vendredi 12 mars 2010

Tant il est vrai que je porte casquette















Je songe souvent aux Chaussons rouges en ce moment. C’est un beau film de Michael Powell et Emeric Pressburger d’après le conte d’Andersen. Disons que je songe souvent au fait qu’un accessoire vestimentaire suffit à faire basculer toute une vie.

Comme le disais récemment notre ami Ernesto Palsacapa, avec cette fascinante faculté d’observation qu’on lui connait : « Le temps passe, on prend de l’âge, etc. » Bientôt la quarantaine ! La crise du même nom nous frappe de plein fouet ! Nous voici mis au ban de la jeunesse ! Cette folle jeunesse qui nous a vus mordre à pleine dents la cuisse ferme la vie nous proscrit soudain sans autre forme de procès : rides et ridules, bourrelets et poignées prolifèrent et s’amoncèlent à présent à la surface d’un corps qu’on ne reconnaît plus ! Certains savent alors faire face à la crise. Certains prennent leur courage à deux mains et le taureau de l’embonpoint par les cornes. Certains se remettent au sport… C’est un possible qui m’a traversé l’esprit je l’avoue. Suffisamment pour que je pousse furtivement, comme tant d’autres avant moi, la porte de chez GO-Sport… Mais là, rapidement égaré au rayon des cuissards de cyclistes, encadré de deux hommes d’âge mûr aux regards profonds semblant défier une ligne d’horizon qu’eux seuls paraissaient voir en dépit des étagements sans fin d’accessoires de toutes sortes, le courage passager m’abandonna pour franchir la sortie peu de temps avant que je ne le fasse moi-même. J’avais cependant arraché au passage une casquette… Coup de tête. Ce maigre butin n’allait certes pas faire de moi le sportif du dimanche où même d’un autre jour que je convoitais de devenir. Non. C’était évident. De dépit cette casquette est restée en disgrâce sur le porte manteau de l’entrée de longues semaines durant, peut-être comme un symbole flagrant de ma veulerie face à l’effort, ou un peu comme ces chats que l’on clouait jadis sur les portes des granges pour conjurer les assauts du Malin. Je l’avisais en sortant sans jamais songer à la porter. Je n’ai jamais porté de casquette. On ne saute pas le pas du jour au lendemain. Porter casquette est une idée à laquelle l’entendement doit se faire bien avant que la tête n’adopte les contours de l’objet en lui-même. Le face à face avec le miroir précédait chaque matin celui d’avec la porte. Et cet épisode se faisait, je l’avoue, de plus en plus pénible : l’embonpoint persistait ! J’ignore encore par quel prodige mais je lui fis face un matin la casquette solidement ancrée sur la tête… Fort de cette union, quelque chose bascula… J’en fus tout esbaudis ! En effet, telle une clef de voûte, le couvre-chef, de couleur noire et de modèle bombé, transfigurait une silhouette certes toujours bedonnante mais qu’on eu dit faites pour être couronnée de la sorte.

Portant haut l’artifice, je me rends au Fond Régional d’Art Contemporain de ma région. J’ai précédemment narré cet épisode sans m’attarder toutefois sur l’évènement qui ne cesse depuis de se répéter en toutes sortes de lieux, en maintes occasions : ma casquette semble fasciner l’entourage ! On la regarde, que dis-je on s’y mire ! On la touche, on la veut ! Le désir qu’elle inspire à l’autre semble n’avoir aucune limite ! Des liens sociaux, improbables, impromptus, se nouent sur son passage ! Les questions fusent à son propos ! Elle sème sur ma route, sous mes pas hasardeux, une pluie de commentaires très souvent élogieux ! On me complimente sur la façon dont la coiffe semble me peigner, chapeauter mes cheveux d’ordinaire un peu fous ! On m’invite à diner sur la seule foi d’une apparence qui semble taper juste dans des yeux jusqu’ici myopes à ma présence ! D’aucuns, entrevus chaque jour sans mot dire, m’entreprennent subitement au sujet de sa forme, de sa texture, de l’admirable manière dont elle me parachève ! Car j’étais incomplet, cette fois c’est bien certain… Et par deux fois en trois ou quatre jours je me rêve en Messie ! Si ! Ma casquette bien en place, comme prête pour le miracle… car en songe, qu’on se le figure bien, là voilà ma sainte casquette qui guérit les lépreux et toutes sortes de nécessiteux claudiquant aux quatre coins de mes nuits tourmentées. Une semaine de cet étonnant régime et me voilà ramené à une portion plus que congrue de mon être car la casquette de Dieu ou du Diable, c’est égal, s’évertue à faire de moi son pantin. Chiffe molle, me voici deuxième classe sous le képi doré d’un maréchal d’Empire ! Sans elle, je suis comme de juste d’apparence inintéressante ! Sans elle, je me meus en haillons dans une foule de badauds comme frappés de cécité ! N’allez pas croire à une simple crise de narcissisme. N’allez pas penser que je me flatte de porter beau la casquette. Ne croyez pas qu’un rien m’habille. Non. Je voudrais que tout cela cesse. Mais si de casquette point de trace au sommet de ma tête, ce n’est alors que déceptions cruelles qui figent sur mon chemin les corps et les visages. Alors vient le temps des reproches, celui où la vie sociale tourne au cauchemar – l’absence de casquette déliant tout autant les langues que sa présence ! Malédiction ! L’engrenage parait fatal ! Me voilà fait, j’en ai bien peur.

Me faudra-t-il, comme l’héroïne des Chaussons rouges, dansant jusqu’à ce que mort s’en suive, supporter jusqu’au bout les caprices de l’accessoire ? L’issue est incertaine. La lutte continue.



1 commentaire:

  1. "C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile."
    Messie ? Tu parles, Charles !
    J'ai bien peur que vous ayez perdu la tête.
    Cessez de chausser les Chaussons rouges et revoyez plutôt Le Voyeur. Vous vous sentirez tout de suite beaucoup mieux.

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