« Mon
mariage ? Mais de quoi tu me parles, là ? Toi qui aimes le
cinéma, t’as déjà vu des films sur des groupes d’explorateurs, disons au Pôle
Nord ? Bien, le mariage mon grand, c’est le camp de base ! »
« … »
« Ben
oui ! Là, comme ça, je peux te sortir un truc du chapeau – un truc
personnel, hein ! – que même mon mari ignore et ça fait quarante-cinq ans qu’il
est mon mari ! »
Conversation
à bâtons rompus avec Louise M., la doyenne des femmes de ménages du collège où
je suis employé. C’était il y cinq ans. Louise M. est morte il y a deux mois.
« Eh
oui, c’est bien moi ! La première en partant de la gauche ! La
première. »
« Je
crois que… je ne t’aurais pas reconnue. »
« Je
sais bien, mon grand. Je sais bien. J’avais 18 ans. C’était en 1965 ! »
« Et
c’était… dans quel cadre ? »
« Une
soirée de bienfaisance à la con. J’ai oublié en faveur de qui ou de quoi, tu
penses bien. J’ai oublié le nom du gars avec qui j’y suis allé. J’ai oublié les
noms des trois filles à droite. La seule chose dont je me souvienne encore
aujourd’hui c’est de cette fille en bout de table : Gisèle Garnier ! Ca
peut te paraître idiot ou bizarre mais si un jour j’oublie tout, j’oublierai
Gisèle Garnier en dernier. Elle n’a pas été facile à battre Gisèle. C’était une
dure à cuire, ça tu peux me croire ! Elle aimait sacrément la vie, Gisèle :
vois comme tout ça l’amuse ?! Ah ! Gisèle, elle avait le plaisir dans
la peau, celle-là ! »
« Mais
tu as gagné tout de même… »
« Je
pense bien, mon grand ! Un peu que j’ai gagné ! Quinze d’affilée que je m'en suis enfilées ! Quinze ! Gisèle, elle, elle a calée à la
quinzième mais moi je l’ai terminée. Je l’ai finie parce que chez mes parents on
finissait toujours, ça tu peux me croire. »
« Et…
pourquoi tu as participé à un truc pareil ? »
« Oh,
ça ? Le pourquoi du comment ? Eh bien disons que pendant quelques
secondes j’ai été une sorte… d’héroïne. C’est ça : pendant une poignée de
secondes, pour une raison tellement stupide que je l’ai oubliée comme le reste,
aux yeux d’une bande de crétins vociférants que je n’ai jamais revus, j’ai été quelqu’un
d’extraordinaire. Je suis heureuse de cela. Voilà tout. »
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