lundi 27 décembre 2010

Reader's indigest

La période des fêtes. Les traditions de Noël. Les cadeaux.


Non, je ne vais pas commencer à râler et à dire du mal de tout cela. Non. Bon, bien sûr que c’est chiant. Surtout la tradition des cadeaux à faire à la famille. Ça, ça me tue. On y passe un temps fou avant les fêtes, on se creuse la cervelle pour savoir ce que l’on doit acheter, on se tape les magasins emplis d’hystériques qui ont les mêmes problèmes que vous, on dépense des sommes ridiculement élevées, on quitte Paris en train avec des sacs qui pèsent des tonnes, on se retrouve à offrir aux membres de sa famille des choses dont ils n’ont pas grand chose à foutre et à recevoir soi-même nombre d’objets onéreux, incongrus et inutiles que des gens qui ne vous connaissent pas vous offrent en tentant désespérément de vous faire plaisir et on se retrouve après les fêtes à en trimbaler par dizaines de kilos dans le train qui vous ramène à Paris.


Je ne vais pas râler. Ce ne sont que tentatives maladroites et touchantes des membres de votre famille, qui ne vous connaissent au fond pas du tout, de vous faire plaisir. Ne râlons pas. Pourtant, il y a quand même un point sur lequel j’ai besoin de me soulager un peu : ce que l’on appelle « les beaux livres ».


Les beaux livres sont une perversion monstrueuse de l’industrie éditoriale. Les beaux livres sont la plaie de l’honnête homme. Les beaux livres sont une infamie. Un « beau livre ». C’est pourtant prometteur, comme ça, dans l’absolu, l’idée de « beau livre ». Mais ce que l’on appelle un beau livre est une chose bien éloignée de ce que les termes « beau » et « livre » signifient normalement.


À la recherche du temps perdu de Proust, Crime et châtiment de Dostoïevski, La Montagne magique de Mann ne sont pas des "beaux livres". Le beau livre n’est pas un roman, le beau livre n’a rien à voir avec la littérature. Pour tout dire, le beau livre n’est pas acheté pour ses textes, bien qu’il en contienne. On peut même dire qu’on ne lit jamais les textes d’un beau livre, voire même que personne au monde n’a jamais lu le texte d’un beau livre.


Un livre de reproductions de peintures, le catalogue d’une grande exposition, un ouvrage des éditions Taschen ou autre du même genre consacré à un grand peintre ne sont pas de beaux livres. Un beau livre, bien que son « intérêt » repose essentiellement sur son iconographie, ne doit en aucun cas contenir des photos d’œuvres d’art ou présenter le moindre intérêt artistique.


Un livre de botanique, de zoologie ou d’entomologie contenant des illustrations de spécimens présentés de manière scientifique n’est pas un beau livre. Pour être considéré comme un beau livre, un ouvrage ne doit en aucun cas être susceptible de vous apprendre quelque chose.


Un livre de recettes de cuisine, un livre technique ou qui de quelque manière de ce soit pourrait vous servir à autre chose que caler votre frigo n’est pas un beau livre. Un beau livre ne doit être d’aucune utilité.


Non. Un beau livre est un livre gros, lourd, luxueusement imprimé, ostensiblement cher et qui illustre avec force photographies esthétisantes le sujet le plus grotesque et inintéressant que l’on puisse trouver. Ainsi, à titre d’exemple et pour illustrer mon propos, voici deux des beaux livres que je me suis vu offrir cette année pour la Noël.




Enfances du Monde
de Christophe Boisvieux
Éditions de Lodi
187 pages – 4Kg



Le monstrueux ouvrage improprement intitulé Enfances du Monde devrait plutôt avoir pour titre Images fantasmées d’enfants non-blancs du Monde entier. On ne verra pas dans ce livre d’enfant-soldat, pas d’enfant mourant de faim, pas d’enfant à l’œil crevé couvert de mouches mendiant avec ses parents dans un caniveau de New Delhi. Tel n’est pas le propos de cette publication au caractère joyeusement crypto-raciste qui propose au lecteur des photos d’enfants souriants et bien nourris de tous les pays non-occidentaux de la planète revêtus de ces tenues chamarrées que l’on suppose si caractéristiques de tous ces endroits. Une lecture fascinante.





La Terre face aux risques majeurs
de Marianne Boilève
avec une préface de Nathalie Kosciusko-Morizet
Sélection du Reader’s Digest
192 pages – 2,5 Kg



Étonnant ouvrage que celui-ci qui nous propose sur un ton écolo-vichyste un tour d’horizon de toutes les catastrophes qui peuvent s’abattre sur nous, décomptant avec gourmandise le nombre de morts qu’a causé tel tsunami, chiffrant avec d’extatiques frissons les milliards de dollars de dégâts qu’a occasionné tel tremblement de terre, étalant avec fatuité les tableaux de l’échelle de Saffir-Simpson permettant de classer les dégâts des cyclones tropicaux de l’Atlantique Nord et du Pacifique Nord-Est (pour les autres cyclones, il convient de se reporter à l’échelle de Dvorak, curieusement non reproduite dans l’ouvrage), proposant même de petits récits-fiction sur le mode du « et si… » : et si la raffinerie de Feyzin explosait ? Et si une crue exceptionnelle ravageait Paris ? Rigolade assurée pour petits et grands autour du sapin en Province.


Mais ce qu’il y a de plus horrible dans les beaux livres, c’est de se demander pourquoi on vous les a offert. On pourrait se rassurer en se disant que les membres de votre famille n’ont fait que vous acheter les livres qu’ils aimeraient avoir si jamais ils se mettaient à avoir envie d’avoir des livres. On pourrait même se dire qu’ils n’ont fait qu’acheter ce qui qui se fait, ce qui est en tête de gondole au rayon librairie de Leclerc. Mais on aurait tort de croire cela. Les gens de votre famille veulent sans aucun doute sincèrement vous faire plaisir et se sont creusé la tête pour dénicher le livre qui pourrait, selon eux, vous plaire. Le beau livre que vous découvrez avec horreur sur vos genoux en arrachant le papier cadeau criard sous le regard interrogateur de celle qui vous l’a offert est une chose bien plus horrible encore que ce dont il a l’air : il est le reflet de ce qu’elle pense de vous.


Moi, donc, on m’a offert La Terre face aux risques majeurs préfacé par Nathalie Kosciusko-Morizet. Que dois-je en penser ? Dites ? Hein, dites ?

3 commentaires:

  1. Moi je les appelle "les destructeurs de plexus solaires" (au cas où on veuille les "lire" dans le lit). On eu pu ajouter qu'il faut une bibliothèque aux dimensions stupide pour ranger ces saloperies.
    J'aime beaucoup ce que tu écris.

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  2. Merci.

    Fort heureusement, mon plexus solaire et ma bibliothèque vont bien puisque j'ai revendu ces deux splendides ouvrages dès le 26 décembre...

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  3. Mais qui peut acheter des trucs pareils ? les fêtes de Noël étaient pourtant passées!

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