mardi 6 avril 2010

L’éveil d’Ernesto


Siddharta, ballet donné à l’Opéra de Paris en mars-avril 2010 ; chorégraphie : Angelin Preljocaj ; musique : Bruno Mantovani ; Les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet ; Orchestre de l’Opéra national de Paris ; direction : Susanna Mälkki.

Son estomac retourné par le ballotement du métro lui rappelant douloureusement qu’il avait bu une importante quantité de bière la nuit précédente, Ernesto se disait, en se rendant à l’Opéra Bastille pour assister pour la première fois de sa vie à un ballet, que les ballets, probablement, ça devait être à chier. Il se rendait pourtant à une représentation de ballet parce que c’est comme ça : dans la vie, on ne fait pas toujours ce que l’on veut. Les ballets, se disait Ernesto dans le métro avec morosité, il y en a de deux sortes : les ballets classiques et les ballets contemporains. Les ballets classiques, ce sont des anorexiques en tutu et des pédés en collants qui font des entrechats sur de la musique pompière du XIXème siècle, se disait Ernesto. Les ballets contemporains, ce sont des anorexiques à poil et des pédés en slip qui se jettent par terre sur de la mauvaise musique contemporaine, se disait encore Ernesto. Là, ce soir, il s’agissait d’un ballet contemporain. Un ballet sur la vie de Siddharta, inspiré du roman éponyme de Hermann Hesse, sur une musique de Bruno Mantovani, choregraphié par Angelin Preljocaj. Autant dire, se disait Ernesto, que je vais sacrément me faire chier, ce soir. Parce que, Ernesto osait se l’avouer dans son for intérieur, la vie de Siddharta, le futur Bouddha, il s’en foutait comme de l’an 40. On avait beau lui seriner que le bouddhisme, c’était à peine une religion, c’était bien plutôt une philosophie, il avait pour tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une religion un mépris quasi fanatique comme on peut en avoir pour l’auteur d’une action honteuse et lâche qu’il aurait été aisé d’éviter. Par ailleurs, Ernesto n’aimait pas non plus Hermann Hesse, un vieux bigot pontifiant, professa-t-il en pensée en se redressant fièrement sur son siège de métro dans lequel il s’était progressivement avachi. Il n’avait justement pas lu Siddharta, car, s’était-il dit, lire les livres d’un bigot pontifiant, c’est déjà beaucoup, mais encore lire les livres d’un bigot pontifiant sur Siddharta, non. Il y a quand même des limites à la tolérance que l’on peut avoir pour les bigots pontifiants. Quand à Bruno Mantovani, jeune compositeur à la mode d’obédience boulézienne, Ernesto n’avait jamais été touché par sa musique bien qu’il l’ait souvent entendue au disque et au concert. Restait Angelin Preljocaj, le chorégraphe et la star de la soirée, le seul d’ailleurs dont le nom apparaisse à l’affiche. Le matin même, s’éveillant avec une gueule de bois de classe 2, Ernesto l’avait entendu parler à la radio. Il avait pensé derrière son mal de crâne qu’il n’avait pas grand-chose de passionnant à dire sur son travail, cet homme. Ça ne veut certes rien dire, se disait Ernesto. On peut être un artiste génial et n’avoir rien d’intéressant à dire susceptible de toucher quelqu’un à travers une gueule de bois de classe 2. C’est un fait. Mais quand même, se disait Ernesto en descendant du métro, quand même : aller me cogner un ballet contemporain d’un chorégraphe albanais alors que je pourrais rester chez moi tranquillement, quand même, marmonnait Ernesto en descendant du métro, quand même.

Parce qu’assister à une représentation de ballet alors qu’on n’y est jamais allé, ça n’est pas rien. On ne connaît pas les codes, on ne sait pas ce qui est signifiant, bref, cela suppose un certain investissement intellectuel. Ernesto aurait certes pu se contenter de dormir comme une brique pendant la représentation. Mais son respect pour l’art combiné à une réticence venue de ses origines auvergnates à gâcher le prix du billet l’obligeaient à prêter honnêtement attention à l’affaire. Prêtant, donc, honnêtement attention à ce ballet, Ernesto s’aperçut de plusieurs choses. D’abord, la musique de Mantovani, si elle remplissait efficacement et même plaisamment son office de musique de ballet, il fallait bien arriver à la conclusion qu’elle présentait bien des poncifs propres aux compositeurs de la chapelle boulézienne et qu’elle ne tiendrait certainement pas la route si l’on s’avisait de la jouer seule, en version de concert. L’aspect narratif de l’affaire était, quant à lui, plus efficace que ce qu’aurait craint Ernesto. Le ballet racontait l’histoire de Siddharta qui lassé par la vanité de la vie à la cour et par sa femme partit à l’aventure dans les bois avec son cousin. Arrivant dans un monastère peuplé d’hermites, il y fut tenté par des tentatrices (les monastères, ça a beaucoup perdu, depuis, se dit Ernesto) et succomba à leurs charmes avant de se repentir et de se livrer à diverses mortifications pour arriver par ce moyen, guidé par l’Esprit de l’éveil, à l’Illumination (ou à l’Éveil, ou quelque concept fumeux avec une majuscule comme ça… non, Ernesto non plus ne savait pas ce que c’était que l’Illumination, mais ça avait l’air important dans l’histoire). Bref, une histoire banale et linéaire. Pas de quoi écrire à ses parents, vous dirait Ernesto. Mais une histoire néanmoins plaisante et racontée élégamment par des moyens visuels étonnamment efficaces pour qui n’a jamais vu de ballet. Et justement, puisqu’il s’agit de ballet, le gros morceau était bien sûr la chorégraphie. Et c’est là qu’est intervenu la surprise pour Ernesto. Une excellent surprise, même. Et quittes à employer des termes qui peuvent sembler excessifs et galvaudés, nous irions jusqu’à dire que ce ballet a ouvert à Ernesto de nouveaux horizons artistiques. Si. Comme je vous le dis. C’est que ce n’est pas tout les jours de sa vie d’adulte que l’on tombe sur une forme d’art qui semble infiniment riche mais dont on ignorait tout jusque là. Une bien fascinante chorégraphie, donc. Bon certes, comme prévu, il s’agissait d’anorexiques à poil et de pédés en slip qui se jettent par terre, indéniablement. Mais tout cela était bien beau, parfois même saisissant, extrêmement inventif, efficacement mis au service de la narration et en osmose remarquable avec la musique. Et en plus, et soyons honnêtes c’est aussi l’un des intérêts de la danse, il y avait des gonzesses à poil. Ça ne gâte jamais rien, même si elles sont anorexiques. Et c’est ainsi qu’Ernesto, lui-même éveillé par l’art, atteignant lui-même, par ce biais, l’Illumination, en serait presque passé d’une gueule de bois de classe 2 à une gueule de bois de classe 1, voire à une quasi absence de gueule de bois. Rien que pour ça, se dit Ernesto en remontant dans le métro, ça valait bien la peine d’aller au ballet.


PS : Quoi, je parle de moi à la troisième personne, et alors ? Je fais ce que je veux sur mon blog, non ?

3 commentaires:

  1. Ô que j'ai ri en lisant la description des ballets !

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  2. Merci, j'en suis ravi. Je pouvais d'autant plus librement étaler mes préjugés vulgaires sur la danse que je revenais dessus à la fin du texte.

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  3. Zut, je n'ai même pas remarqué que les danseurs étaient à poil !

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