mardi 26 janvier 2010

Considérations sur le Puy en Velay

Il faut vivre à Paris. C’est évident. Je ne discuterai pas de cette évidence. Il faut vivre à Paris. Je vis donc à Paris. Mais il faut parfois retourner au Puy. C’est hélas évident également. Je ne discuterai pas non plus de cette évidence. Il faut parfois retourner au Puy. Pour très peu de temps, bien sûr. Très peu de temps. Le moins longtemps possible. Quelques jours. Une semaine au pire. Et on peut y retourner le moins souvent possible. Deux ou trois fois par an. Moins, si possible. Mais il est difficile de retourner au Puy moins de deux ou trois fois par an. Je fais mon possible. Je raccourcis le plus possible la durée de mes séjours au Puy. Je repousse le plus longtemps possible le moment de retourner au Puy. Comme tout le monde. Mais ce moment finit par arriver. Il arrive donc, et on se met en route. On va au Puy en train, en général. Le Puy est assez éloigné de Paris. De longues heures de train. Plusieurs trains différents. On quitte Paris à regret dans un train très moderne et très rapide. On traverse lentement la banlieue parisienne. Le train prend ensuite sa vitesse de croisière. Il traverse des étendues de campagne plate et sans grand intérêt. On pénètre ensuite dans la triste et ennuyeuse banlieue lyonnaise qui annonce la tristesse et l’ennui qui règnent à Lyon. On descend du train à Lyon. La gare est moins grande et moins belle. On prend un train moins moderne et moins rapide pour Saint Etienne. Ce train quitte Lyon, traverse la banlieue et les zones commerciales lyonnaises qui sont suivies immédiatement par la banlieue et les zones commerciales de Saint Etienne, plus sinistres et plus mortes encore que celles de Lyon et qui annoncent la terrible tristesse et le terrible ennui qui règnent à Saint Etienne. On descend du train à Saint Etienne. La gare est encore moins grande et encore moins belle. L’angoisse commence à vous saisir. Le train pour Le Puy est garé le long du quai le plus éloigné et le plus sinistre de la gare. C’est un engin antique qui passera sans doute directement du service sur la ligne Saint Etienne – Le Puy au musée des chemins de fer. Le train du Puy est réellement angoissant. Il est sale et vieux. Quand il quitte la gare de Saint Etienne, on se souvient rapidement qu’il fait en roulant un bruit assourdissant qui devient presque insupportable dans les virages. Dans les virages, les conversations s’arrêtent et les vieilles dames se bouchent les oreilles en faisant la grimace. L’angoisse augmente dans le train du Puy et cette angoisse est encore renforcée par le fait que l’on risque à tout moment d’y rencontrer d’autres membres de la diaspora qui retournent eux aussi au Puy pour quelques jours. Si on a le malheur de croiser de telles personnes, l’usage veut que l’on s’assoie avec elles pour discuter. Les autres membres de la diaspora sont des gens que l’on a toujours connus. Nos parents ont toujours connu leurs parents. Nos grands-parents ont toujours connu leurs grands-parents. Ce sont des gens dont on a des nouvelles régulièrement par personne interposée et qui eux-mêmes connaissent beaucoup de choses sur vous. Ce sont des gens que l’on croise dans le train Saint Etienne – Le Puy et que l’on n’a pas vus depuis dix ans. On les croise dans le train. L’usage veut que l’on s’installe à côté d’eux pour discuter. On discute péniblement. Si la chance est avec nous, on tombe sur quelqu’un de sociable ou de bavard qui entretiendra la conversation pendant les longues heures que dure le trajet. Si la chance est vraiment avec nous, on tombe sur un ancien ami ou une ancienne amante avec qui on pourra avoir une longue conversation nostalgique ce qui donnera au voyage une teinte crépusculaire bien en accord avec les retours au Puy. Si par contre la chance nous abandonne, on tombera sur un membre de la diaspora à l’abrutissement profond au côté duquel on devra passer les longues heures du trajet Saint Etienne – Le Puy à essayer d’animer la conversation. Et si la chance nous abandonne vraiment, on tombera sur un habitant du Puy. Je veux dire quelqu’un du Puy mais qui ne fait pas partie de la diaspora. Quelqu’un du Puy tout court. Quelqu’un qui est né au Puy, comme nous tous, et qui vit au Puy car il n’est jamais parti du Puy. Terrible rencontre que celle-là. Sombre trajet. On les reconnaît de loin, sur le quai et dans le train, les habitants du Puy : ils ont les épaules voûtées, le pas traînant, l’œil glauque, les ongles sales. Ils portent des vêtements imperceptiblement ridicules. Ils ont en général à la main une bouteille de vin, de bière, voire une flasque de gnôle artisanale. S’ils ne l’ont pas à la main, il y a gros à parier qu’elle se trouve dans leur sac ou qu’il l’ont oubliée quelque part. Ils ont en outre, bien sûr, conservé leur accent du Puy. Cet accent grotesque, épais et erratique que les membres de la diaspora ont réussi à perdre à force de travail mais qui leur revient insensiblement sous l’effet de l’alcool, de la fatigue ou lors d’un trop long séjour au Puy. J’ai perdu cet accent depuis longtemps, moi aussi. Mais les habitants du Puy l’ont toujours. Lorsqu’on entend cet accent dans le train, il permet d’identifier à coup sûr un habitant du Puy. C’est une rencontre heureusement assez rare car les habitants du Puy ne peuvent que très rarement partir. Il est donc rare de les rencontrer dans le train Saint Etienne – Le Puy. Il arrive parfois, tout de même, qu’on parvienne à faire le voyage seul. On peut alors essayer de lire, ou de travailler, mais plus on s’approche du Puy, plus on est gagné par l’indolence. Plus on s’approche du Puy et plus il est difficile d’exercer une activité intellectuelle. On pose donc son livre ou son journal et on regarde le paysage. La banlieue de Saint Etienne disparaît vite pour laisser place à des petites villes aux noms ridicules, puis à des villages mourants, puis, bientôt, à la campagne. La voie est bientôt contrainte de faire de longs virages pour contourner des montagnes. Le train traverse des forêts de résineux. La température s’abaisse. Les gares où l’ont s’arrête sont de plus en plus délabrées. Des gens de plus en plus difformes attendent le train dans les gares. Les femmes sur les quais sont de plus en plus laides. L’angoisse augmente encore. La fatigue s’abat sur vous. Le besoin d’alcool se fait pressant. La lecture devient impossible. Il m’est même arrivé deux fois d’oublier mon livre dans le train du Puy ce qui ne m’est absolument jamais arrivé ailleurs. Les heures passent. Les forêts de conifères sont de plus en plus sombres. Enfin, après un dernier virage autour d’une montagne, on aperçoit la silhouette étrange du Puy. La ville s’étale aux pieds de plusieurs pics rocheux aux sommets desquels les générations successives d’habitants ont ressenti le besoin de bâtir des édifices d’un goût parfois douteux tels que cette gigantesque statue en bronze de la Vierge Marie peinte en rouge criard qui domine toute la ville. On arrive alors, selon l’expression en usage dans les annonces automatiques de la SNCF, « en gare de Le Puy ». Le train s’arrête. On descend, et nous voici, bon Dieu, revenu au Puy.


5 commentaires:

  1. Bravo, Ernesto, je vois que tu connais bien ma ville. J'espère que tu vas nous raconter aussi un séjour, dans la même veine. Fais-le, on a besoin de parisiens délurés comme toi pour nous réveiller.

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  2. Oui, j'avais effectivement commencé à écrire le récit d'un séjour-type au Puy dans la foulée, mais je n'avais pas fini... Je n'ai pas envie de dire trop de mal de cette bonne ville, non plus... mais je vais peut-être quand même finir ce texte.

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  3. 'Mais qui connait monsieur Ernesto Besson' S. Royal.
    Renégat.

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  4. Du Major !
    Quel malheur ! Où l'on voit un bougre , d'une part oublier sous l'effet, sans doute, sous l'effet d'une cuite mémorable , la joie de contempler avant Lyon les paysages superbes de Bourgone, puis (Montchanin TGV) le riant paysage du Charolais des ses collines, des ses prés, de ses boutons d'or,ses magnifiques bêtes sur pied, et de quelques églises romane.
    Que dire ensuite de l'honteuse description de Lyon et des ses quenelles, du parc de la tête d'or etc...on dis aussi beaucoup de mal de St Etienne ce qui est très malvenu et pourquoi dire du mal de ces michelines rouge qui embaume le mazout et le caoutchouc et qui vous emporte à travers les vertes collines Penotes.
    Enfin mécréant ! Tu ne reconnais pas la bonne Vierge qui te protège dans les raides virages des retour de fêtes !!!

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