mercredi 20 juin 2012

Objet d'amour.


« Non, je t’assure ! J’aimerais vraiment que tu sois des nôtres… »
« C'est-à-dire que… »
« Je sais bien que c’est un truc qui fait un peu peur la première fois… Mais au fond, à partir du moment où ça peut se dérouler de différentes manières, chacun peut finir par y prendre plaisir. Nous, tu sais, on s’adapte. Ca dépend des participants. Parfois, ça peut être prévu, et même très organisé, ou bien être une surprise totale ! »
« Hum… »
« Le mieux c’est tout de même lorsque c’est improvisé. Ca peut se passer chez nous ou chez des amies à moi, comme ça sur un coup de tête, une envie. »
« Apparemment… »
« Avec ou sans les hommes d’ailleurs. »
« Ah oui, vous… Enfin, je veux dire…. »
« Complètement ! A l'intérieur ou à l'extérieur. A l’extérieur, c’est pas mal, surtout par beau temps. »
« Vous regardez la météo la veille pour… »
« Mais même pas ! Tu sais, ça peut être très simple… »
« Hum… »
« Ou avoir un thème précis ! »
« Ah. »
« Une soirée à thème, c’est pas mal non plus, non ? »
« Genre soirée costumée, enfin quand je dis costumée, bien sûr que… »
« Bien sûr, je te comprend totalement. On est sur la même longueur d’onde. C’est d’ailleurs parce que je te sens bien que j’aimerai que tu viennes. On pourrait faire connaissance. Mieux. Autrement. »
« C’est sûr que ça a l’air d’être autre chose que la salle des profs. »
« Clairement. »
« Bon… »

Suite à cette proposition faite sur mon lieu de travail un vendredi à 7 heures 37 du matin, la scène prend lieu et place devant la porte verte du 17, rue du Creux-Rouge, un samedi à 19 heures 45. Alors que je me décide enfin à partir sans même frapper, deux autres invités font irruption dans l’allée. Nous nous envisageons brièvement, bien vite rassurés de ne pas même nous connaître de vue. Ne pouvant plus me défiler, je pénètre dans la maison à leur suite. La porte est incroyablement étroite. Nous nous introduisons dans les lieux en file indienne.

« Vous n’ignorez sans doute pas que les Navajos faisaient ça tout le temps ? »
« A vrai dire, non, je n’en savais rien. »
« Ah ? Lucille ne vous a rien dit à ce propos ? »
« Ca n’est pas sur ce point qu’elle a insisté pour me convaincre, en effet. »
« Vous ignorez donc tout de leur exquise façon de célébrer la femme ? »
« Quasiment. »
« Mais vous avez amené votre pierre ? »
« Pardon ? »
« Chaque personne qui participe à un blessingway choisit une pierre, ou même un petit objet. »
« Un petit objet ? »
« Deux ou trois si cela a une signification pour vous… »
« Assez peu, je le confesse volontiers. A quoi servent ces… Ce sont des…sortes… d’offrandes ? »
« Ne me dites pas que vous n’avez jamais conservé par devers vous d’objets ayant une valeur sentimentale certaine en attendant le bon moment pour pouvoir vous en servir ? »
« … »
« Il vous faut passer une minute avec l’objet entre vos mains afin de le charger de toute votre énergie positive… »
« … »
« Mais si ! Il faut charger votre machin de tout votre amour ! »
« … »
« De tous vos vœux, quoi ! De toutes vos prières ! Est-ce que je sais, moi ?! »
« Heu… »
« Bref ! Il s’agit de votre participation à la confection du collier ! C’est pour cela que nous sommes tous venus, non ? »
« Oh… Putain… Un collier ? Ah, d’accord… »
« Bien entendu ! Vous ne savez rien de rien ? C’est incroyable !  »
« Je m’en rends bien compte mais… »
« N’oubliez pas qu’il vous faut une pierre, un petit objet… Taisons-nous ! La Doula arrive pour débuter le rituel. »
« Oh, putain… »

Une femme au sourire énigmatique entre tout à la fois dans la pièce et dans une tenue grotesque. La panique s’empare alors de moi ! Je n’en scrute que davantage les alentours, à la recherche d’un objet dont je ne sais encore rien sinon que ne peut qu’en émaner une évidente valeur sentimentale. A la faveur de l’un de ces précieux malentendus qui rendent parfois la vie si trépidante, mes yeux, à présent hagards, cherchent à la hâte la chose qui pourrait me tirer du mauvais pas dans lequel je me trouve. L’angoisse m’oblige à sortir un instant. Dans la rue, l’idée de m’enfuir dans la nuit m’étreint. Ne trouvant aucune explication qui pourrait élégamment conjuguer rationalité et courtoisie à fournir le lundi matin aux divers collègues présents, je me ravise et me dirige de nouveau vers la maison d’un pas lourd, non sans ramasser au passage deux ou trois saloperies dans le caniveau.

« Oh, putain… »

Toute la pièce n’est à présent éclairée que par quelques fragiles bougies disposées d’une manière que je juge sans doute trop promptement aléatoire.

La maîtresse de cérémonie : « Parce que nous t’aimons, Lucille, et parce que nous désirons te voir heureuse et ton futur enfant en bonne santé, nous te confectionnons ce collier que tu pourras porter pendant l’accouchement et qui t’aidera à en traverser les moments les plus difficiles. Ce collier nous le disposerons tout à l’heure sur ton ventre. Et alors ce collier sera rempli par les forces et les pensées positives conjointes de toutes les personnes présentes ce soir et qui ont amenés un petit quelque chose à cet effet. »

La maîtresse de maison : « Veuillez me remettre l’un après l’autre votre objet chargé d’amour pour Lucille et son bébé ? »

File indienne. Inexplicablement, j’en ouvre la marche…

« Où étiez-vous passé ? »
« J’étais sorti un instant pour… passer un moment tranquille avec mon… enfin avec çà. »
« Oh, vous êtes garagiste ? »
On ne peut pas toujours lutter :
« Oui. »





2 commentaires:

  1. Un blessingway, hein ? Mais où est-ce que tu es encore allé te fourrer ?

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  2. Les sombres méandres de l'Education Nationale sont sans limites...

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