mardi 23 mars 2010

Notre sœur Anne ou la vérité sortie du trou

Anne aux trois noms : Anne de France puisqu'elle est fille de Louis XI, Anne de Beaujeu du jour où elle épouse Pierre, sire de Beaujeu, Anne de Bourbon lorsque son mari devient duc de Bourbon... Née à Genappe en 1461, au temps de l'exil de son père, et morte en 1522 à Chantelle, au cœur de la France, elle a connu quatre rois : Louis XI, Charles VIII, Louis XII et François Ier. On l'appelait aussi « Madame la Grant » parce qu'elle assura par deux fois la régence du royaume de France, lors de la minorité de son frère, Charles VIII (1483-1491), puis de l'absence du roi pendant la première guerre d'Italie (1494-1495). Mais depuis cinq siècles, l'Histoire l'a quelque peu oubliée.

Je confesse ici même qu’avant cette après-midi-là, passée dans un état de somnolence avancée, sur les bancs de la DRAC, j’ignorais jusqu’à l’existence de cette farouche souveraine. Tout comme m’étais inconnu l’existence d’un musée portant son nom. Au fil de ma rêverie, je me demande si Anne a seulement pu voir venir de son vivant ce qui se commet-là, en son nom et sous mes yeux, depuis bientôt une heure ? Un rude représentant moustachu du musée Anne de Beaujeu de Moulins dans l’Allier, nous présente en effet, à moi comme à trente de mes collègues en proie aux affres de la digestion, les innombrables bienfaits que le service du public du dit-musée est prêt à tout instant à prodiguer à qui en formulerait seulement le désir. Car en terme de culture, qu’on se le dise et qu’on se le dise bien, en Auvergne, ça se passe à Moulins, dans l’Allier. Il y a tout à Moulins. Tout. Une façade Renaissance – certes écroulée au 19ème siècle, mais ne chipotons pas : en voilà bien de la ruine de premier choix ! Le triptyque du Maître de Moulins est lui aussi au musée d’Anne. Oui, le « fameux » triptyque comme nous le dit notre rude représentant. Oui ! Le « fameux » triptyque ! C'est-à-dire inconnu, à l’instar du non moins fameux « Maître » qui régna en son temps et sans partage sur la production artistique de la ville. Le musée permet en outre au visiteur émerveillé de se repaître de « l’étonnant spectacle » que constitue la maquette du château de Moulins… Son « Power point » aiguisé comme un rasoir, notre représentant tranche tant et bien dans ce qui reste de nos doutes quant au bien fondé de son intervention lors d’un état des lieux de la culture en Auvergne. Ainsi nous montre-t-il non sans fierté ce qu’il faut bien nommer « Dépôt du fondeur » : des objets datant de quelques âges lointains, plus que ceux du capitaine et du président Giscard d’Estaing réunis semble-t-il. « Age de bronze ! » intervient un collègue aux yeux endoloris par l’ennui. « Qu’étaient donc ces objets ? » questionne sans détour le maître du « Power point » en Allier. « Trésor ou contenu d’une poubelle ? On l’ignore… Mais tout de même cela date de l’âge de bronze ! » Vient alors le tour des non moins fameuses « Figurines en terre cuite de l’Allier ». Elles sont Gallo-Romaines. Ce sont effectivement, et pour ce que m’en montre une image légèrement floue, des figurines en terre cuite dont on peut sans médire avancer qu’elles peuvent pour le moins provenir du beau département de l’Allier. « Avec des élèves de primaires – nous dit le Maître des lieux, à titre d’exemple – au musée Anne de Beaujeu on n’hésite pas à faire des moules ! Ceux-là – une image illustre ces dires – on les a collés sur une planche et on les a peint en bleu Klein ! Au musée Anne de Beaujeu on sait être complètement iconoclastes, on pousse les choses assez loin dans le trouble… » S’en suit la présentation d’une statuette représentant Saint Jean Baptiste et datant du 15ème siècle qui pousse encore un peu plus l’après-midi dans le trouble elle aussi. « On peut tout à fait la rapprocher de certaines œuvres du FRAC vous savez ! Nous, on n’hésite pas à faire ce genre de comparaison… au musée Anne de Beaujeu… » Vient alors une peinture imposante représentant Saint Martin donnant comme de juste son manteau à un mendiant. Notre moustachu, tout entier dévoué à sa mission d’évangélisation des païens de la capitale, croit alors bon d’ajouter : « C’est une grande leçon de morale et d’humilité qui nous est ici présenté. Ce qui est toujours intéressant avec des élèves ! » Je passe rapidement sur un retable du Maître de Francfort représentant l’Adoration des Mages et daté de la fin du 16ème siècle pour attirer l’attention du lecteur sur un nouveau commentaire bien senti de notre guide du jour : « On le sait bien, ouvrir un retable c’est un peu comme ouvrir le poste (NDLR : la télévision) : tout ça c’est le sacré ! » Fort de ce coup d’éclat sociologique que personne n’attendait, l’individu sort de sa manche l’un des plus beaux atouts du musée Anne de Beaujeu de Moulins dans l’Allier : l’assiette à décor « aux chinois » en faïence datant du 19ème ! C’est une reproduction de porcelaine de Chine comme l’énigmatique ville de Moulins en était parait-il friande à l’époque… S’ensuivent alors deux œuvres du faramineux Jean-Léon Gérôme, artiste académique bien connu des amateurs d’orientalisme : « L’aigle expirant à Waterloo » dont nous laisserons ici aux bons soins des imaginations galopantes la charge d’en deviner les finesses et « La vérité sortant du puits », allégorie traditionnelle et surtout prétexte pour ce vieux cochon de Gérôme à peindre une femme à poil pour la énième fois. Pour (en) finir, le musée Anne de Beaujeu n’a pas été peu fier d’exhiber longuement une œuvre d’un enfant du pays – Etienne D. – dont on n’a pu se cacher très longtemps qu’il s’agissait bel et bien d’un portrait de Nelson Mandela façon douanier Rousseau… Le problème d’un lien quel qu’il soit – probablement ténu – avec le reste des collections n’a pas été abordé car le temps imparti au service du public du musée d’Anne de Beaujeu à Moulins dans l’Allier touchait hélas à sa fin. Et déjà, la médiatrice culturelle du Musée départemental de la céramique de Lezoux s’apprêtait à sortir du puits…


A suivre...

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