jeudi 28 janvier 2010

La Folle Journée de Nantes, c'est con

Voilà quelque chose qui n’arrive certes pas tous les jours : je tombe aujourd’hui dans la presse sur un article intéressant et bien écrit qui exprime une opinion à laquelle je souscrit totalement, une opinion inverse de ce que l’on entend habituellement, et qui le fait élégamment et sans vaine polémique. Et où est-ce que je trouve cet article ? Dans le Figaro. Non vraiment, voilà une chose qui n’arrive certes pas tous les jours.

Je parle d’un article de Christian Merlin sur le festival de musique classique nantais La Folle Journée. Ce festival connaît un très grand succès. Les salles sont pleines à craquer, les billets se vendent comme des petits pains et on en parle dans les médias : la presse locale en parle (avec la bêtise et l’inculture qu’on lui connaît), la presse nationale en parle (et pourtant on n’y parle pas tant que ça de musique classique), les radios en parlent (et pas que France Musique et la méphitique Radio Classique) et même, stupeur, la télé en parle. Et qu’en disent unanimement tous ces gens ? Que c’est merveilleux, que la musique classique est enfin « populaire », que vous voyez, c’est pas si chiant que ça, la musique classique, qu’il suffit d’un « concept » « innovant » pour la « vendre » au public, que ça « décloisonne » enfin ce genre « élitiste » pour l’ « ouvrir » au « grand public » (je mets des guillemets pour les mots que je vois employés mais dont j’ignore exactement ce qu’ils veulent dire) etc.

Moi, tout ça, je vous le dit, ça me laisse perplexe. Qu’est–ce que qu’il se passe, réellement, à la Folle Journée ? Eh bien, il y a un nombre colossal de concert (250 en 2010) sur quelques jours. Ça veut dire une dizaine de concerts en même temps, à chaque instant, dans chacune des salles du Palais des congrès de Nantes, de la petite salle de 20 places à l’auditorium de 2000 places. Oui, ça se passe au Palais des congrès de Nantes. Un bâtiment fonctionnel d’une insipide laideur, on s’en doute. Dans ce bâtiment se pressent donc toute la journée des milliers de spectateurs allant au concert, sortant du concert, changeant de salle, faisant la queue. Autant vous dire que l’ambiance évoque la station RER Châtelet-Les Halles à 18h en semaine. Par contre, les concerts pris en eux-mêmes sont de qualité : les œuvres programmées sont des œuvres majeures, les artistes sont de premier plan. Pas de problème de ce côté. Non, le problème vient du « concept ».

Car la Folle Journée, c’est un « concept ». Son « inventeur », René Martin, est fêté partout dans les médias comme l’homme qui a enfin « démocratisé » la musique classique. Cette « démocratisation » de la musique classique consiste donc en une vaste foire d’empoigne où dans une ambiance de samedi après-midi de Noël chez Auchan on tente désespérément de se recueillir suffisamment pour éprouver du plaisir à une belle exécution des Musikalische Exequien de Schütz. Et en plus, ce « concept » s’ « exporte » : René Martin se félicite partout que des festivals similaires sont organisés au Japon, en Espagne et je ne sais où… Je n’arrive pas à comprendre comment cet engouement hystérique a pu se développer. Parce qu’en plus, n’allez pas imaginer que c’est bon marché : les billets sont très largement aussi chers qu’à la salle de concert traditionnelle. Non, le succès de la Folle Journée demeure pour moi un mystère.

En outre, moi, je m’en fout, je dis ça comme ça, mais cette fameuse « démocratisation », ça ne marche pas du tout : les gens de Nantes qui vont à la Folle Journée, ils n’y vont pas pour écouter Chopin ou Bach. Ils y vont pour aller à la Folle Journée dont on en parle à la télé. Et d’ailleurs, le reste de l’année, ils n’écoutent pas Chopin ou Bach, ils ne vont pas à l’Opéra de Nantes, ils ne vont pas aux concerts de l’Orchestre National des Pays de la Loire, ils ne vont pas écouter l'Ensemble Utopik… ce qui n’est pas grave, hein. On peut être quelqu’un de bien et se foutre comme d’une guigne de Chopin et de Bach. Mais qu’on ne vienne pas essayer de me faire croire qu’une guignolade telle que la Folle Journée participe d’une quelconque manière à une quelconque forme d’éducation populaire.

Mais je m’énerve, pour rien, là, désolé. En plus, je vais y aller, à la Folle Journée et j’y entendrai de très belles choses et je serai très content. Je pourrai peut-être même en dire du mal à nouveau en revenant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire