, votre hôte vous entraîne à sa suite dans ce qu’il nomme sa « tanière ». Vous voici seul avec lui, tels deux grands fauves épris de liberté et mus par un respect mutuel qui anime toujours les plus nobles. Une angoisse tentaculaire vous étreint. C’est à peine si vous réalisez que par cette main tendue, votre hôte vient de faire de vous l’Elu parmi les élus, et cela dès le premier rendez-vous. Vous l’avez subjugué. Il va falloir en payer le prix : c’est un « fan absolu », selon ses propres dires, de la marque Baccardi. Il a tout. Oui, tout. Tout les objets promotionnels qui concernent de près ou de loin la-dite marque. Même ceux qui font de la lumière, même ceux qui clignotent. En vous les montrant, il affiche le regard aisément identifiable de qui a conquis Thèbes. Emporté par la passion et ivre du breuvage vénéré, l’idolâtre fait les questions et les réponses en ponctuant sa logorrhée de furtifs « J’ai pas raison ? J’ai pas raison ? » Dilaté, sous vos yeux impuissants, il ne fait qu’un avec le monde. Ce lien unique et rare, vous allez pourtant le briser net ! Car c’est maintenant l’heure où les grands fauves vont boire. Oh, vous ne pensiez pas à mal. Un bête réflexe rien de plus. Un soubresaut de sincérité mal contrôlée… Votre hôte, alors au sommet d’un capital d’empathie avec toutes les formes de vie, intelligentes ou non, vous propose un verre de Baccardi. Votre main se dresse déjà entre lui et vous, votre tête dodeline déjà de droite et de gauche sur l’axe raidi de votre cou trop tendu : vous êtes en train de refuser et vous ne le réalisez que bien trop tard ! Un fulgurant regard d’incompréhension éclate dans un lourd silence. Le monde s’écroule de toutes parts autour de votre hôte qui, tout de dignité non feinte, vous propose de retourner au salon sous le prétexte que « les autres vont se demander ce qu’on fait ». C’est en émettant un bruit de fonte sur du carrelage que vous accédez cette fois à sa demande. Une tristesse viscérale vous envahit. Elle vient comme toujours sceller la tombe des occasions manquées – nos maisons sont des cimetières invisibles. C’est à présent un homme brisé que vous avez à vos cotés. Il s’en ira fumer seul en sirotant un verre de Baccardi et à plusieurs reprises au cours du reste de la soirée. Vous ne lui jetterez bientôt plus que quelques regards furtifs. Vous partirez tout à l’heure en n’échangeant qu’une molle poignée de main.

Et cette heure viendra, soyez en sûr. Oh, non sans que vous ayez encore pu apprécier tout le génie de vos contemporains, un génie au demeurant fort répandu et à l’édifice duquel vous aussi vous n’avez pas manqué d’apporter vos brouettes de pierres plates : comprimer un minimum d’idées dans un maximum de mots. Enfin, au seuil de la porte et du désespoir, vous sourirez d’une manière formidablement pâteuse à votre hôtesse à laquelle vous prendrez bien soin de ne pas citer Groucho Marx : « Madame, j’ai passé une excellent soirée, mais ce n’était pas celle-ci. »

jeudi 28 janvier 2010

La Folle Journée de Nantes, c'est con

Voilà quelque chose qui n’arrive certes pas tous les jours : je tombe aujourd’hui dans la presse sur un article intéressant et bien écrit qui exprime une opinion à laquelle je souscrit totalement, une opinion inverse de ce que l’on entend habituellement, et qui le fait élégamment et sans vaine polémique. Et où est-ce que je trouve cet article ? Dans le Figaro. Non vraiment, voilà une chose qui n’arrive certes pas tous les jours.

Je parle d’un article de Christian Merlin sur le festival de musique classique nantais La Folle Journée. Ce festival connaît un très grand succès. Les salles sont pleines à craquer, les billets se vendent comme des petits pains et on en parle dans les médias : la presse locale en parle (avec la bêtise et l’inculture qu’on lui connaît), la presse nationale en parle (et pourtant on n’y parle pas tant que ça de musique classique), les radios en parlent (et pas que France Musique et la méphitique Radio Classique) et même, stupeur, la télé en parle. Et qu’en disent unanimement tous ces gens ? Que c’est merveilleux, que la musique classique est enfin « populaire », que vous voyez, c’est pas si chiant que ça, la musique classique, qu’il suffit d’un « concept » « innovant » pour la « vendre » au public, que ça « décloisonne » enfin ce genre « élitiste » pour l’ « ouvrir » au « grand public » (je mets des guillemets pour les mots que je vois employés mais dont j’ignore exactement ce qu’ils veulent dire) etc.

Moi, tout ça, je vous le dit, ça me laisse perplexe. Qu’est–ce que qu’il se passe, réellement, à la Folle Journée ? Eh bien, il y a un nombre colossal de concert (250 en 2010) sur quelques jours. Ça veut dire une dizaine de concerts en même temps, à chaque instant, dans chacune des salles du Palais des congrès de Nantes, de la petite salle de 20 places à l’auditorium de 2000 places. Oui, ça se passe au Palais des congrès de Nantes. Un bâtiment fonctionnel d’une insipide laideur, on s’en doute. Dans ce bâtiment se pressent donc toute la journée des milliers de spectateurs allant au concert, sortant du concert, changeant de salle, faisant la queue. Autant vous dire que l’ambiance évoque la station RER Châtelet-Les Halles à 18h en semaine. Par contre, les concerts pris en eux-mêmes sont de qualité : les œuvres programmées sont des œuvres majeures, les artistes sont de premier plan. Pas de problème de ce côté. Non, le problème vient du « concept ».

Car la Folle Journée, c’est un « concept ». Son « inventeur », René Martin, est fêté partout dans les médias comme l’homme qui a enfin « démocratisé » la musique classique. Cette « démocratisation » de la musique classique consiste donc en une vaste foire d’empoigne où dans une ambiance de samedi après-midi de Noël chez Auchan on tente désespérément de se recueillir suffisamment pour éprouver du plaisir à une belle exécution des Musikalische Exequien de Schütz. Et en plus, ce « concept » s’ « exporte » : René Martin se félicite partout que des festivals similaires sont organisés au Japon, en Espagne et je ne sais où… Je n’arrive pas à comprendre comment cet engouement hystérique a pu se développer. Parce qu’en plus, n’allez pas imaginer que c’est bon marché : les billets sont très largement aussi chers qu’à la salle de concert traditionnelle. Non, le succès de la Folle Journée demeure pour moi un mystère.

En outre, moi, je m’en fout, je dis ça comme ça, mais cette fameuse « démocratisation », ça ne marche pas du tout : les gens de Nantes qui vont à la Folle Journée, ils n’y vont pas pour écouter Chopin ou Bach. Ils y vont pour aller à la Folle Journée dont on en parle à la télé. Et d’ailleurs, le reste de l’année, ils n’écoutent pas Chopin ou Bach, ils ne vont pas à l’Opéra de Nantes, ils ne vont pas aux concerts de l’Orchestre National des Pays de la Loire, ils ne vont pas écouter l'Ensemble Utopik… ce qui n’est pas grave, hein. On peut être quelqu’un de bien et se foutre comme d’une guigne de Chopin et de Bach. Mais qu’on ne vienne pas essayer de me faire croire qu’une guignolade telle que la Folle Journée participe d’une quelconque manière à une quelconque forme d’éducation populaire.

Mais je m’énerve, pour rien, là, désolé. En plus, je vais y aller, à la Folle Journée et j’y entendrai de très belles choses et je serai très content. Je pourrai peut-être même en dire du mal à nouveau en revenant.

Adresse à tous les Ponots. Supplique à toutes les Ponotes.

Revenir au Puy c’est déjà beaucoup. Du moins c’est ce que je crois. Cela signifie qu’on en est parti un jour. Beaucoup n’ont pas eu cette chance ou sont tombés en essayant de la saisir. Je parle de ça parce qu’à l’instar de notre compère Ernesto Palsacapa, je suis né au Puy-en-Velay. Enfin dans mon cas Le Puy se faisait appeler Roanne – non sans un certain sens de l’insignifiance – mais ce détail est, hélas, sans grande conséquence. Face à un tel état de fait, lorsque par exemple à l’aune d’un anodin babillage, un interlocuteur aventureux vous questionne sur le lieu de votre naissance et que vous décidez, non sans courage, de ne pas lui mentir, vous exposant ainsi aux sourires les plus narquois ou aux regards les plus peinés, deux réactions-types peuvent alors se présenter à vous. Dans le premier cas l’interlocuteur s’intéresse visiblement aux plaisirs de la vie et vous déclare comme un seul homme « oh, mais n’est-ce pas là la sémillante ville des frères Troisgros et de leur merveilleux restaurant ? ». Cette option vous offrira, le temps que vivent les roses, l’opportunité assez rare et somme toute fort limitée de vous enorgueillir fébrilement d’une des parts les plus sombres de votre histoire : Roanne, donc. Notons que l’adjectif « sémillant » s’apparente davantage à une licence poétique de l’auteur qu’à la stricte description du caractère de la ville. La seconde possibilité est à la fois plus quelconque et plus laborieuse : l’interlocuteur, comme un homme seul cette fois, ne sait que dire et son embarras le conduit parfois à vous interroger de plus belle, par exemple par l’entremise d’un agonisant « où ça ? » dont l’écho glaçant se meure avec une insupportable langueur pour peu que, de votre côté, vous ne trouviez pas immédiatement l’énergie quasi-surnaturelle de répéter le nom maudit en ne manquant pas de lui adjoindre les explications d’usage – sous préfecture de la Loire, à deux pas de Saint Etienne, oui, oui, les Verts, 1976, les poteaux carrés, mais si, Roanne !, le restaurant des frères Troisgros !, et oui juste en face de la gare, mais parfaitement : peinte aux couleurs du saumon à l’oseille, leur plat fétiche, ah c’est un peu cher c’est sûr mais il y faut aller une fois dans sa vie…, non, mettre une telle somme dans un repas… oui, j’y suis allé déjà…, oh, très bon et pas si guindé que ça, etc. Epuisant à coup sûr. Douloureux en de nombreuses occasions. A ce point tel que faire ne serait-ce qu’allusion à Mably ou à Brives-Charensac, selon que ayez grandi non pas à Roanne mais près de Roanne, non pas au Puy mais près du Puy, ne vous traverse jamais au grand jamais l’esprit. Qui pourrait vous comprendre ?

Mais finalement de quoi parlons-nous ? Disons pour aller vite – car c’est avec Roanne ce qu’il convient de faire ne serait-ce que par la grâce de la plus élémentaire pudeur – que Roanne est une ville qui réussi à posséder des accents tout aussi funèbres que Venise sans jamais que la cité lacustre transalpine ne puisse à aucun moment venir à l’esprit du voyageur fourvoyé qui serait amené par un bien fourbe coup du sort à faire escale à l’hôtel Terminus en face de la gare à côté de chez Troisgros. Roanne est d’ailleurs pour l’essentiel habité par deux sortes d’individus : des personnes âgées respectables bien qu’ayant un goût prononcé pour des teintes de chevelures fantasques et chamarrées et des hommes et des femmes sous le coup d’une mutation – non, je me suis mal exprimé, c’est une méprise : Roanne n’est pas le Tchernobyl français, du moins pas avant l’heure de fermeture des bureaux, non je fais davantage allusion ici à des mouvements de population liés à une activité salariée. La première catégorie ne manque jamais de participer mensuellement à l’étrange rituel dit de « Connaissance du monde » : ils s’empressent et s’empilent à petits pas dans une grande salle de cinéma où un « conférencier » revenant éternellement de l’étranger leur présente par le truchement d’un film voire de diapositives un pays lointain et sauvage où des hommes et des femmes se battent becs et ongles au quotidien pour ne pas vivre comme à Roanne… Le Roannais d’âge respectable et aux cheveux mauves n’a, en principe, peut-être même par principe, jamais quitté sa riante cité, sauf s’il a, un jour, été le jouet d’une sordide machination administrative bien connue : la mutation. Il se peut alors qu’il ait passé quelques mois, voire quelques années, à Saint Etienne. Il n’en reste pas moins curieux des autres cultures. Ainsi ne manque-t-il que rarement d’acheter au conférencier son dvd à la fin de la séance et se rend-t-il à Lyon au moins une fois par an, pour ses emplettes de fin d’année – on y trouve tellement plus de choses qu’à Roanne, c’est vrai...

Si je n’ai pas la chance de vivre à Paris, j’ai néanmoins pris conscience très tôt qu’il fallait partir. D’une manière générale, et c’est bien là ma seule opinion tranchée sur le Bien et le Mal, il faut toujours quitter Roanne le plus vite possible. Naître à Roanne pour ensuite y vivre est un choix, si c’en est un, que je me fais un devoir de ranger invariablement du côté des ténèbres. Ainsi ces lignes sont-elles plus qu’une invite, elles constituent un appel, celui du 28 janvier : je vous le dis en vérité, Ponots, Ponotes de tous les pays, ne vous punissez plus et fuyez dès que vous êtes en âge de le faire. Rompez les rangs de ces hommes qui refusent le vent. Tournez le dos à l’héritage séculier de votre espèce et dirigez vous lentement vers les issues de secours à gauche ou à droite de votre adolescence… Allez prendre l’air. Reprenez-en deux fois. Ne vous retournez pas c’est inutile : ailleurs l’herbe est effectivement plus verte. Bien plus verte. D’un vert enivrant et suave… par comparaison avec le vert lichen numéro quatre des cheveux d’une grand-mère ou d’une vieille tante que vous n’avez déjà que trop côtoyé.

Croyez-moi. Epargnez-vous ! Vous me remercierez plus tard. Votre serviteur possède toutes les références requises pour prodiguer de tels conseils : il est né à Roanne, à grandi tant bien que mal à Mably, à été incarcéré un an dans un appartement de Brives-Charensac sous couvert d’une mutation qui l’a amené à ne travailler que trop longtemps au Puy-en-Velay !

mercredi 27 janvier 2010

Lecture : "La Lionne blanche" de Henning Mankell

Les romans policiers, ça ne me passionne pas particulièrement. Je ne sais pas : ces histoires de gens – policiers, détectives – qui cherchent péniblement à comprendre ce qu’il s’est passé lors d’un crime… Ça peut constituer une base intéressante pour écrire un roman, comme ça dans l’absolu, mais le fait qu’il y ait des milliers et des milliers de livres écrits sur ce principe, que ce soit un genre en soi avec ses auteurs qui ne font que ça, ses collections spécialisées, ses fans etc. je me dis que c’est beaucoup d’honneur pour une petite idée de roman sympathique.

Mais lire un roman policier, de temps en temps, ma foi, pourquoi pas. La Lionne blanche fait partie de la série de romans du suédois Henning Mankell qui présente les aventures du lamentable Kurt Vallander, policier dans une petite ville du sud de la Suède. L’intérêt, à mon sens, de ces histoires raisonnablement bien écrites réside dans la peinture de la consternante vie du commissaire Vallander : sa dépression, ses rapports impossibles avec son ex-femme qui ne veut plus le voir, sa fille qui ne s’intéresse pas à lui, son père avec qui il ne peut pas discuter, sa gueule de bois, ses tentatives de drague vouées à l’échec, le climat déprimant du sud de la Suède, l’ennui qui accable la petite ville d’Ystad où il travaille, ses enquêtes compliquées par les erreurs ou les négligences de ses collègues qui s’emmerdent à leur boulot… tout cela accumulé finit par être franchement drôle.

À côté de ça, dans La Lionne blanche, une partie de l’action se déroule en Afrique du sud juste avant la fin de l’apartheid. Comme l’auteur a l’air de savoir de quoi il parle, on peut y apprendre deux ou trois petites choses sur ce régime sous couvert de suivre l’enquête sur un complot visant Frederik de Klerk et Nelson Mandela.

mardi 26 janvier 2010

Considérations sur le Puy en Velay

Il faut vivre à Paris. C’est évident. Je ne discuterai pas de cette évidence. Il faut vivre à Paris. Je vis donc à Paris. Mais il faut parfois retourner au Puy. C’est hélas évident également. Je ne discuterai pas non plus de cette évidence. Il faut parfois retourner au Puy. Pour très peu de temps, bien sûr. Très peu de temps. Le moins longtemps possible. Quelques jours. Une semaine au pire. Et on peut y retourner le moins souvent possible. Deux ou trois fois par an. Moins, si possible. Mais il est difficile de retourner au Puy moins de deux ou trois fois par an. Je fais mon possible. Je raccourcis le plus possible la durée de mes séjours au Puy. Je repousse le plus longtemps possible le moment de retourner au Puy. Comme tout le monde. Mais ce moment finit par arriver. Il arrive donc, et on se met en route. On va au Puy en train, en général. Le Puy est assez éloigné de Paris. De longues heures de train. Plusieurs trains différents. On quitte Paris à regret dans un train très moderne et très rapide. On traverse lentement la banlieue parisienne. Le train prend ensuite sa vitesse de croisière. Il traverse des étendues de campagne plate et sans grand intérêt. On pénètre ensuite dans la triste et ennuyeuse banlieue lyonnaise qui annonce la tristesse et l’ennui qui règnent à Lyon. On descend du train à Lyon. La gare est moins grande et moins belle. On prend un train moins moderne et moins rapide pour Saint Etienne. Ce train quitte Lyon, traverse la banlieue et les zones commerciales lyonnaises qui sont suivies immédiatement par la banlieue et les zones commerciales de Saint Etienne, plus sinistres et plus mortes encore que celles de Lyon et qui annoncent la terrible tristesse et le terrible ennui qui règnent à Saint Etienne. On descend du train à Saint Etienne. La gare est encore moins grande et encore moins belle. L’angoisse commence à vous saisir. Le train pour Le Puy est garé le long du quai le plus éloigné et le plus sinistre de la gare. C’est un engin antique qui passera sans doute directement du service sur la ligne Saint Etienne – Le Puy au musée des chemins de fer. Le train du Puy est réellement angoissant. Il est sale et vieux. Quand il quitte la gare de Saint Etienne, on se souvient rapidement qu’il fait en roulant un bruit assourdissant qui devient presque insupportable dans les virages. Dans les virages, les conversations s’arrêtent et les vieilles dames se bouchent les oreilles en faisant la grimace. L’angoisse augmente dans le train du Puy et cette angoisse est encore renforcée par le fait que l’on risque à tout moment d’y rencontrer d’autres membres de la diaspora qui retournent eux aussi au Puy pour quelques jours. Si on a le malheur de croiser de telles personnes, l’usage veut que l’on s’assoie avec elles pour discuter. Les autres membres de la diaspora sont des gens que l’on a toujours connus. Nos parents ont toujours connu leurs parents. Nos grands-parents ont toujours connu leurs grands-parents. Ce sont des gens dont on a des nouvelles régulièrement par personne interposée et qui eux-mêmes connaissent beaucoup de choses sur vous. Ce sont des gens que l’on croise dans le train Saint Etienne – Le Puy et que l’on n’a pas vus depuis dix ans. On les croise dans le train. L’usage veut que l’on s’installe à côté d’eux pour discuter. On discute péniblement. Si la chance est avec nous, on tombe sur quelqu’un de sociable ou de bavard qui entretiendra la conversation pendant les longues heures que dure le trajet. Si la chance est vraiment avec nous, on tombe sur un ancien ami ou une ancienne amante avec qui on pourra avoir une longue conversation nostalgique ce qui donnera au voyage une teinte crépusculaire bien en accord avec les retours au Puy. Si par contre la chance nous abandonne, on tombera sur un membre de la diaspora à l’abrutissement profond au côté duquel on devra passer les longues heures du trajet Saint Etienne – Le Puy à essayer d’animer la conversation. Et si la chance nous abandonne vraiment, on tombera sur un habitant du Puy. Je veux dire quelqu’un du Puy mais qui ne fait pas partie de la diaspora. Quelqu’un du Puy tout court. Quelqu’un qui est né au Puy, comme nous tous, et qui vit au Puy car il n’est jamais parti du Puy. Terrible rencontre que celle-là. Sombre trajet. On les reconnaît de loin, sur le quai et dans le train, les habitants du Puy : ils ont les épaules voûtées, le pas traînant, l’œil glauque, les ongles sales. Ils portent des vêtements imperceptiblement ridicules. Ils ont en général à la main une bouteille de vin, de bière, voire une flasque de gnôle artisanale. S’ils ne l’ont pas à la main, il y a gros à parier qu’elle se trouve dans leur sac ou qu’il l’ont oubliée quelque part. Ils ont en outre, bien sûr, conservé leur accent du Puy. Cet accent grotesque, épais et erratique que les membres de la diaspora ont réussi à perdre à force de travail mais qui leur revient insensiblement sous l’effet de l’alcool, de la fatigue ou lors d’un trop long séjour au Puy. J’ai perdu cet accent depuis longtemps, moi aussi. Mais les habitants du Puy l’ont toujours. Lorsqu’on entend cet accent dans le train, il permet d’identifier à coup sûr un habitant du Puy. C’est une rencontre heureusement assez rare car les habitants du Puy ne peuvent que très rarement partir. Il est donc rare de les rencontrer dans le train Saint Etienne – Le Puy. Il arrive parfois, tout de même, qu’on parvienne à faire le voyage seul. On peut alors essayer de lire, ou de travailler, mais plus on s’approche du Puy, plus on est gagné par l’indolence. Plus on s’approche du Puy et plus il est difficile d’exercer une activité intellectuelle. On pose donc son livre ou son journal et on regarde le paysage. La banlieue de Saint Etienne disparaît vite pour laisser place à des petites villes aux noms ridicules, puis à des villages mourants, puis, bientôt, à la campagne. La voie est bientôt contrainte de faire de longs virages pour contourner des montagnes. Le train traverse des forêts de résineux. La température s’abaisse. Les gares où l’ont s’arrête sont de plus en plus délabrées. Des gens de plus en plus difformes attendent le train dans les gares. Les femmes sur les quais sont de plus en plus laides. L’angoisse augmente encore. La fatigue s’abat sur vous. Le besoin d’alcool se fait pressant. La lecture devient impossible. Il m’est même arrivé deux fois d’oublier mon livre dans le train du Puy ce qui ne m’est absolument jamais arrivé ailleurs. Les heures passent. Les forêts de conifères sont de plus en plus sombres. Enfin, après un dernier virage autour d’une montagne, on aperçoit la silhouette étrange du Puy. La ville s’étale aux pieds de plusieurs pics rocheux aux sommets desquels les générations successives d’habitants ont ressenti le besoin de bâtir des édifices d’un goût parfois douteux tels que cette gigantesque statue en bronze de la Vierge Marie peinte en rouge criard qui domine toute la ville. On arrive alors, selon l’expression en usage dans les annonces automatiques de la SNCF, « en gare de Le Puy ». Le train s’arrête. On descend, et nous voici, bon Dieu, revenu au Puy.


jeudi 21 janvier 2010

Réponse à la note précédente

La manie de ces magasins et restaurants, généralement faisant partie de chaînes, qui obligent leurs employés à porter un badge avec leur prénom dessus est très agaçante. Mais en plus d’être agaçante, elle est franchement bizarre. Cette histoire de badge avec le nom, ça vient des Etats-Unis, je suppose. Ma connaissance des Etats-Unis provient à peu près exclusivement des films hollywoodiens et des séries télé. Je n’y suis jamais allé. Mon avis sur la question n’a donc que peu de valeur mais ça ne m’empêchera pas de le donner. La manie des badges vient des Etats-Unis, donc. Or, là-bas, dans les films, il me semble que le fait d’appeler un employé par son prénom est plutôt un signe de considération, le petit plus sympathique qui rend la transaction commerciale plus agréable. Les américains n’ont pas les même règles de courtoisie que nous : ici, en France, c’est, il faut bien le dire, d’une extrême familiarité d’appeler quelqu’un par son prénom. Surtout quelqu’un qu’on ne connaît pas. Jusqu’ici, j’avais eu la joie de constater que personne ne faisait trop usage de cette possibilité qui est offerte d’être trop familier avec un employé de magasins, mais apparemment, c’est arrivé en présence de notre ami Hrundi V. Bakshi qui s’en émeut dans sa note de blog.

Un petit truc à l’usage des personnes ayant la malchance de travailler pour une entreprise pratiquant cette grotesque politique : j’ai jadis, dans ma jeunesse, travaillé comme serveur pour un hôtel de la chaîne américaine Holiday Inn. J’avais donc moi aussi un badge doré (l’hôtel se voulait luxueux) avec mon nom gravé dessus… ou du moins aurais-je dû l’avoir, car, sans le faire exprès (c’est vrai en plus), je n’arrêtais pas de perdre mon badge. Comme il fallait un certain temps pour en fabriquer un nouveau et comme l’idée qu’un employé se promène sans badge était insupportable à mes employeurs, je devais porter un autre badge, n’importe lequel, celui d’un ancien employé, avec n’importe quel prénom. Le caractère familier désagréable de l’affaire se trouvait donc complètement désamorcé par le fait que tout client acariâtre qui pensait m’appeler par mon prénom utilisait en fait un prénom qui n’était pas le mien. J’ai ainsi longtemps officié sous le prénom d’emprunt de « Sidney ».

mercredi 20 janvier 2010

Un agacement sans nom !

Pourquoi ? Mais pourquoi ? Et partout encore ! Des prénoms à la pelle sur des tripotées de badges ! C’est agaçant à la fin. Je veux dire que voilà trois ans que je connais ma patronne et je l’appelle encore Madame… Non, ce que je veux dire c’est… Bon, l’autre jour par exemple, j’étais à la Fnac, hein… Oui, je désirais ardemment posséder un attrayant jeu de zombies pour… Bref ! Donc je suis dans la file d’attente – serrant contre mon cœur le divin boîtier bigarré avec les mains moites de rigueur… Et qu’est-ce que je vois ? Ici et là, c’est Richard, c’est Sylvie, c’est Pierre-Nicolas et compagnie ! Pire qu’aux « Alcooliques anonymes » ! Des prénoms sur des badges en veux-tu en voilà ! Et du client à la limite du tutoiement par dessus le marché… Cette histoire de prénoms aux quatre vents ça fabrique une espèce de proximité factice franchement insupportable, non ? Et à partir de là, ça décuple la faculté principale des fâcheux. Sylvie en caisse une par exemple, elle à l’air au bout de son rouleau : elle fait face à ce genre d’emmerdeur dont on imagine aisément qu’il exigerait d’être assis dans le coin non fumeur d’un canot de sauvetage. Elle résiste, elle n’a pas les réponses que l’autre abruti attend parce que personne ne les a… Et là il l’appelle par son prénom ! Et c’est trop pour elle visiblement. La distance de sécurité entre eux s’abolie dangereusement… L’accident est proche. Elle lui montre nerveusement un de ses collègues. On la sent au bord du gouffre Sylvie, pendant que Machin – aussi sadique qu’anonyme – triomphe, exulte littéralement avant de vider les lieux de son inopportune présence pour aller ruiner la fin d’après-midi d’une Céline ou d’un Gérard. Quelle idée tordue que de tamponner ses employés de leurs prénoms, livrant ainsi leur intimité aux perversions des premiers venus !

Bon, ceci étant dit, lorsque c’est mon tour qui est venu, que j’ai posé le jeu sur le comptoir sous les yeux incrédules de Camille, elle m’a ensuite dévisagé de façon telle que je me serais bien gardé de l’appeler et surtout pas par son petit nom. D’un regard dédaigneux elle m’a bien fait sentir que nous n’avions pas gardé les zombies ensemble…

Ready-made


J’ai fort plaisamment découvert que dans les années 20, le duo infernal constitué de Marcel Duchamp et de Francis Picabia s’était fait arrêter à la suite d’une méprise en raison de leur ressemblance – par ailleurs considérablement discutable – renseignez-vous – avec Jules Bonnot et Raymond la Science !

Du coup, je pense à une plaisante contradiction. Quelque chose m’amuse dans cette fameuse « affaire de Tarnac », du nom de Tarnac en Corrèze qui est un peu au terrorisme ce qu’ Al Qaida est au crypto-situationnisme. Dans cette affaire beaucoup de choses tournent autour d’un livre : « L’insurrection qui vient », un livre saisi par la Justice mais que j’ai lu à la Fnac, présumablement écrit par J.C. (comprenez Julien Coupat, tout le monde suit ?) et ses apôtres, un livre monstrueux, terrifiant, qui a figé jusqu’au sang de Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Justice de l’époque (c’est à dire il y a six mois environ…) et qui on le sait n’a pourtant peur de rien. Et bien ce livre, on en conviendra aisément aprsè une lecture même succinte, n’est tout de même pas loin s’en faut un manuel de guérilla urbaine à l’usage des jeunes générations ! Certes il est rasoir mais il ne coupe pas tant ! Aussi rasoir que son illustre modèle : « La société du spectacle » de Guy Debord qui dans la série rasoir mériterait les médailles Bic, Wilkinson et Gilette réuinies. Les deux ouvrages ont en commun le recours à la « belle langue » - comme disent les initiés – pour subvertir « l’ordre existant »… C’est à dire que tout cela appartient à une littérature que je qualifierais volontiers de franchement « jargon » et, conséquemment, qui demeure réservée à une élite qui doit aimer à s’y reconnaître, j’imagine – c’est la principale activité des élites. Non, dans la famille crypto-situ je me souviens que Raoul Vaneigeim était bien plus amusant !

Bon mais là n’est pas la question. Constatons plutôt que J.C. à tout de même fait six mois de détention préventive et qu’il est placé depuis le 28 mars 2009 sous contrôle judiciaire avec interdiction de retourner jouer avec ses copains ! Tout ça pour un bouquin au fond… Constatons encore que pendant ce temps-là Guy Debord entrait au Musée à grand renfort de gala honorant au passage son Hérault médiatique, le toujours fringuant Philippe Sollers : en effet, les « papiers » de G.D. (Guy Debord ! Vous suivez oui ou non ?!) ont ainsi accédés au statut envié de « Trésor National ». Performance fascinante que de réunir les mots Debord, trésor et national en une seule et même phrase, non ?

La prison ou le Panthéon, quoi ? Parce que le bouquin, cherchez pas, c’est à peu près le même. Et puis surtout, au-delà du fait que c’est peut-être un bouquin juste, c’est juste un bouquin.

« Tout fini – décidément – en Sorbonne » comme disait l’autre ou Paul Valéry, je ne sais plus.

mardi 19 janvier 2010

Il revient de l'étranger

Avez-vous eu l’occasion ces dernières années de croiser des gens qui sont allés en Chine ? À force d’en voir, j’ai fini par remarquer qu’ils avaient souvent la même attitude au retour, une attitude complexe, difficile à définir.

Tout d’abord, ils ne mâchent pas leurs mots : « La Chine ? Pffouuu… c’est exceptionnel, c’est extraordinaire, c’est fou, c’est immense. Ils sont un milliard, tu sais ? »

Ensuite, rapidement, ils affichent une sorte de supériorité : « Oui, je rentre de Chine, là. Ah, tu n’y es jamais allé ? Tu ne peux pas vraiment comprendre, alors. »

Mais très rapidement, une sorte de défaitisme délirant s’empare d’eux : « Tu verrais, là-bas… Ils ont tout. Tout ! C’est génial. C’est l’avenir, la Chine. Ils vont tout bouffer. Ici, c’est fini. »

Pourtant, ce succès total et inéluctable qu’ils prédisent à la Chine, ils semblent se l’approprier un peu : « Je vois ce que tu veux dire, mais ici, c’est fini. La-bas en Chine, par contre, c’est autre chose… Tiens, moi, justement quand j’étais à Shangaï, il y a une semaine, j’ai fait… »

Les gens qui sont allés en Chine, ils ne sont plus les mêmes : « Tu ne peux pas comprendre. Il faut y aller, en Chine, pour comprendre. C’est là-bas que tout se passe, maintenant… Ici, c’est fini. C’est là-bas, là-bas… »

Que se passe-t-il en Chine ? Que fait-on aux occidentaux qui s’y rendent ? Je ne sais pas. Je n’y suis jamais allé. Je ne peux pas comprendre. Un jour, peut-être ?

lundi 18 janvier 2010

Discussion avec une femme enceinte

Je ne sais pas vous, mais moi, chaque fois que je parle avec une femme enceinte, je ressent un certain malaise. Quelque chose de confus, lié à la fois à des considérations d’ordre biologiques, physiologiques et à des considérations sociales. Un malaise, comme devant quelque chose de monstrueux, et monstrueux à deux titres. Je suis à la fois mal à l’aise comme devant un extraterrestre vert couvert de tentacules et comme devant quelqu’un qui annonce qu’il a décidé de se retirer dans un couvent.

Bref, je discutais donc avec une femme enceinte qui me faisait part de la chose difficile à expliquer suivante : si je touche mon bras avec ma main, il y a un double feedback ; la peau de ma main me dit qu’elle touche mon bras et la peau de mon bras dit qu’il est en contact avec ma main. Bon. Si j’appuie fort, la chair de mon doigt se comprime contre l’os du doigt et la chair de mon bras se comprime contre l’os de mon bras, jusqu’à un début de douleur si j’appuie plus fort. Tout cela est ma chair, fait partie de moi. Pour une femme enceinte qui touche son ventre, seule la première partie est vraie : peau contre peau qui indique qu’il y a contact. Mais si elle appuie, ce qu’il y a dessous côté ventre, ce n’est pas elle, c’est un corps étranger qui est dedans.

Bon, c’est idiot, ce que je dis. La sensation d’étrangeté est impossible à communiquer. Et encore, je ne suis pas enceinte.

Qu'on nous donne des fous

L’autre jour, maladroitement, j’ai fumé trop vite un trop gros cigare (un Partagas n°2) et je me suis retrouvé malade comme un chien. Quelques heures plus tard, à peu près remis de ma nausée et confronté au devoir, plus qu’au désir, de manger vaguement quelque chose, je me suis tourné vers ce que je considère comme de la nourriture de convalescent souffreteux : les sushis.

Une fois dans le restaurant japonais attablé devant mes morceaux de poisson mort, je me suis aperçu qu’il y avait à l’autre bout de la salle un homme qui racontait sa vie dans son téléphone portable suffisamment fort pour que je puisse tout entendre depuis ma place. Mon agacement commençait à monter, mais il est tombé d’un coup quand je me suis aperçu que cet homme n’avait pas, en réalité, de téléphone portable. Qu’il parlait tout seul, quoi. Il est donc passé immédiatement dans mon esprit de la catégorie d’emmerdeur à celle de timbré, et, à ce titre, a éveillé mon intérêt. Je me suis donc mis à écouter ce qu’il racontait. Pour tout dire, j’ai fini par sortir mon ordinateur portable pour noter en partie ce qu’il disait parce que son délire fait à la fois de complexe d’infériorité et de mégalomanie était assez fascinant. Je vous le livre donc, sans les redites, toutefois, car il se répétait beaucoup :

« Je ne suis pas un gigolo, moi. Je ne suis pas un profiteur. J’en voulais pas de son argent, moi. Ce que je voulais, c’était de l’amour. Il n’y a que l’amour qui m’intéresse, moi. L’argent, je m’en fous. C’est elle qui est venu me chercher pour me le donner, son argent. Parce qu’elle était riche, elle. Très riche. Le dessus du panier, quoi. Moi je n’ai pas un sou, et elle est venue me chercher pour me le donner son argent. Mais je n’en voulais pas. J’ai rien demandé. Tout ce que je voulais, c’était de l’amour. Et c’est pour ça qu’elle m’a largué. Moi je m’en fous, de l’argent. Je n’aimerais pas avoir de l’argent. On est bien mieux, quand on est pauvre, c’est connu. Enfin si, j’aimerais en avoir, de l’argent. En avoir plein, pour le donner aux gens. C’est ça, si j’avais plein d’argent, je le donnerais à tout le monde. Pas comme elle. Et puis j’ai été con, avec elle, quand j’y pense. Dire que je lui ai apporté des fleurs. Je suis con quand même… des fleurs. J’aurais du lui apporter des pinces à linge. C’est ça. Des pinces à linge. Tout le monde aime les pinces à linge : c’est de mauvais goût, les pinces à linge. Les gens aiment ce qui est de mauvais goût. C’était une femme très très riche. Si elle m’avait donné de l’amour, je serais encore avec elle. Là. Maintenant. Je serais avec elle. Mais non. Elle, tout ce qui l’intéressait, c’était de faire la lessive. Je veux me marier avec une pauvre, moi. Les pauvres, c’est mieux. Nous, les prolos, on a pas de vice. Enfin si, on est cochons, on aime le sexe, quoi. Mais les riches, le dessus du panier, ils sont cochons, mais en plus, ils sont vicieux. Ça y va, dans les châteaux, la sodomie, je peux te le dire. Moi, c’est l’amour, que je voulais. L’histoire retiendra que c’est pour ça qu’elle m’a quitté. C’est ça que l’histoire retiendra. C’est comme pour le 11 septembre : c’est ça qui aura frappé l’esprit des gens et c’est ça qu’on retiendra de cette époque, je le sais. Elle m’a mis 13 mois en prison, pour rien. Tu le crois, ça ? Et après elle dit que je suis un traitre ? Ah, Ah… Mais je ne lui en veux pas. Elle est mariée, maintenant. Je n’en veux pas à son mari, non plus. Mais je n’irai pas vers elle, maintenant. Si elle veut me voir, elle n’a qu’à venir. Elle sait où me trouver. J’ai pas besoin de son argent etc. etc. »

vendredi 15 janvier 2010

De l’intestin des vaches et du genou de Claire.

Non mais c’est tout de même un monde !

Tout un cirque – médiatique – parce que Vincent Peillon – député européen PS – n’est pas allé hier au soir chez France 2, à Arlette Chabot ! Bon, il avait prévu de laisser Eric Besson (qui est à l’humanisme ce que son homonyme est au 7ème art) et Marine LePen (putain, je le crois pas !) parler de l’Identité Nationale ensemble, comme ça, gentiment. Et il n’en a rien dit à personne pour ne pas être remplacé au pied levé (à défaut du poing) par quelque autre caution démocratique encravatée. Bref : tout un barnum parce qu’un homme politique a organisé un vide, a opté pour l’absence au lieu d’occuper fiévreusement et sans relâche le terrain du discours au kilomètre comme aiment à le faire ses petits camarades. Ca doit être mal car Arlette Chabot à qualifié ce stratagème de « voyou ».

Déduisons de cette stratégie dite du « fauteuil vide » que la parole est aujourd’hui dévalorisée à ce point que d’aucun préfère n’en point faire usage plutôt que de parler comme une platée de fayots se frayerait un chemin dans l’intestin d’une vache…

Hier, je revoyais « Le genou de Claire » d’Eric Rohmer qui est, on le sait, l’un des grands cinéastes de la parole, du discours – généralement amoureux. Son cinéma permet de mesurer la distance entre le verbe et le geste. Et elle est immense. Car chez Rohmer, comme dans la vie, tout le monde (se) raconte n’importe quoi… Mais pas à n’importe qui. Ne serait-ce que par intelligence stratégique : en effet ce qui est indispensable à une parole opérante – et cela en amour comme en politique – c’est d’avoir une adresse. Prenons une parole sans domicile fixe – au hasard celle du président de la République : prononcer deux fois le même discours à dix mois d’intervalle devant les mêmes agriculteurs un rien excédés – un électorat de choix pourtant – relève de l’adresse anonyme et de la dévalorisation totale d’un discours qui ne sert qu’à tenir de la place. Cette parole ô combien publique n’a dès lors plus d’adresse. Elle ne s’adresse plus à personne… C’est un problème, non ? Et pas seulement celui de la chose publique car j’en connais bien de ces gens qui ne s’adresse en définitive qu’à eux-mêmes. Et, je le reconnais, ça possède le don de m’agacer : parce que ce je reconnais également ici et là, ça n’est jamais que moi et que… c’est agaçant à la fin !

Tout ça pour dire qu’hier au soir, Vincent Peillon a peut-être donné assez intelligemment son avis sur la question de l’Identité Nationale.

Tout ça pour dire qu’Eric Rohmer est mort lundi dernier et que les vaches s’en foutent pas mal.

Oui. Mais c’est tout de même un monde…

jeudi 14 janvier 2010

Vaincre...

Je dois bien me résoudre à avouer que je pense très peu à Kircher. Finalement. Bon, il a été me semble-t-il l’objet d’un livre qui a lui-même été l’objet d’un prix l’an dernier, mais dans la mesure où je ne l’ai pas lu et n’en nourris en aucune façon l’intention… Non, je venais de voir un assez beau film de Marco Bellochio qui montrait l’obstination d’une femme à se faire reconnaître comme l’épouse de Benito Mussolini, et c’est donc en sortant du cinéma et à ma grande surprise qu’Athanasius Kircher m’est apparu…


C’était un jésuite du 17ème siècle. Un drôle de type qui inventait de drôles de choses : la lanterne magique, comme tout le monde, mais aussi des bizarreries plus singulières comme le « piano à chats » ou bien l’ « aérateur de volcan » – ce qui se passe de tout commentaire ou nécessite plusieurs volumes d’explications détaillées c’est selon. Je rassure les plus curieux d’entre vous : ces ouvrages existent. Ce type a laissé derrière lui 34 000 pages de considérations théologico-scientifiques sur à peu près tous les sujets. Notre homme était une des sommités intellectuelles de son époque. Bref. Pour ne citer que cela, Athanasius, fort de sa rigueur toute scientifique, s’était mis en tête de démontrer le caractère sacrilège de la tour de Babel…

Souvenons-nous mes frères : Nemrod, fils de Koush, lui-même premier né de Cham, fils de Noé (je résume à l’attention de ceux qui ne souhaiteraient pas se plonger dans La Genèse X – 8.10), avait donc décidé de faire construire une tour qui monterait jusqu’au ciel. Or Dieu, à qui cette idée déplaisait puissamment en raison de son scandaleux parfum d’orgueil, se fit fort de multiplier les langues au cœur du chantier afin que plus un couvreur ne comprit un traître mot de ce que pouvait lui dire un maçon lui-même perplexe face au premier contre-maître venu. L’astuce céleste brisa-là l’érection d’une tour jugée bien suffisante par le Très Haut.

Soit. Mais revenons à Kircher pour qui l’aversion divine pour le beau métier d’architecte ne produisit pas une démonstration suffisamment éclatante à son goût. Ainsi se mit-il en devoir de reconstituer la tour de Babel si elle avait abouti pour… prouver qu’elle ne pouvait raisonnablement le faire. Par de savants calculs des masses de la tour et de la terre, par de nombreux dessins, Kircher prouva aux yeux d’un monde médusé que le poids d’une telle tour n’aurait pu que déséquilibrer la planète et la faire basculer de son orbite ce qui, au 17ème siècle comme au 21ème se présente comme une hypothèse génératrice d’inquiétude ! CQFD. Le fait scientifique au service du fait religieux.

En un mot comme en 34 000 pages : vaincre !

Mais pourquoi ? – me demandais-je au sortir de l’obscurité.

Parce que, quelque part, au fond, peut-être bien que oui : l’orgueil est un pêché capital.

mardi 12 janvier 2010

Les jeux de mots, ça me tue

J’écoutais l’autre jour une émission de France-Culture (une émission idiote, d’ailleurs) où le présentateur a sorti cette amusante citation de Victor Hugo « Le calembour est la fiente de l'esprit qui vole ». Une citation tirée des Misérables, paraît-il… Renseignement pris, il semblerait que la lecture du passage complet où se trouve cette citation révèle en fait que Hugo adorait les jeux de mots. Eh bien moi, le jeux de mots, je déteste ça. Voilà. Ça me tue les jeux de mots. Libération et Le Canard Enchaîné me tuent à cause de ça : pourquoi tous ces jeux de mots dans leurs titres à la fin ? Prenons une « une » récente du Canard : « Le pire noël est derrière nous »… ça m’épuise. En terme d’information, il ne passe pas plus d’idées par ce titre que par un titre sans jeu de mot. Par contre, la présence du jeu de mot vient nous énerver sans raison, et surtout, ça semble quémander maladroitement un sourire auprès du lecteur… « Le pire noël est derrière nous », pas mal hein ? Hein ? « pire noël » parce que ça ressemble à « Père Noël », t’as vu ? Hein ? Wink ! Wink !

vendredi 8 janvier 2010

Le bruit de la photocopieuse

Un des aspects remarquables de la musique contemporaine est sa bizarre capacité à absorber son environnement. Il arrive ainsi souvent, au concert ou à l’écoute d’un disque, que l’on mette quelques instants avant de ce rendre compte que cette petite mélodie insistante que l’on croyait jouée par la clarinette est en fait la sirène d’une ambulance qui passe dans la rue ; ou encore que la tenue de basse que l’on attribuait inconsciemment au violoncelle était en fait le ronronnement d’un appareil électrique présent dans la pièce. C’est comme ça que l’autre jour, une de mes voisines de travail est venu me voir dans mon bureau pour me demander si ce bruit aigu qui l’agaçait depuis un petit moment émanait de la photocopieuse. Il a bien fallu que je lui avoue qu’il s’agissait en fait d’un passage que je trouve, pour ma part, très émouvant, du début du quatrième mouvement de Pfhat, pour chœur, orgue et orchestre, une pièce de 1974 de Giacinto Scelsi.