jeudi 18 mars 2010

Je voudrais tellement que mon ordinateur marche


Avez-vous remarqué cela ? Les informaticiens sont fous.

Oui, oui, je me rends bien compte que cette affirmation a l’air absurde. Déjà, qu’est-ce qu’un informaticien ? Ça ne veut rien dire « informaticien ». Sous le terme d’informaticien, on regroupe pêle-mêle mille métiers qui sont tous plus mystérieux les uns que les autres pour qui ne voudrait qu’une chose simple : que son ordinateur marche. Ce sont des métiers aux intitulés incompréhensibles mal traduits de l’anglais. Leur point commun principal est que ceux qui les exercent vivent au dépens de ceux qui voudraient que leur ordinateur marche.

Et l’autre point commun dont je veux parler ici est le suivant : les informaticiens sont fous.

Mais pas d’une folie de bon aloi, évidente au premier regard. Pas de cette folie honnête et franche des mères de famille ou des boulangères (vous avez remarqué, vous aussi, que toutes les boulangères sont folles ?) dont chaque mot qu’elles prononcent révèle que leur cerveau n’a du monde extérieur qu’une perception hallucinée puissamment déformée par un intellect délirant.

Non, la folie des informaticiens est sournoise. Elle se dissimule. L’informaticien s’approche en souriant, avec cet air de supériorité bienveillante qu’affichent ceux qui ont toute la société derrière eux pour les soutenir. Que votre besoin soit frustre ou infiniment complexe, il vous promet des choses incroyables, des choses justes et belles et qui existent — vous les avez vues chez des gens ou à la télévision — mais qui vous sont pour l’instant interdites à cause de votre incompétence en informatique. Il vous détaille complaisamment ces merveilles en employant des termes techniques anglais qui ont la magie mystérieuse du latin des prêtres et des médecins de jadis. Vous l’écoutez et vous vous dites : « Pourquoi n’aurais-je pas tout cela, moi aussi ? Pourquoi n’aurais-je pas un calendrier avec les photos de mes petits enfants ? Pourquoi n’aurais-je pas un site internet ? Pourquoi ne pourrais-je pas jouer à Left for dead 2 en réseau ? Pourquoi n’aurais-je pas un cadre-écran avec des photos qui défilent ? Pourquoi ne pourrais-je pas changer la carte graphique de mon ordinateur ? Pourquoi, enfin ? Pourquoi ? » Et il abonde sournoisement dans votre sens : « Mais oui, pardieu ! Oui ! Pourquoi n’aurais-tu pas toutes ces merveilles, toi aussi ? N’est-ce pas ton droit ? Est-ce que tu vaudrais moins que les autres ? Certes, non ! Mets ton destin et celui de ton ordinateur entre mes mains et tout cela sera à toi ! Tout ! Tu n’as qu’un mot à dire... » Et vous dites alors que oui, vous acceptez son aide, oui, vous avez confiance en son savoir. Et vous confiez à cet informaticien votre projet chéri, personnel ou professionnel, grand ou petit, humble ou grandiose, vous le lui confiez. Il le prend dans ses mains moites et il l’emporte dans son antre. Et là, un début d’angoisse commence à s’emparer de vous.

En effet, le visage de l’informaticien commence à changer. Il est moins souriant, moins empressé. Vous voyez sur ses vêtements des tâches et des accrocs que vous n’aviez pas remarqués jusque-là. Il fuit votre compagnie, évite vos coups de téléphone. Votre beau projet n’avance pas vite. L’informaticien commence à employer des termes français non traduits de l’anglais tels que « contraintes techniques ». Il bredouille au téléphone. Votre beau projet n’avance plus. Vous vous inquiétez. Et c’est alors que la folie de l’informaticien éclate au grand jour. Son vrai visage se révèle, celui d’un être grotesque, malingre, fatigué, qui n’a pas de vie sociale, qui ignore l’art, qui n’a pas d’amis. Le pacte qu’il a passé avec les forces obscures pour obtenir la maîtrise des machines informatiques avait un prix terrible : il ne connaîtra jamais l’amour d’une femme. Et ses connaissances sont vaines : les merveilles qu'il vous a promises se révèlent être de bancals et inutiles bricolages informatiques. Il ne fait en réalité rien d'autre que passer ses nuits à célébrer d'étranges rituels technologiques courbé sur son clavier, ses yeux de hibou éblouis par la lueur de l’écran alors que d’une fête qui se tient dans un appartement voisin proviennent de la musique et les rires des gens qui voudraient que leur ordinateur marche mais qui ne savent pas le faire marcher, et qui sont heureux quand même.

Meurs, informaticien, meurs ! Ridicule et seul, abandonné par ceux que tu as trahis, meurs : personne ne te pleurera.

1 commentaire:

  1. Son ordinateur ne marchait pas et il en était fort marri. Quand un jour, il rencontra un preux informaticien dont il ne comprenait le langage. Il s’adressa malgré tout à lui, qui l’écouta, et le comprit du haut de son grand et beau destrier blanc : « Touchez ma bosse, mon bon seigneur informaticien. Mon ordinateur ne marche ». L’informaticien prononça quelques mots étranges, fit quelques signes cabalistiques, puis finit l’imposition des mains… Beauté et lumière émanait de sa personne... Et l’ordinateur marcha.
    Il conserva de ce jour une jalousie féroce envers l’informaticien car il n’arrivait pas à faire fonctionner son ordinateur et était constamment obligé de le redémarrer. C’est depuis qu’on le surnomme le « rebouteux »

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