jeudi 1 avril 2010

Sans titre

C’est assez beau le visage de quelqu’un qui comprend quelque chose à quelque chose. Les yeux s’illuminent. Les traits s’adoucissent comme si l’on allait sourire. L’éventualité n’est d’ailleurs pas à écarter. C’est le moment où l’idée fait corps. Et ce moment se voit comme le nez au milieu de la figure. Transfiguration. Le corps ne ment jamais. C’est le moment de vérité. Et il est aussi beau que certains nez au milieu de certaines figures.

Je passe une merveilleuse après-midi au musée d’art moderne de Saint-Étienne. Pourtant j’y accompagne près de vingt huit crevettes d’environ onze ans. Cocktail d’anoraks multicolores sur son coulis de morves aux nez. Couleurs et textures de petits batraciens exotiques. Cocktail détonnant sur fond de murs blancs. Enfants fricotant de droite et de gauche. Commencements primesautiers et sautillants. Glop, glop ! Trois d’entre eux sont non-voyants et aucun n’est muet… Piaillements débraillés en proie aux rigueurs d’un silence qui serait pourtant de bonne tenue. D’ailleurs voici un guide et avec lui la garantie indispensable à toute aventure qui se respecte. Barbe de trois jours, veste noire sur chemise blanche ouverte au col, chaussures italiennes à bouts pointus. C’est bien un guide de musée d’art moderne et contemporain en costume réglementaire. Attroupement ! Le guide se présente. Regroupement. Il est calme et disposé. Il s’accroupit au beau milieu du bestiaire à peine sevré. Face à faces. La scène n’est pas si banale qu’elle en a l’air. C’est tout de même grand un guide quand on y pense, et à onze ans on a plus souvent qu’à son tour l’occasion de les regarder droits dans les genoux tous ces guides de tous ces musées dans lesquels on vous trimballe. En voilà un dont les yeux sont verts. Plus personne ne peut l’ignorer. Le corps ne ment décidément pas : un genou au sol, le guide se met au niveau de ses interlocuteurs, déjà transportés. Devant les Anatomies du désir de Victor Brauner, dessins de femmes mutantes à la croisée de l’être humain, de l’animal et de l’objet, et à la suite de notre guide, nous allons de Bob l’éponge à l’idée de la femme-objet en empruntant des chemins fréquentés par les Centaures comme par les Harpies. Posés comme des fleurs, dans la position du lotus, devant un dessin d’Erik Dietman, nous observons un crane – sombre présage – et nous l’observons tant et si bien qu’apparaît tout à coup une tasse… La Tasse du soir susurre Dietman aux vingt huit fleurs de lotus qui découvrent soudain la métaphore. Suivant le guide, ils passent de la tisane du soir au soir de la vie. Mais déjà le vent les emporte un peu plus loin, un peu moins tard. Avant de pénétrer l’obscurité pour y découvrir le travail d’Igor et Svetlana Kopystiansky, le guide leur annonce une vidéo – Incidents – tournée sur les trottoirs de New-York avec de l’aventure, de l’amour et des gags. Une brise soudaine agite l’assistance. Un courant passe. Une attente se crée. « Si vous avez déjà observé les gens dans la rue, leurs démarches, leurs tics, vous aimerez ce film… », ajoute encore le guide qui prononce les noms de Charlie Chaplin ou de Jim Carrey. À l’écran pourtant point de gens, seulement des déchets, battus par les vents, qui se déplacent en tous sens et de toutes les manières, tantôt fulgurantes, tantôt hésitantes, tantôt romantiques, tantôt grotesques. Sourires et éclats. Dans la dernière salle de la visite, des objets sous le contrôle de Loris Cecchini semblent se déplacer aussi, mais cette fois dans les propres murs – si propres – du musée ! Refusant jusque sous la torture de révéler le secret d’une magie toute contemporaine, le guide se sépare alors et à leur grand désespoir de deux douzaines d’enfants dont la curiosité, chauffée à blanc, se met alors à connaître plusieurs avatars différents : certains poursuivent le guide d’une question unique – comment s’appelle-t-il donc cet homme fascinant ? – d’autres s’interrogent sur l’orthographe de Cecchini, d’autres, enfin, souhaitent connaître la composition du pique-nique de leur voisin. Quelques uns sont restés devant la chaise immobile, là-haut, dans le mur, les sourcils froncés et l’œil écarquillé.

Voilà tout ce que je peux dire de cette visite au musée. Peut-être puis-je encore ajouter que le temps était de la partie. Quand au reste, comme le disait Igor Stravinsky à une rombière qui lui déclarait ne pas aimer Le Sacre du printemps : « Ça n’a aucune importance, Madame. »


1 commentaire:

  1. Le grand croque et le petit pince. Il demande : "Dis, Monsieur, c'est quoi un musée ?"

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