« Non,
je t’assure ! J’aimerais vraiment que tu sois des nôtres… »
« C'est-à-dire
que… »
« Je
sais bien que c’est un truc qui fait un peu peur la première fois… Mais au
fond, à partir du moment où ça peut se dérouler de différentes manières, chacun
peut finir par y prendre plaisir. Nous, tu sais, on s’adapte. Ca dépend des
participants. Parfois, ça peut être prévu, et même très organisé, ou bien être
une surprise totale ! »
« Hum… »
« Le
mieux c’est tout de même lorsque c’est improvisé. Ca peut se passer chez nous
ou chez des amies à moi, comme ça sur un coup de tête, une envie. »
« Apparemment… »
« Avec
ou sans les hommes d’ailleurs. »
« Ah
oui, vous… Enfin, je veux dire…. »
« Complètement !
A l'intérieur ou à l'extérieur. A l’extérieur, c’est pas mal, surtout par beau
temps. »
« Vous
regardez la météo la veille pour… »
« Mais
même pas ! Tu sais, ça peut être très simple… »
« Hum… »
« Ou
avoir un thème précis ! »
« Ah. »
« Une
soirée à thème, c’est pas mal non plus, non ? »
« Genre
soirée costumée, enfin quand je dis costumée, bien sûr que… »
« Bien
sûr, je te comprend totalement. On est sur la même longueur d’onde. C’est d’ailleurs
parce que je te sens bien que j’aimerai que tu viennes. On pourrait faire connaissance.
Mieux. Autrement. »
« C’est
sûr que ça a l’air d’être autre chose que la salle des profs. »
« Clairement. »
« Bon… »
Suite
à cette proposition faite sur mon lieu de travail un vendredi à 7 heures 37 du
matin, la scène prend lieu et place devant la porte verte du 17, rue du
Creux-Rouge, un samedi à 19 heures 45. Alors que je me décide enfin à partir
sans même frapper, deux autres invités font irruption dans l’allée. Nous nous
envisageons brièvement, bien vite rassurés de ne pas même nous connaître de
vue. Ne pouvant plus me défiler, je pénètre dans la maison à leur suite. La
porte est incroyablement étroite. Nous nous introduisons dans les lieux en file
indienne.
« Vous
n’ignorez sans doute pas que les Navajos faisaient ça tout le temps ? »
« A
vrai dire, non, je n’en savais rien. »
« Ah ?
Lucille ne vous a rien dit à ce propos ? »
« Ca
n’est pas sur ce point qu’elle a insisté pour me convaincre, en effet. »
« Vous
ignorez donc tout de leur exquise façon de célébrer la femme ? »
« Quasiment. »
« Mais
vous avez amené votre pierre ? »
« Pardon ? »
« Chaque
personne qui participe à un blessingway
choisit une pierre, ou même un petit objet. »
« Un
petit objet ? »
« Deux
ou trois si cela a une signification pour vous… »
« Assez
peu, je le confesse volontiers. A quoi servent ces… Ce sont des…sortes… d’offrandes ?
»
« Ne
me dites pas que vous n’avez jamais conservé par devers vous d’objets ayant une
valeur sentimentale certaine en attendant le bon moment pour pouvoir vous en
servir ? »
« … »
« Il
vous faut passer une minute avec l’objet entre vos mains afin de le charger de
toute votre énergie positive… »
« … »
« Mais
si ! Il faut charger votre machin de tout votre amour ! »
« … »
« De
tous vos vœux, quoi ! De toutes vos prières ! Est-ce que je sais, moi ?! »
« Heu… »
« Bref !
Il s’agit de votre participation à la confection du collier ! C’est pour
cela que nous sommes tous venus, non ? »
« Oh…
Putain… Un collier ? Ah, d’accord… »
« Bien
entendu ! Vous ne savez rien de rien ? C’est incroyable ! »
« Je
m’en rends bien compte mais… »
« N’oubliez
pas qu’il vous faut une pierre, un petit objet… Taisons-nous ! La Doula
arrive pour débuter le rituel. »
« Oh,
putain… »
Une
femme au sourire énigmatique entre tout à la fois dans la pièce et dans une tenue
grotesque. La panique s’empare alors de moi ! Je n’en scrute que davantage
les alentours, à la recherche d’un objet dont je ne sais encore rien sinon que
ne peut qu’en émaner une évidente valeur sentimentale. A la faveur de l’un de ces
précieux malentendus qui rendent parfois la vie si trépidante, mes yeux, à
présent hagards, cherchent à la hâte la chose qui pourrait me tirer du mauvais pas
dans lequel je me trouve. L’angoisse m’oblige à sortir un instant. Dans la rue,
l’idée de m’enfuir dans la nuit m’étreint. Ne trouvant aucune explication qui
pourrait élégamment conjuguer rationalité et courtoisie à fournir le lundi
matin aux divers collègues présents, je me ravise et me dirige de nouveau vers
la maison d’un pas lourd, non sans ramasser au passage deux ou trois saloperies
dans le caniveau.
« Oh,
putain… »
Toute
la pièce n’est à présent éclairée que par quelques fragiles bougies disposées d’une
manière que je juge sans doute trop promptement aléatoire.
La
maîtresse de cérémonie : « Parce que nous t’aimons, Lucille, et parce
que nous désirons te voir heureuse et ton futur enfant en bonne santé, nous te
confectionnons ce collier que tu pourras porter pendant l’accouchement et qui t’aidera
à en traverser les moments les plus difficiles. Ce collier nous le
disposerons tout à l’heure sur ton ventre. Et alors ce collier sera rempli par
les forces et les pensées positives conjointes de toutes les personnes
présentes ce soir et qui ont amenés un petit quelque chose à cet effet. »
La
maîtresse de maison : « Veuillez me remettre l’un après l’autre votre
objet chargé d’amour pour Lucille et son bébé ? »
File
indienne. Inexplicablement, j’en ouvre la marche…
« Où
étiez-vous passé ? »
« J’étais
sorti un instant pour… passer un moment tranquille avec mon… enfin avec çà. »
« Oh,
vous êtes garagiste ? »
On
ne peut pas toujours lutter :
« Oui. »
Un blessingway, hein ? Mais où est-ce que tu es encore allé te fourrer ?
RépondreSupprimerLes sombres méandres de l'Education Nationale sont sans limites...
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