jeudi 28 janvier 2010

Adresse à tous les Ponots. Supplique à toutes les Ponotes.

Revenir au Puy c’est déjà beaucoup. Du moins c’est ce que je crois. Cela signifie qu’on en est parti un jour. Beaucoup n’ont pas eu cette chance ou sont tombés en essayant de la saisir. Je parle de ça parce qu’à l’instar de notre compère Ernesto Palsacapa, je suis né au Puy-en-Velay. Enfin dans mon cas Le Puy se faisait appeler Roanne – non sans un certain sens de l’insignifiance – mais ce détail est, hélas, sans grande conséquence. Face à un tel état de fait, lorsque par exemple à l’aune d’un anodin babillage, un interlocuteur aventureux vous questionne sur le lieu de votre naissance et que vous décidez, non sans courage, de ne pas lui mentir, vous exposant ainsi aux sourires les plus narquois ou aux regards les plus peinés, deux réactions-types peuvent alors se présenter à vous. Dans le premier cas l’interlocuteur s’intéresse visiblement aux plaisirs de la vie et vous déclare comme un seul homme « oh, mais n’est-ce pas là la sémillante ville des frères Troisgros et de leur merveilleux restaurant ? ». Cette option vous offrira, le temps que vivent les roses, l’opportunité assez rare et somme toute fort limitée de vous enorgueillir fébrilement d’une des parts les plus sombres de votre histoire : Roanne, donc. Notons que l’adjectif « sémillant » s’apparente davantage à une licence poétique de l’auteur qu’à la stricte description du caractère de la ville. La seconde possibilité est à la fois plus quelconque et plus laborieuse : l’interlocuteur, comme un homme seul cette fois, ne sait que dire et son embarras le conduit parfois à vous interroger de plus belle, par exemple par l’entremise d’un agonisant « où ça ? » dont l’écho glaçant se meure avec une insupportable langueur pour peu que, de votre côté, vous ne trouviez pas immédiatement l’énergie quasi-surnaturelle de répéter le nom maudit en ne manquant pas de lui adjoindre les explications d’usage – sous préfecture de la Loire, à deux pas de Saint Etienne, oui, oui, les Verts, 1976, les poteaux carrés, mais si, Roanne !, le restaurant des frères Troisgros !, et oui juste en face de la gare, mais parfaitement : peinte aux couleurs du saumon à l’oseille, leur plat fétiche, ah c’est un peu cher c’est sûr mais il y faut aller une fois dans sa vie…, non, mettre une telle somme dans un repas… oui, j’y suis allé déjà…, oh, très bon et pas si guindé que ça, etc. Epuisant à coup sûr. Douloureux en de nombreuses occasions. A ce point tel que faire ne serait-ce qu’allusion à Mably ou à Brives-Charensac, selon que ayez grandi non pas à Roanne mais près de Roanne, non pas au Puy mais près du Puy, ne vous traverse jamais au grand jamais l’esprit. Qui pourrait vous comprendre ?

Mais finalement de quoi parlons-nous ? Disons pour aller vite – car c’est avec Roanne ce qu’il convient de faire ne serait-ce que par la grâce de la plus élémentaire pudeur – que Roanne est une ville qui réussi à posséder des accents tout aussi funèbres que Venise sans jamais que la cité lacustre transalpine ne puisse à aucun moment venir à l’esprit du voyageur fourvoyé qui serait amené par un bien fourbe coup du sort à faire escale à l’hôtel Terminus en face de la gare à côté de chez Troisgros. Roanne est d’ailleurs pour l’essentiel habité par deux sortes d’individus : des personnes âgées respectables bien qu’ayant un goût prononcé pour des teintes de chevelures fantasques et chamarrées et des hommes et des femmes sous le coup d’une mutation – non, je me suis mal exprimé, c’est une méprise : Roanne n’est pas le Tchernobyl français, du moins pas avant l’heure de fermeture des bureaux, non je fais davantage allusion ici à des mouvements de population liés à une activité salariée. La première catégorie ne manque jamais de participer mensuellement à l’étrange rituel dit de « Connaissance du monde » : ils s’empressent et s’empilent à petits pas dans une grande salle de cinéma où un « conférencier » revenant éternellement de l’étranger leur présente par le truchement d’un film voire de diapositives un pays lointain et sauvage où des hommes et des femmes se battent becs et ongles au quotidien pour ne pas vivre comme à Roanne… Le Roannais d’âge respectable et aux cheveux mauves n’a, en principe, peut-être même par principe, jamais quitté sa riante cité, sauf s’il a, un jour, été le jouet d’une sordide machination administrative bien connue : la mutation. Il se peut alors qu’il ait passé quelques mois, voire quelques années, à Saint Etienne. Il n’en reste pas moins curieux des autres cultures. Ainsi ne manque-t-il que rarement d’acheter au conférencier son dvd à la fin de la séance et se rend-t-il à Lyon au moins une fois par an, pour ses emplettes de fin d’année – on y trouve tellement plus de choses qu’à Roanne, c’est vrai...

Si je n’ai pas la chance de vivre à Paris, j’ai néanmoins pris conscience très tôt qu’il fallait partir. D’une manière générale, et c’est bien là ma seule opinion tranchée sur le Bien et le Mal, il faut toujours quitter Roanne le plus vite possible. Naître à Roanne pour ensuite y vivre est un choix, si c’en est un, que je me fais un devoir de ranger invariablement du côté des ténèbres. Ainsi ces lignes sont-elles plus qu’une invite, elles constituent un appel, celui du 28 janvier : je vous le dis en vérité, Ponots, Ponotes de tous les pays, ne vous punissez plus et fuyez dès que vous êtes en âge de le faire. Rompez les rangs de ces hommes qui refusent le vent. Tournez le dos à l’héritage séculier de votre espèce et dirigez vous lentement vers les issues de secours à gauche ou à droite de votre adolescence… Allez prendre l’air. Reprenez-en deux fois. Ne vous retournez pas c’est inutile : ailleurs l’herbe est effectivement plus verte. Bien plus verte. D’un vert enivrant et suave… par comparaison avec le vert lichen numéro quatre des cheveux d’une grand-mère ou d’une vieille tante que vous n’avez déjà que trop côtoyé.

Croyez-moi. Epargnez-vous ! Vous me remercierez plus tard. Votre serviteur possède toutes les références requises pour prodiguer de tels conseils : il est né à Roanne, à grandi tant bien que mal à Mably, à été incarcéré un an dans un appartement de Brives-Charensac sous couvert d’une mutation qui l’a amené à ne travailler que trop longtemps au Puy-en-Velay !

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