jeudi 1 avril 2010

Querelle de chapelles


Il peut être difficile de s’en rendre compte de l’extérieur, mais le milieu de la musique contemporaine française présente la caractéristique amusante d’être divisé en chapelles. Elles sont peu nombreuses. On peut en gros estimer qu’elles sont au nombre de quatre : la chapelle boulézienne, la chapelle néo-tonale, la chapelle spectrale et la chapelle électroacoustique

La chapelle boulézienne est ainsi nommée d’après le compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez. Héritière de l’abandon des diktats de la tonalité réalisé au début du XXème siècle par la Seconde École de Vienne (Arnold Schönberg et ses deux élèves Alban Berg et Anton Webern), elle procède de la furie avant-gardiste de Pierre Boulez, célèbre dans les années 50-70 pour ses déclarations tonitruantes sur le fait que Chostakovitch n’est qu’une troisième pression à froid de Mahler, qu’il faut brûler les maisons d’opéra ou que les compositeurs qui composent encore de la musique tonale sont inutiles. Se considérant plus ou moins consciemment comme des compositeurs d’avant-garde, ses membres, tels que Philippe Manoury, Marc-André Dalbavie ou Bruno Mantovani, méprisent profondément les membres des autres chapelles.

La chapelle néo-tonale est ainsi nommée car les œuvres composées sous son obédience sont écrites en suivant plus ou moins strictement les règles de l’harmonie tonale. Héritière de compositeurs tels que Dimitri Chostakovitch, Benjamin Britten ou les membres du Groupe des six, elle se déclare indépendante des diktats de l’avant-garde boulézienne. Elle accuse la musique de cette dernière d’être trop complexe et trop cérébrale et d’avoir éloigné le public de la musique contemporaine. Se considérant comme les vrais héritiers de la tradition classique, ses membres, tels que Guillaume Connesson, Thierry Escaich ou Philippe Hersant, méprisent profondément les membres des autres chapelles.

La chapelle spectrale est ainsi nommée car les principes compositionnels que suivent ses membres sont issus de l’observation scientifique, rendue possible par les progrès de l’informatique, du spectre sonore. Héritière des tâtonnements de Giacinto Scelsi et du travail de Gérard Grisey, elle rejette les diktats d’une conception intellectuelle abstraite de la musique pour en revenir à son apréhension comme phénomène sonore. Elle met ainsi des moyens scientifiques au service de la composition d’une musique finalement étonnamment sensuelle. Se considérant comme les seuls vrais musiciens, ses membres, tels que Tristan Murail, Hugues Dufourt ou Philippe Hurel, méprisent profondément les membres des autres chapelles.

La chapelle électroacoustique est ainsi nommée car ses membres produisent de la musique au moyen d’ordinateurs et de divers dispositifs électroniques. Héritière de la musique concrète de Pierre Schaeffer et des œuvres de Pierre Henry, les compositions qui relèvent d’elle mêlent sons réels enregistrés et sons de synthèse pour produire une musique libérée des diktats de la notation et des théories musicales traditionnelles. Se considérant comme les seuls vrais compositeurs modernes, ses membres, tels que Luc Ferrari, Denis Dufour ou Bernard Parmegiani, méprisent profondément les membres des autres chapelles.

Ce qui est très amusant avec ces chapelles, c’est que, outre qu’elles existent et qu’elles se livrent à une guerre permanente, tout le monde agit comme si elles n’existaient pas. Un article de journal ne rattachera jamais un compositeur ou une œuvre à une chapelle. Aucun compositeur ne s’en réclamera ; vous ne verrez jamais un compositeur se prétendre boulézien ou spectral sur son site internet ou dans un interview. On ne mentionnera même pas l’existence des chapelles. On notera tout au plus, que, de la même manière que quelqu’un qui prétend n’être ni de gauche ni de droite est généralement de droite, un compositeur qui mettra une énergie particulière à expliquer qu’il est indépendant de toute chapelle est un compositeur néo-tonal. En somme, le milieu de la musique contemporaine a, par rapport aux chapelles, le même rapport que la société par rapport à la masturbation : ça existe, ça concerne tout le monde, mais on ne prend même pas la peine d’en nier l’existence, on fait juste comme si ça n’existait pas.

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Vous êtes démasqué ! Vous êtes un suppôt d'obédiance spectral : seul Scelsi a droit à son nom dans la sacro-sainte liste dite du libellé de fin de texte !

    J'en réfèrerai aux trois autres chapelles dans mon sermon de Dimanche!

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  2. C'est pas vrai, je suis d'un total œcuménisme. C'est juste que Scelsi, c'est mon petit chouchou et que j'en avais déjà parlé, ce qui justifiait donc que je le mette dans les mots-clés (et puis si j'avais mis tout le monde, ça en aurait fait trop).

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  3. Moi ce que je préfère dans la musique tonale, c'est la première note.

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