jeudi 23 décembre 2010

Le fugitif


Paridil s’éveilla comme rasséréné ce matin-là. Son calamiteux exploit de la veille n’en n’était pas moins un exploit après tout. Quand on y songeait bien, Paridil avait agit en toute bonne foi et fort courageusement. Evidemment, il fallait y songer bien. Or Paridil ne pouvait s’empêcher d’y songer sans cesse : avait-il quoi que ce fût d’autre à quoi se raccrocher pour ne pas complètement perdre toute estime de lui-même ? Et de fait, il y pensait encore en arrivant sur son lieu de travail.

Le centre des impôts de Ratnapura occupait le centre de la vie de Paridil car Mâdharasi la reine des femmes y œuvrait avec lui au partage des richesses. D’ailleurs Paridil n’avait-il pas agit dans ce sens en récupérant un portefeuille que rien n’indiquait qu’il ne fût pas le résultat de quelques larcins ? Pendant que les pensées de Paridil le conduisaient doucement à la marge de la société, au centre l’ambiance était explosive ! Mâdharasi gesticulait furieusement en vociférant derrière la vitre de l’aquarium géant auquel on ne pouvait que songer à la vue de son bureau. Des bans plus ou moins compacts de collègues se déplaçaient autour d’elle comme autant de réfugiés courant sous les bombes de quelque ville en proie à la folie ! Paridil sentait bien qu’un problème de taille agitait le bocal de l’idole de sa vie et il se mit immédiatement en tête comme en devoir de le régler, fort de son nouveau statut de justicier. De son côté de la vitre, la grande prêtresse de l’amour de loin se mêlait à ses semblables pour les haranguer comme l’eut fait une prédicatrice cocaïnée et ivre de cette conviction de l’imminente disparition des champs de coca en particulier et de toute forme de civilisation en général…

C’était néanmoins d’un pas assuré que Paridil s’approchait de la déesse furibonde et de son entourage paniqué qui n’avait visiblement pas d’autre issue que de filer doux… Alors qu’il allait pénétrer dans le saint lieu – le divin bureau – les cris de Mâdharasi se firent plus distincts à ses oreilles de héros de la veille :

« Non, mais vous ne vous rendez pas bien compte ! Miran ! Miran Kadriov ! « Le » meilleur ami de Murthy, mon fils chéri ! Un jeune sans histoire avec la vie devant lui… Agressé ! Rudoyé ! Détroussé ! Trainé en plein dans la fange ! Au su et au vu de tous ! En plein jour ! En plein Ratnapura ! Mais dans quelle société vivons-nous !? Ca aurait pu être n’importe lequel de vos enfants, m’entendez-vous… »

Paridil blêmit en entendant ces mots. Reconnaissant sa prouesse, au travers de la langue chamarrée de sa déesse, il fut pris de panique et n’eut plus qu’un seul désir : disparaitre ! Ainsi amorça-t-il quelque pas en ce sens, adoptant une attitude à la fois très éloignée de sa récente et triomphale arrogance de héros et très proche – trop pensa-il – d’une aussi lamentable que caractéristique fuite de pleutre. C’est alors que Mâdharasi le pointa du doigt et qu’à la suite de l’appendice céleste tous les regards se tournèrent vers lui !

« Tout ce qu’on sait pour l’instant de l’agresseur, c’est qu’il portrait un anorak violet et orange vif comme le tien, Paridil Bakshi ! »

Paridil crut tout d’abord qu’un rayon maléfique l’avait désintégré puis constata avec soulagement le bon ordonnancement de ses molécules. Mais sa joie fut de courte durée car déjà, le feu roulant des regards braqués sur lui l’amenait à ne désirer rien tant qu’un anéantissement rapide et discret !

« Oh, vous savez, c’est un modèle très courant… Très. »

« Là n’est pas la question ! Rends-toi plutôt compte : personne n’a pris la défense du pauvre garçon ! Alors que l’agresseur a été décrit comme étant de taille plus que moyenne et était accoutré de la sorte ! Et bien personne n’a levé le petit doigt ! En plein jour ! En pleine ville ! »

Paridil eut alors des visions d’Afrique. Ses visions d’Afrique. Celles qui lui venaient à l’âge où il considérait encore le continent comme un seul pays lointain, une unique et précieuse promesse d’aventures. De celles qui, enfant, lui permettaient de s’imaginer en vétérinaire héroïque soignant les animaux en danger, les sauvant d’odieux braconniers comme de cent autres périls. Que s’était-il passé ? Qu’avait-il fait de cette existence pleine de bruits et de fureur qui aurait dû être la sienne ? Par un raccourci traumatique, Paridil prit violemment conscience de sa situation réelle de contrôleur des impôts, amoureux aussi transi qu’éconduit, chasseur invétéré et agresseur d’adolescent encapuchonné ! Une honte sans nom d’être au monde le gagna comme l’on gagne un lot grotesque dans une fête foraine de cauchemar ! Paridil avait toujours eu, au fond de lui, bien des difficultés à accepter de n’être pas quelqu’un d’exceptionnel. Pire ! De n’être rien d’autre qu’un clampin parmi d’autres lui était une pensée repoussante. Depuis toujours, lorsqu’il entrait quelque part, les regards se détournaient rapidement de lui. Il n’avait jamais été celui qu’on attendait. Il n’avait jamais rien eu de l’heureux élu. D’après ses propres calculs, si 1 euro lui avait été octroyé à chaque fois qu’on s’était intéressé à lui, Paridil serait à la tête d’un pécule d’environ trois euro. Mauvaise fortune et bon cœur, telles étaient les devises d’une vie de peu, se disait-il en secret. Ne se tenant pas en bien haute considération, il se devait d’être extraordinaire aux yeux du monde. Pourtant il sentait qu’il lui était impossible de déchoir face à l’enfant de jadis, d’avant le désamour de soi, et que pour ce faire il lui fallait repartir de sa simple condition de frêle créature égarée dans un labyrinthe de conneries entassées avec plus ou moins de soin tout autour de lui depuis 48 ans. Il fallait repartir de zéro ou tout au moins de pas grand-chose, de quelques bases saines : une petite vérité de rien pourrait même faire l’affaire. Non, il n’était pas un héros. Et oui, il lui fallait rendre des comptes au petit enfant roux, frisé et rêveur qu’il fut et qui venait de se réveiller. Il le fallait parce que Paridil préférait de loin s’expliquer avec ce nabot qu’avec la Reine des femmes en personne ! Il s’agissait d’éviter les ennuis à un tel niveau : l’idée d’être découvert et que Mâdharasi le boude à jamais le glaçait déjà ! Par ailleurs, c’était-là sa chance de regagner un peu d’estime à ses propres yeux. Paridil décida qu’il lui fallait rendre le portefeuille à son propriétaire. Mais comment faire cela sans se démasquer et subir l’opprobre ? La droiture avait ses limites et l’enfant qu’il fut n’avait aucune envie de comparaitre devant un tribunal d’adulte qu’il ne reconnaissait pas puisqu’on ne pouvait y juger que des infractions d’adultes !

Paridil s’enferma donc dans son bureau afin d’y tramer, d’y ourdir, d’y échafauder sans répit les plans les plus subtils pour effacer sa faute en restituant son bien au jeune Miran… Paridil s’efforça de se concentrer et au bout de quelques minutes il sentit soudainement comme une vibration… mais ce n’était que son portable.

« Allô ? »

« Paridil, c’est Putholi bis. »

« Oh… Bonjour, comment vas-tu ? »

« Très bien et toi ? »

« Et bien je… En fait ça va. »

« Bon. »

« Oui. »

« Alors ? »

« Alors quoi ? »

« Et bien ta sortie au musée Alice Taverne… Tu m’as invitée hier et on a décidé de venir. C’est bien le musée de la vie quotidienne ? »

« Ah… heu. Ecoute je vérifie s’il est ouvert aujourd’hui et je te rappelle. Je partais déjeuner là et… »

« Oui, pas de problème. Je comprends. A tout à l’heure. »

De la même façon que la source murmure simplement la quantité d’eau qu’elle débite – comme disait Maupassant qui s’y connaissait en vie quotidienne – ce que dit Paridil ne correspond jamais qu’à la quantité de « vide » à laquelle il doit faire face et au volume de « pression » qu’il se fait ainsi subir. Ces deux mots l’obsèdent à un point tel qu’ils lui font souvent dire mille et une choses dont il ne garde par la suite qu’un vague souvenir. Ainsi accumule-t-il les projets pour oublier qu’il porte depuis toujours en lui sa solitude comme d’autres accumulent sur leurs étagères des photos d’eux-mêmes pour se convaincre qu’ils ont une vie riche et passionnante.

Il n’y a rien de plus déprimant que d’arriver chez des gens et de constater qu’il n’y a, aux murs, que des photos d’eux. C’est ce que se disait Paridil assis sur son canapé face aux innombrables photos le représentant, lui et son épouse – Amaïdhimalar-riche-de-sa-tranquillité depuis leur divorce – au fil ténu de trop nombreuses années d’un mariage de raison devenu si peu raisonnable. C’est donc déprimé que Paridil continuait d’ourdir, de tramer et d’échafauder sans succès. C’est alors que, de nouveau et fort opportunément, le téléphone sonna.

« Allô ? »

« Paridil ? Padaïthalaïvan à l’appareil ! »

« Oh, salut Padaï… Quoi de neuf ? »

« Une petite virée à la chasse ça te dirait ? Rien que toi et moi… »

« Toujours, tu le sais bien. »

« Alors topons-là ! »

La campagne des environs de Ratnapura était splendide. Le ciel, d’un bleu soutenu, offrait aux regards des deux hommes tout de vert vêtus des visions enchanteresses de nature opulente et radieuse.

« Et au boulot, comment ça va ces temps-ci ? », demanda à Padaïthalaïvan-le-chef-de-guerre, et accessoirement policier à Ratnapura, un Paridil soucieux du quotidien de son chasseur d’ami.

« Oh, le train-train. A part cette affaire d’agression en plein centre de Ratnapura. T’es au courant. C’est ma brigade qui s’en occupe. Et c’est moi qui ai pris la déposition du gamin. Un drôle de gamin, d’ailleurs. Avec un nom ridicule : Miran, je te demande un peu… Difficile à cerner le môme. »

« Comment ça ? »

« Et ben, encapuchonné comme un voyou mais le genre à n’avoir que des vingt à l’école. Possédé, le môme ! Pas moyen de discuter avec, tu vois ? »

« Moui… Et que… enfin… Vous avez tout de même un peu parlé j’imagine ? Qu’est-ce qu’il t’a raconté ? »

« Il a surtout décrit son agresseur : un petit rouquin à lunettes dans un anorak bariolé ridicule. On a même fait un portrait-robot. Tiens ! Regarde-moi ça ! J’en ai gardé une photocopie… Quelle tête d’abruti, non ? »

Paridil écarquilla les yeux d’épouvante sur le visage fort heureusement bien schématique.

« Je… je le trouve plutôt impressionnant, moi. Je n’aimerais pas le croiser au coin d’une rue à la tombée de la nuit. » – commenta-t-il.

« Moi, je trouve que c’est rien qu’une tête d’abruti ! Pas de quoi se mettre la rate au court-bouillon en tous cas ! On va le trouver, le coincer et au trou ! Pas d’inquiétude, crois-moi ! On n’est pas assez durs dans notre société laxiste avec des petites vermines dans son genre. Si c’était que de moi, je te dis que ce genre de malfaisants je les… »

« Oh, regarde ! Un lapin droit devant ! » – hurla Paridil pour créer une diversion et mettre le holà à l’angoisse dévorante qui s’était abattue sur lui depuis le début de la conversation !

L’étau se resserrait ! Paridil avait agressé le meilleur ami du fils de la personne à laquelle il tenait le plus au monde et était traqué par l’un de ses meilleurs amis. Il fallait pour le moins qu’il se débarrasse de l’objet du délit. Dans un accès de panique, il pensa d’abord à jeter le portefeuille dans la première bouche d’égout venue. Puis il se ravisa, empaqueta maladroitement l’objet de ses craintes en prenant des gants et fonça au bureau de poste le plus proche… qu’il trouva fermé pour cause de grève reconductible !

Comme il fallait faire vite, Paridil décida de prendre tous les risques !

« Allô ? Hrundi ? »

« Paridil ! Alors, ça filoche ? »

« Pas tant, pas tant ! Je suis… comment dire… dans une merde noire ? »

« Je le sais bien, crois-moi. Mais comment t’aider ? »

« Non, tu n’y es pas : je suis réellement et complètement dans une merde noire ! »

« Plus que d’habitude, veux-tu dire ? »

« Nettement plus. Incroyablement plus. »

« Ah… Puis-je avoir des détails ? »

« Je n’ai malheureusement pas le temps de t’en donner. Veux-tu bien simplement répondre à ma question ? »

« Qu’elle est-elle ? »

« Si tu te retrouvais en possession d’un objet qui te brûle les mains et dont tu doives – conséquemment – te débarrasser au plus vite, le restituer à qui de droit… Comment t’y prendrais-tu ? »

« Voilà qui est bien obscur, Paridil, mon grand… Pourquoi ne pas aller sonner à la porte de l’intéressé pour lui rendre son bien ? »

« Ce n’est pas une option… »

« Veux-tu dire par là qu’il te faut rester… anonyme ? »

« Précisément. »

« Ainsi donc tu ourdis, tu trames, tu échafaudes ! Toi, l’homme sans vice… Essaye donc sa boite aux lettres ? »

« Elle n’est pas normalisée : la fente est trop petite… »

« Comment peux-tu en être sûr ? Tu as essayé ? »

« L’ « objet » est resté coincé : j’ai eu toutes les peines du monde à le récupérer sans l’endommager… Je me suis profondément entamé la main. Je pissais le sang, j’ai paniqué ! Sans compter les passants qui se demandaient bien ce que je fabriquais… J’ignorais s’ils allaient appeler une ambulance ou la police ! Alors j’ai dû m’enfuir et… »

« Tu t’es enfui ? »

« Je n’ai pas osé remonter dans ma voiture de peur que quelqu’un note le numéro de ma plaque minéralogique… »

« Tu veux dire que tu as laissé ta voiture sur place ? Que tu es rentré chez toi à pied ? »

« Oui. Quinze kilomètres ! D’ailleurs ça m’arrangerait que tu ailles récupérer ma voiture, je n’ose pas retourner là-bas. Quelqu’un pourrait me reconnaître. Tu viens toujours ce soir ? »

« Heu… Oui c’est ce qui était prévu. Mais dis-moi ne serais-tu pas un peu… Ne le prends pas mal, c’est un mot rien de plus : paranoïaque ? »

« Non, je t’assure. »

« Complètement à la masse te convient-il davantage ? »

« Ecoute, j’ai quelques soucis là tout de suite et… »

« La merde noire, je sais. As-tu essayé de laisser ton mystérieux objet sur le palier de ta mystérieuse personne ? Devant sa porte, quoi ? Avec un mot non signé ? »

« Ca non plus ce n’est pas une option : il y avait un code pour accéder à la cage d’escalier… Et puis je ne peux pas me permettre de trop me balader dans son quartier ! »

« Qui est cette personne ? »

« … »

« Un cocu furieux ? »

« Non. »

« Un amant Pédé ? »

« Non ! »

« Une… femme ! »

« Non plus. Ecoute : je dois trouver une solution et vite… »

« Alors une fois dans ta vie fais donc ce que font les gens et va aux « objets trouvés » puisque tu as trouvé un objet. Tu l’as bien trouvé cet… « objet » ? »

« Pas exactement… »

« Acheté ? »

« … »

« Oh ! Paridil ! Vilain garçon : se pourrait-il que tu aies commis quelque rapine ? »

« Ma voiture n’est pas fermée et il y a un double des clés derrière le pare-soleil passager. Voilà l’adresse où tu pourras la trouver. C’est à deux pas de la gare ! Un véritable jeu d’enfant, crois moi… »

« Bonjour, c’est bien le bureau des objets trouvés ? »

« Absolument, monsieur ? »

« Dites-moi, j’ai trouvé ce portefeuille et… »

« Où cela, monsieur ? »

« Et bien juste là, figurez-vous, dans la rue. Et je souhaiterais que son propriétaire le récupère… »

« C’est très louable de votre part, monsieur. Il y a tellement de gens malhonnêtes de nos jours. Si d’aussi généreuses intentions vous animent, je suggèrerais volontiers à monsieur de téléphoner au « perdant », à ce monsieur… Kadriov ? Ne croyez-vous pas que ça serait plus simple ? », expliqua l’employée en avisant la carte d’identité contenue dans le portefeuille.

« Mais… C'est-à-dire que… »

« Hum… Il s’agit-là d’un objet d’une valeur clairement inférieure à cinquante euro… Conséquemment et pour notre part, nous ne lui rendrons que s’il vient le réclamer d’ici quatre mois. Au-delà de ce délai vous – « l’inventeur » : c’est le terme consacré – pourrez nous le réclamer. Cependant le « perdant » pourra dès lors vous le réclamer à son tour pendant trois ans. Si aucun de vous n’en veut, l’objet sera alors vendu au bénéfice de l’état. Bien maigre dans le cas présent. »

« Pourquoi n’appelez-vous pas vous même ? N’est-ce pas ce qu’on est censé faire ici ? C’est idiot de… C’est la règle ? »

« Non, monsieur : c’est la loi. »

« Hum… Ecoutez, je n’ai ni le temps ni l’envie de m’occuper de tout cela, l’objet est intact, je vous le confie. Au revoir et merci. »

« Bien, monsieur. Une minute, monsieur, j’allais oublier : il faut que vous me remplissiez ce formulaire. Pure formalité. Personne ne s’y intéresse en général. Mais c’est la loi, comprenez-vous ? »

Pressé d’en finir, Paridil remplit le formulaire de façon machinale puis s’en fut…

« Allô, Paridil ? »

« Heu… Oui. Putholi bis, c’est toi ? »

« Ben oui… On avait rendez-vous… A ton initiative… On t’as attendu et… »

« On ? »

« Ben oui… Putholi et moi. »

« Mais c’est à toi que j’avais proposé de… Enfin je veux dire à toi seulement… »

« Oui, bon, peu importe ! De toute façon tu n’as pas cru bon d’honorer ce rendez-vous de ton auguste présence ! »

« C'est-à-dire que… »

« Tu es un gros mangeur ! »

« Pardon ? »

« Je t’ai appelé huit fois et huit fois tu m’as répondu que tu allais déjeuner. Tu as peut-être le vers solitaire ? »

Paridil se voyait un peu à ce moment-là comme un spécialiste de la mort lente, un professionnel de l’agonie. Il était pour ainsi dire prêt à « jeter les chatons dans la poêle à frire » selon l’expression bien connue de sa défunte grand-mère maternelle.

« Ecoute, c’est amusant que tu me parles de ça parce que j’ai justement invité Padaïthalaïvan et sa femme ce soir à diner et je me demandais si tu aurais souhaité te joindre à nous ? »

« Hum… Tu passes vraiment une moitié de ton temps à essayer de te rapprocher des gens et l’autre moitié à tenter de les fuir. Bon, attends un instant, je vais demander à Putholi si ça l’intéresse. »

Et voici Paridil recevant ses quatre convives. Et tout est pour le mieux. Certes il ne parvient pas à inviter Putholi Bis sans Putholi première du nom. Certes son repas est trop cuit et ses hôtes le mâchent avec une certaine difficulté. Certes il songe déjà au vide dont chacune des pièces de sa demeure résonnera lorsque ses amis seront rentrés chez eux. Certes il demeure un fugitif, un homme traqué par le vide et qui dès lors peine à faire face aux choses comme aux êtres. Certes et de fait, l’angoisse de l’instant suivant isole presque hermétiquement Paridil de l’instant présent. Certes. Mais il a bien rendu le portefeuille ! Et ensuite il à bien allumer un feu de joie dans son jardin avec son anorak comme combustible ! Et alors Paridil à bien dansé tout autour en laissant éclater quelque chose qui se situe entre le soulagement et la joie. Hélas la sonnerie du téléphone retentit une fois encore alors que Paridil s’affairait dans la cuisine à faire brûler une tarte aux pommes.

« Putholi bis, tu veux bien répondre à ma place, je suis occupé », demanda Paridil.

« Allô ? »

« Allô, Madame Bakshi ? »

« Absolument pas. Qui est à l’appareil ? »

Lorsque Paridil arriva avec une tarte charbonneuse et encore fumante, Putholi bis le déclara « héros du jour » !

«Oh, ce n’est qu’une tarte aux pommes, trois fois rien, tu sais. Et en plus j’ai peur qu’elle soit un peu trop cuite… »

« Non, ce n’est pas pour la tarte. Je viens d’avoir un jeune homme au bout du fil qui m’a dit que tu avais retrouvé son portefeuille qu’un type lui avait volé hier et il avait l’air tellement heureux… Il te considère comme un vrai héros, crois-moi. »

Paridil devint plus pale qu’une lingette dans son sachet étanche.

« Comment s’appelait ce jeune homme ? », intervint alors Padaïthalaïvan.

« Il ne l’a pas dit… » – répondit Putholi bis.

Paridil en fut soulagé jusqu’à ce qu’elle ajoute : « Mais on va le savoir bientôt, il m’a dit qu’il comptait passer pour remercier son bienfaiteur. Il a obtenu ton nom par le bureau des objets trouvés et je viens de lui donner l’adresse, il sera là dans un quart d’heure. »

Son tablier fleuri autour des hanches, les mains prisonnières de deux maniques orange et violette, Paridil ne voulu plus rien tant que s’abandonner à une chute sans fin. Il se souvint alors des mots récurrents de sa grand-mère paternelle cette fois quand ils jouaient tous deux aux hors-la-loi et qu’à la faveur d’une difficulté la vieille femme ne manquait jamais de rappeler à son bandit de petit-fils que « ça n’était pas le moment de lâcher la rampe ! »

Paridil et ses deux aïeules allaient devoir faire face !



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