vendredi 16 avril 2010

Merveilleux est le monde du jeu vidéo


And all is seared with trade, bleared, smeared with toil ;
And wears man’s smudge, and shares man’s smell :
the soil
Is bare now, nor can foot feel, being shod.
And, for all this, nature is never spent ;

There lives the dearest freshness deep down things.



Oui, merveilleux. Regardez : si vous vous rendez chez un marchand de vêtements et que vous essayez un costume, la vendeuse va vous sourire et vous dire qu’il vous va très bien. Quelle valeur accorder à cet avis ? Si vous vous rendez chez un caviste et que vous lui demandez conseil pour l’achat d’un vin, il va vous sourire et vous conseiller un vin dont il vous dira qu’il est très bon. Quelle valeur accorder à ce conseil ? Si vous vous rendez dans une boutique de téléphones portables, la vendeuse va vous sourire et vous expliquer que c’est ce téléphone-ci et ce forfait-là qui vous conviendraient le mieux. Quelle valeur accorder à ces explications ?

Ces inquiétudes n’ont pas cours au pays du jeu vidéo : là, tout n’est qu’ordre et beauté. Je me suis rendu par un beau matin de printemps dans une boutique spécialisée pour me repaître de la vue des boîtes richement illustrées de quelques jeux que je convoitais. Ayant finalement décidé d’acheter ce jeu au titre aussi ridicule que prometteur de Warhammer 40 000 : Dawn of war II, je me suis dirigé vers la caisse avec la petite boîte en plastique à la main.

J’y fus accueilli par un très jeune vendeur au visage couvert de boutons et aux cheveux gras. En voyant la pochette chamarrée de Dawn of war II, son air maussade d’adolescent mal dans sa peau a laissé place à une expression de joie pure, presque enfantine. Son cœur s’envolant comme un faucon et ses yeux pétillant de plaisir, il me dit dans un murmure quasi-sensuel « Aaaah… Dawn of war II… un très bon jeu. Un excellent choix, monsieur. » et sous l’afflux des souvenirs heureux qui se rappelaient à lui, il ajouta, pensif « J’ai passé bien des heures avec ce jeu… oui, bien des heures ». Et il commença à fouiller devant lui pour exhumer de son comptoir les outils de sa profession, sac plastique, machine à carte bancaire etc. quand une nouvelle idée l’assaillit qu’il me fit aussitôt partager « En plus, c’est la "game of the year edition"… il y a de nombreuses choses en plus par rapport à l’édition normale ». Voyant le plaisir que j’éprouvais à cette révélation, il commença apparemment, malgré notre grande différence d’âge, à me considérer comme quelqu’un de sa race.

Et là, son désir de bien faire son métier en apportant pleine satisfaction à son client teinta son visage ingrat d’une soudaine inquiétude « Mais au fait, on ne l’expose pas en magasin mais bien sûr, on a aussi la Gold edition… ». Son inquiétude me fut aussitôt communiquée et je me penchai alors vers lui par dessus son comptoir pour recueillir sa confidence « La Gold edition ? Mais quelle est donc la différence ? » demandai-je. Pour toute réponse, il leva une main aux ongles noircis pour m’inviter courtoisement à la patience avant de bondir avec empressement vers l’arrière boutique.

C’est pendant sa courte absence que je m’aperçus de la présence d’une autre personne derrière le comptoir. D’habiles observations anthropométriques me permirent d’oser l’hypothèse que cette personne, une dame un peu forte d’un certain âge, était en fait la mère de mon si serviable vendeur. J’échangeais quelques mots polis avec elle et elle en profita pour m’assurer à son tour que Warhammer 40 000 : Dawn of war II était un très bon jeu, mais ses assurances sonnaient faux. Elles avaient cette marque immonde du mensonge commercial qu’ont aussi l’avis de la marchande de vêtements, le conseil du caviste ou l’explication de la vendeuse de téléphone portable.

Heureusement, son fils revint, brandissant la boîte, plus chamarrée encore, de Warhammer 40 000 : Dawn of war II "Gold edition". Il m’en vanta alors les mérites avec feu et sa parole était vérité. Nous nous accordâmes sur l’évidente supériorité de la Gold edition et sur l’erreur lourde de conséquences que je commettrais si je me contentais d’acheter l’édition normale. Pourtant, le jeune homme me prévint loyalement « Mais c’est vrai qu’elle est beaucoup plus chère… peut-être que l’autre édition suffirait, après tout… il y a peut-être mieux à faire avec ses sous… » mais je l’arrêtait aussitôt, blessé à l’idée qu’il puisse y avoir des questions d’argent entre nous. J’achetai alors la Gold edition et passai encore un long moment agréable et calme avec ce jeune homme à parler des mérites de ce l’on nomme, dans ce jargon que nous avons en commun, les real-time strategy games. Alors que nous devisions, sa mère le couvait d’un œil approbateur mais terni par le lucre : elle ne voyait dans cette aventure que le vil profit commercial habilement réalisé par son fils.

Je la saluai à peine en partant.

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