Disons-le
sans ambages, je suis de parti-pris dans le litige qui oppose la petite Camille
au Ministère de l’Education Nationale.
La
petite Camille a quatorze ans. La petite Camille est en 3ème 6. Je
l’ai connue à onze ans. Elle était alors en 6ème 6. La petite Camille
est de toute éternité dans la classe des losers, rangée comme de juste du côté
des ténèbres. Au cœur de l’obscurité, c’est une élève régulièrement qualifiée
de « discrète » par mes congénères. La petite Camille ne fait pas de
bruit, en effet. Elle ne fait pas de latin ou de grec non plus. A l’inverse de
la mienne en son temps, sa mère n’a pas remarqué que seuls les parents élégamment
vêtus inscrivaient leurs enfants à l’étude des langues mortes. Ajoutons que la
petite Camille n’a pas pris allemand en première langue. Pas même en seconde
langue d’ailleurs. La petite Camille a choisi Anglais et Espagnol comme tous
les élèves de sa classe. C’est une enfant qui fait preuve d’une modestie
rarement prise en défaut, la petite Camille. En outre, et en dépit de son
appareil dentaire et de ses chaussures orthopédiques, elle est jolie comme un
cœur.
La
scène prend place au deuxième étage de l’établissement qui m'emploie. C’est
l’étage où je travaille. En salle 212. La salle avec un lavabo. Ce matin-là, je
viens de fermer la porte au nez de la petite Camille qui vient s’y présenter. Parce
que c’est l’heure de la récréation, des conversations absconses ou des traits
d’esprits approximatifs entre collègues, du café filtré dans un slip de prof
d’EPS que distribue une machine indifférente à son métier et de la clope du
matin qui permet d’exhaler une délicieuse puanteur dans la salle de classe lors
du cours qui suit immédiatement la pause. Bref, je n’ai pas une seconde à
consacrer à la petite Camille qui essaye pourtant de m’expliquer les raisons
qui l’amènent devant le huis de la salle d’arts plastiques. Conséquemment, je
m’éloigne, bonhomme et fredonnant, tout excité par les merveilles
susmentionnées. Avant que de ne m’engouffrer dans l’escalier au bout du couloir,
une rumeur me parvient néanmoins, furtivement.
« Qu’est-ce
que vous faîtes là, Mademoiselle ?! »
« … »
« Vous
n’avez pas lu le règlement intérieur, c’est ça ? »
« … »
« Et
le panneau d’avertissement placé sur chaque porte de l’établissement ? Pas
lu non plus j’imagine ? C’est à se demander pourquoi nous travaillons
tous ! »
« … »
« Bon,
qu’est-ce qui est écrit ici ? »
« … »
« Vous
avez peut-être besoin de lunettes ? »
« … »
« Mademoiselle,
laissez-moi vous dire une chose : figurez-vous qu’on ne devient pas une
adulte responsable en se comportant de manière aussi… tellement…
invraisemblablement inconséquente ! On ne peut pas toujours faire fi
de toutes règles, comprenez-vous ? Apparemment pas ! Pourtant sachez qu’on
ne peut pas toujours n’en faire qu’à sa guise dans l’existence ! Non, on
ne peut pas ! Et puisque vos parents semblent avoir échoués sur ce point,
il va bien falloir que quelqu’un vous l’apprenne !
Il y a des valeurs dans la société. Ici comme ailleurs… Vous ne pouvez pas les
ignorer plus longtemps ! »
« … »
« Et
pourquoi ne répondez-vous pas, à la fin ? »
Je n’entends
pas ce qui suit. Mais j’apprends plus tard que la petite Camille a écopé de
quatre heures de colle pour avoir répondu au bout de dix minutes à la
Principale du collège où je suis employé :
« Tais-toi,
s’il vous plait. »
Sur
le moment, je ne me suis pas davantage souvenu de ce qui avait précédé :
c’est moi qui avais convoqué la douce enfant pour qu’elle me remette un travail
qu’elle avait oublié la veille. Je l’ai trouvé glissé sous la porte à mon
retour.
Il
me semble, à bien y regarder, que tout ce qui est reproché à la délicieuse
enfant par le Ministère de l’Education Nationale est parfaitement infondé.
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