mercredi 23 novembre 2011

Roploplo et Tartiflette

Ma collègue Karine a deux lapins.

« J’ai deux lapins », me dit un jour ma collègue Karine. « Je les ai depuis deux ans. Tu verrais, ils sont trop mignons. »

Je n’en doute pas.

« Ils s’appellent Roploplo et Tartiflette. C’est rigolo, hein ? »

Non.

« Ouais. Roploplo et Tartiflette. Et tu sais pourquoi je les ai appelés comme ça ? Tu sais pas ? Je t’ai jamais dit ? Eh ben Roploplo, je l’ai appelé comme ça parce que, quand il est né, il était tout petit et tout mignon et tout blanc et il ressemblait à un sein, un nichon, quoi, un petit roploplo, tu vois ? Et Tartiflette, tu sais pourquoi je l’ai appelé Tartiflette ? »

Oh putain…

« Eh ben c’est parce que quand il est né, il était tout mignon, il ressemblait à une part de tartiflette. C’est pour ça. Roploplo et Tartiflette. Je les adore. »

Ma collègue Karine n’est pas mariée.

« Et en plus, tu sais je me suis aperçue d’un truc dingue. Je sais pas ce que tu en penses, mais moi, avant, les lapins, je trouvais ça complètement con, tu vois ? »

Je vois.

« Je veux dire par là que je trouvais ça complètement bête, un lapin. Mais Roploplo et Tartiflette, non. Ils sont pas comme les autres lapins. En fait, à force de vivre avec eux, je me suis aperçue d’un truc dingue. »

Oh putain.

« En fait, Roploplo et Tartiflette, tu vois, eh ben ils sont super intelligents. Ils sont très supérieurs aux autres lapins. Beucoup plus intelligents. Et tu sais pourquoi ? »

Ma collègue Karine n’a pas d’enfants.

« En fait, ils comprennent ce que je dis. »

Non !

« Je te jure : ils comprennent ce que je dis ! Je le vois dans leurs yeux. L’autre jour, je nettoyais leur cage. Roploplo en a profité pour s’enfuir. Alors je l’ai appelé par son nom pour qu’il revienne. Eh ben tu sais quoi ? »

Au secours.

« Eh ben il s’est retourné, et il m’a jeté un regard assassin. Assassin ! Genre, je comprends ce que tu me dis, mais je suis libre, tu vois, genre j’ai pas envie de retourner dans cette cage, genre, tu vois ? »

Je vois.

« C’est comme ça que j’ai compris qu’il comprenait. »

Je comprends.

« Et Tartiflette aussi, hein ? »

Ben tiens.

« L’autre jour, tu sais pas ce qu’il m’a fait ? Je lui donnais ses croquettes. Des croquettes au poulet. C’est des croquettes pour chat. Je leur donne des croquettes pour chat parce qu’ils aiment pas les croquettes pour lapin. J’avais essayé les croquettes pour lapin mais ils… »

Elle leur donne des croquettes pour chat, à ses lapins… mais si ça se trouve, dans les croquettes pour chat, y’a du lapin. Du coup ça ferait que ses lapins mangent du lapin. Des lapins anthropophages, quoi ! Si ça se trouve, c’est pour ça qu’ils sont plus intelligents : ils se sont appropriés l’intelligence des lapins qui ont servi à faire les croquettes, et du coup… attends mais qu’est-ce que je raconte, moi ?

« …et pas des croquettes pour lapin, parce que celles pour chat sont mieux, tu comprends ? Bon bref. Donc je lui donne des croquette pour chat au poulet, et là, tu sais ce qu’il fait ? Eh ben il me jette un regard assassin ! Assassin ! Et il renverse la gamelle de croquette avec sa petite patte, Tartiflette. Genre pour me dire j’aime pas les croquettes au poulet. Tu vois, genre ? Eh ben depuis, je les écoute : j’en achète plus, des croquettes au poulet. J’en prends des au thon. »

Des au thon.

« Des au thon. »

Des au thon. C’est sur ces paroles que je me suis éloigné, prétextant une chose urgente à faire. J’ai eu peur, en fait. J’ai eu peur tout à coup que la folie soit contagieuse.