jeudi 28 octobre 2010

À l'Ouest...

Résumé des épisodes précédents : Paridil dit l’homme-sans-vice n’a qu’un désir dans l’existence : n’être que glaise sur le grand tour céleste entre les mains divines de Mâdharasi dite la-reine-des-femmes, être de feu, créature de toutes les passions à l’exclusion d’une seule : la poterie.

C’est ce résumé – ou quelque chose d’approchant – que Paridil se fait à lui-même chaque matin au réveil. Et chaque matin, c’est le même Nirvana qui lui tombe sur la tête. Observons Paridil dans son grand lit deux places « Monsieur Meubles ». Il occupe approximativement le même volume d’espace que lorsqu’il partageait cette vaste couche avec Amaïdimalar-riche-de-sa-tranquillité, son ex-épouse. Après sept ans, c’est à peine s’il ose, de temps en temps, laisser courir une jambe de cet autre côté du lit connu pour n’être pas le sien. Les commissures de Paridil se soulèvent à intervalles réguliers jusqu’à ce qu’un large sourire finisse par lui barrer tout le visage. Face à semblable spectacle, il n’y a qu’une seule explication : Paridil dort encore. Soyons à présent attentifs au radio-réveil : il indique sept heures et le voilà qui sonne déjà ! Paridil n’a jamais obtenu de cet appareil qu’il accomplisse conjointement ses deux fonctions principales : en lieu et place du doux ronronnement de la radio, il n’a droit chaque matin qu’à la pénible rengaine du réveil. Ainsi doit-il supporter au quotidien un abominable petit son aigu et saccadé qui s’insinue jusqu’aux tréfonds de ses rêves les plus voluptueux en n’ayant de cesse de les briser net ! Malgré cela, Paridil se sent bien. L’espace d’une fraction de seconde l’univers – pourtant fortuit, violent et dénué de sens – lui apparait juste et bon. Puis une première pensée vient alors troubler sa béatitude : Mâdharasi-la-reine-des-femmes ne lui rendra jamais l’amour sans borne qu’il lui voue. À partir de là, tout s’enchaîne comme en un cauchemar – l’un des pires : de ceux que l’on fait éveillé – et en quelques brefs instants Paridil voit défiler sous ses yeux impuissant les temps forts d’une existence vouée à l’abomination : il rencontre de nouveau la souveraine Mâdharasi, tombe encore amoureux d’elle, décide éternellement de se séparer d’Amaïdhimalar, se retrouve pour une énième journée supplémentaire face à la solitude crasse de son angoissant quotidien… C’est une véritable chape de plomb qui s’abat inlassablement sur un Paridil au cœur broyé dont le visage semble à présent tuméfié par l’horreur. Ô profondeur de la félonie humaine, ô intrigue infernale ! Dans quel esprit dépravé a bien pu germer cette idée qui dépasse en prétention les rêves les plus fous : être aimé en retour par la reine des femmes en personne ? Le voilà bien ce complot que Paridil ourdit depuis plus d’une décennie contre lui-même ! C’est une manière de chef-d’œuvre dont l’insondable perversité, la perfidie sans borne, l’éclat maléfique hors de toute mesure ne peuvent qu’empêcher son auteur d’en apprécier l’absolue perfection tant la machine infernale fonctionne à plein régime et sans relâche hors des limbes bienfaisantes du sommeil !

Ce n’est qu’une fois réveillé que d’un doigt mou et tâtonnant, notre contrôleur des impôts enclenche sans conviction la fonction « radio » de l’appareil.


« Dépêche AFP. Des nouvelles de l’Est à présent. D’après un sondage de l’Institut pour les Questions Publiques de Bratislava, les trois quarts des Slovaques auraient préféré naître ailleurs. Il est sept heures. Vous êtes bien sur France Info. »



Paridil se lève à grand peine. Uriner et faire du café sont les deux premières tâches qu’un homme se doit d’accomplir chaque matin afin de conserver un semblant de dignité. Paridil le sait. Aussi s’attèle-t-il à ces tâches, sans plus de brusquerie toutefois, sans précipitation aucune car Paridil sait aussi que personne au monde ne maîtrise raisonnablement la suite des évènements, celle-là même qui constitue l’essentiel d’une journée humaine. Alors que la chasse d’eau se remplit et que le café passe, Paridil entre dans la salle de bain. Pas un tube de crème de jour, pas un poil de brosse à dent ayant appartenu à Amaïdimalar, qui a depuis convolé en d’autres lieux plus riants, qui n’aient bougé d’un pouce depuis bientôt sept ans ! D’une manière générale, Paridil est l’homme qui ne touche à rien. Aussi vit-il dans un temps étrange, à part, que lui seul – si seul ! – semble habiter. Cependant, le présent, vulgaire et hirsute comme on le sait, se rappelle parfois à lui, comme ce matin, lorsque enjambant le rebord de la baignoire d’un pied distrait, Paridil écrase ce dernier sur un pommeau de douche décidé à ne pas se laisser marcher dessus ! Qui de l’homme emprunt jusque là de dignité ou du pommeau apparemment indifférent à la marche du monde s’apprête à triompher ? Bien que moulé dans le plus inoffensif des plastiques, le perfide accessoire tranche la question et la voute plantaire de Paridil du même coup ! Paridil pisse le sang assis dans sa baignoire, dubitatif, un rien abattu, pendant que le café caramélise à la cuisine et que la chasse d’eau, vessie mécanique, machine célibataire subitement molle, s’oublie pitoyablement sur le carrelage immaculé. À quoi pense en cet instant l’aîné des frères Bakshi ? Approchons-nous et tendons l’oreille. Que murmure donc Paridil ?

« C’est pas possible… Je n’en ai jamais reçu une seule… même… par erreur. En fait, je n’en ai même jamais vu, je crois… de toute ma chienne de vie. Ça alors… »

Pendant que l’eau des toilettes pénètre à la salle de bain et à la cuisine pour se mêler au sang comme au café de Paridil, celui-ci songe qu’il n’a jamais – pas une seule fois ! – tenu dans ses mains de lettre d’amour. Et cette pensée ne lui facilite en rien la tâche toujours délicate pour lui de commencer la journée. Il y avait bien eu cette lettre affreusement parfumée que lui avait glissée cette fille, elle-même très portée sur les fragrances les plus extravagantes, en classe de seconde et dont le début – « Cher Paridil, » – lui avait laissé présager du meilleur… Mais au final – « Encore merci pour tes exercices de maths ! Salut ! » – l’ensemble s’était avéré bien décevant. Après avoir pansé sa plaie, coupé l’eau et l’électricité et pris son premier Lexomil de la journée, Paridil décide qu’il est n’est que temps d’abandonner son repaire pour aller travailler. Dans sa voiture, il est presque heureux de constater que l’autoradio fonctionne encore. Et ce soulagement, bien que modeste, le rassérène un peu.


« Dépêche AFP en provenance du Grand Sud. Mohammed Ibrahim Egal, président du Somaliland, a célébré les dix ans d’indépendance de la petite république autoproclamée, privée d’aide internationale, plus misérable que jamais, en hurlant son discours fleuve dans de vieux haut-parleurs en panne. Vous êtes si bien sur RTL.»



Au centre des impôts de Ratnapura, sous-préfecture de la Loire, où il œuvre chaque jour ouvrable à l’édification de l’égalité sociale par une astucieuse application de diverses lois visant au partage des richesses, Paridil doit jongler avec plusieurs problèmes. Recommence ainsi chaque jour un étrange manège qui laisse Paridil en délicatesse plus souvent qu’à son tour (de manège bien entendu).

Premier problème : Mâdharasi est également au centre, et pas que des impôts. En fait Mâdharasi, que Paridil semble voir dans chaque encadrement de porte, est au centre de toutes les préoccupations du fils maudit de Hrundiette Nallarasi-la-reine-de-beauté Bakshi. Ainsi Paridil a-t-il potentiellement sous les yeux et à chaque instant l’objet de sa folle concupiscence, prenant un Lexomil, guettant un regard, prenant un Lexomil, quémandant un geste de la déesse excédée elle aussi plus qu’à son tour par cette sorte de parade nuptiale déviante et médicamenteuse dont Paridil s’est fait le pionnier, poussant toujours plus à l’Ouest un comportement parfois inexplicable aux yeux du monde. Ainsi va-t-il régulièrement, sous Lexomil et sur la pointe des pieds, dans le bureau de Mâdharasi, refermant à grands soins la porte derrière lui pour ne pas mettre la déesse – mariée rappelons-le à Pritish-le-dieu-de-l’amour – dans l’embarras vis-à-vis des collègues les plus attentifs. Et là, le voilà qui demande régulièrement des comptes à la reine en personne pour ceci ou cela, un regard trop sévère, un bonjour oublié, se mettant parfois à vociférer de telle manière que tout l’étage se fige et attend la fin des hostilités pour reprendre une activité normale.

Deuxième problème : Amaïdimalar, l’ex-épouse éconduite mais cependant riche-de-sa-tranquilité tant elle a comme l’on dit « refait sa vie », travaille au même étage. Elle est le sujet de bien des quolibets de la part de ceux qui la pensent responsable de l’état général déplorable que Paridil peine à masquer. Cette injustice fait souffrir Paridil qui ne peut cependant révéler le coupable motif qui le plonge régulièrement dans des affres insondables, des gouffres sans fond : il ne peut souiller la réputation de Mâdharasi, heureuse en ménage comme en société. Amaïdimalar demande ce jour-là un service à Paridil : son nouveau compagnon – Rujul-le-simple-le-sincère – s’étant bloqué malencontreusement le dos, est-ce que Paridil pourrait l’aider vendredi soir à aller chercher le nouveau lit du couple chez « Monsieur Meubles » ? Vendredi soir ? Mais Paridil n’a-t-il pas un « bon plan » programmé ce soir-là ? Une sortie « Chansons et sensualités du Monde » est à l’ordre de ce jour-là avec Putholi bis, une créature sur laquelle Paridil a des vues… Que Paridil ait des vues sur une femme réelle était il y a encore peu tout à fait inimaginable tant seule comptait Mâdharasi l’entêtante, notons-le : il ne s’agit donc pas de manquer le rendez-vous ! Or cette histoire de lit va se prolonger suffisamment tard, c’est à la fois probable et fâcheux, pour lui faire manquer le coche et le début de la soirée avec Putholi bis… Paridil est mortifié. Il aimerait dire simplement : « non, je ne peux pas te rendre cet élémentaire service Amaïdimalar mon ex-épouse qui m’a supporté toutes ces années, passant tant de week-end seule car je préférais aller à la chasse, n’ayant jamais été mère car je ne voulais pas d’enfant et que j’ai remerciée en te faisant la confidente de tous mes déboires amoureux avec Mâdharasi durant de longues années jusqu’à ce que tu finisses par partir, gentiment, t’installer avec un autre, le brave Rujul au dos meurtri chez qui je vais parfois dormir quand je ne suis plus étanche au vide qui m’obsède et m’envahit. » Au lieu de quoi Paridil reprend un Lexomil et cède à la culpabilité. Amaïdimalar l’en remercie. Paridil à l’habitude d’être remercié. Tout est bien qui continue bien.

La sonnerie de la pause méridienne n’a rien d’un angélus et retentit davantage comme une sorte de glas. Paridil sait qu’il ne faut arriver à la cantine ni trop tôt – les premiers à table sont les plus populaires, ce sont ceux auprès desquels les places s’arrachent car ils portent beau, sont drôles et détendus : Paridil ne peut pas appartenir à cette catégorie-ci – ni trop tard – les derniers assis n’ont pour voisins que les tristes sires qui font pale figure et grise mine : Paridil ne veut pas appartenir à cette catégorie-là. Il faut donc viser juste, en plein milieu. C’est là, au cœur de la cible, qu’on peut effleurer le fol espoir d’une place près de Mâdharasi et loin de Granamabar… Une radio, quelque part, vient grésiller à l’oreille absente d’un Paridil lourd de son angoisse à l’idée de devoir manger en compagnie de Granamabar.


« Comment comprendre cette information que dévoile aujourd’hui le « Canard enchainé » : alors que les négociations sur les salaires piétinaient, la direction nationale des magasins Casino a provoqué une grève d’une heure, en offrant à chaque employé de l’hypermarché de Poitiers un hectare de Lune numéroté et répertorié par la société américaine Lunar Embassy. Vous êtes sur France Bleue Rhône Alpes. Il est midi. »



Troisième problème : Granamabar dite Fleur-intelligente qui a divorcé et dont le mari s’est ensuite suicidé. Granamabar a passé plusieurs mois en maison de repos. Au centre, on dit qu’elle a été « fatiguée ». Elle essaye de remonter la pente. Bref, elle est en chasse selon l’expression consacrée. Et Paridil le gentil chasseur lui semble une proie idéale. Aussi Granamabar fait-elle ce qu’il faut faire. Elle aborde fortuitement Paridil presque chaque jour pour lui proposer telle ou telle activité. Aux yeux de Paridil, Granamabar est forte de sa personnalité originale, de son sens de l’humour bien connu, de son courage face à la vie jamais pris en défaut mais également grosse – trop grosse – de sa gourmandise insatiable. Pourtant elle n’a rien contre la chasse, elle trouve même – fascinant labyrinthe de l’esprit humain – que cette activité d’un autre âge confère à Paridil un côté romantique et désuet qui la fait fondre. Mais pas suffisamment pour un Paridil qui, s’il n’espère pas de la vie les joies que doit procurer la promiscuité mutuellement consentie avec un top-model, n’en souhaite pas moins palper un peu de cuisse encore ferme. Hélas ! Serpentant d’habitude entre les tables comme entre deux Lexomil avec toute la maestria nécessaire à ses différentes stratégies de rencontres ou d’évitements des uns et des autres, Paridil ne se meut aujourd’hui qu’avec l’énergie du désespoir, c’est un homme au bout du rouleau, qui fini conséquemment par tomber aux pieds de Granamabar.

« Alors cette soirée Country ce soir ? Qu’est-ce que tu en dis ? Tu devais y réfléchir… Verdict ? »

Parce que toujours pour Paridil mieux vaut être mal accompagné face au trop plein de soirées absconses que bien seul face au vide de sa vaste demeure désertée, il s’entend répondre d’une voix sépulcrale :

« Mais ce sera avec plaisir… Granamabar. »

« Avec qui ? » – lui répond alors et du tac au tac une Granamabar enchantée à la fois par sa savoureuse répartie et par l’heureuse perspective d’une chic soirée.

Paridil chipote son haricot de mouton. Il n’a plus faim.


« Une dépêche AFP surprenante vient de tomber sur nos téléscripteurs : Figurez-vous chers auditeurs que la dialyse rompant le jeûne, selon le comité des recherches scientifiques de la Fatua d’Arabie Saoudite, les insuffisants rénaux du pays devront reporter les ramadans manqués après leur guérison. Bon appétit sur RMC »



Le voisin de Paridil est un maniaque de l’information et de ce qu’il nomme lui-même « le poste » qu’il écoute avidement du matin au soir. De son côté du bureau et à ce stade de la compétition, Paridil broie du noir et du Lexomil comme certaines vieilles femmes du Burkina Faso pilent le millet pour survivre. Aux abois, il fini même par se surprendre à prier le Père, le fils et même le saint frusquin.


« Dernière dépêche AFP de cette mi-journée sur RMC. Au troisième jour de sa mort, vendredi, à Lima, le messie Ezequiel Ataucussi, fondateur de la Mission Israélite du Nouveau Pacte Universel – huit cent mille fidèles et quatre mille cinq cent soixante deux églises au Pérou – n’est pas ressuscité, comme promis.



N’arrivant pas à se concentrer sur son travail, Paridil demande à son voisin d’éteindre sa radio.

17 heures. Paridil est perclus de douleurs à l’estomac. Un début d’ulcère se dit-il en lui-même avec un laconisme confinant au fatalisme. Il s’apprête à quitter le Centre des impôts de Ratnapura. Complètement perdu dans ses pensées : cette affreuse soirée Country qui se présente l’inquiète, que fera-t-il vendredi soir après avoir aidé Amaïdimalar ? Elle ira retrouver le gentil Rujul et lui restera seul, Putholi bis sera déjà partie pour sa soirée « Trucs machins du monde »… Pire ! Que va-t-il faire samedi soir ? Il n’a rien de prévu… Seul chez lui il n’ose l’imaginer ! Aller faire un scrabble avec Hrundiette sa mère serait presque humiliant… C’est alors que son portable se met à vibrer dans sa poche. « Vous avez un nouveau message » sont pour Paridil les plus beaux mots du monde depuis qu’il a presque renoncé à entendre un jour « je t’aime ». Paridil n’a pas accès a sa messagerie facilement. Paridil ne connait pas son code PIN. Paridil a pour ce faire un précieux pense-bête sur lequel figure le-dit code. Le portable de Paridil lui a été donné par la fille d’un de ses collègues parce qu’il est démodé – nous parlons là du portable bien entendu. Le message d’accueil du répondeur est toujours celui de la jeune fille. Paridil, on le sait bien, est l’homme qui ne touche à rien. Et lorsque l’on souhaite joindre l’homme qui ne touche à rien voilà ce qu’on entend : « Salut c’est Marlène ! J’suis trop o.q.p., là ! J’peux trop pas répondre tout d’suite mais laissez-moi un message ou retrouvez moi sur ma page Facebook ! Allez, a + ! Bizous »

Oreille affamé n’ayant pas de ventre comme l’on sait, Paridil oublie un instant ses douleurs stomacales pour dévorer son nouveau message :

« Salut, c’est Putholi bis, dis-donc, tu pourrais tout de même modifier ton message de répondeur… C’était marrant au début mais là, ça fait trois ans quand même ! Bon, dis voir je t’appelais pour te proposer un truc samedi soir : c’est à la médiathèque que ça se passe, c’est une lecture de poèmes du Burkina Faso sur le thème de l’identité sexuelle… Ça a l’air épatant. Si ça te dit, rappelle-moi. Salut. »

Le cœur de Paridil s’envole comme un faucon : la soirée de samedi sera donc Burkina-Fasienne ou ne sera pas !

Thâyanban-celui-qui-aime-sa-mère, l’un de ses proches collègues, interpelle Paridil et lui propose d’aller voir une collègue dépressive en maison de repos suite à son suicide raté.

« Quand ça ? »

« Samedi après-midi ? »

« C’est parfait ! Je n’ai rien samedi après-midi. Je serai heureux de t’accompagner ! »

« Heureux ? »

« Oui, enfin, heureux n’est pas le mot, je veux dire que c’est toujours bien de ne pas être seule pour… une femme comme elle… après… ce qui lui est arrivé… »

« Hum… Oh ! Puisque je te tiens, regarde ce que j’ai trouvé sur You Tube cet après-midi, c’est un extrait du journal télévisé d’hier. C’est in-cro-ya-ble ! »


« Quinze naufragés qui dérivaient entre Saint Domingue et Porto Rico ont survécu grâce à Faustina Mauricio Mercedes, compagne d’infortune qui les nourrissait au sein. »



Paridil regarde le visage de Faustina Mauricio Mercedes tout en songeant de plus en plus à Putholi bis. Pour la première fois depuis son réveil, il sourit.

Au Carrefour de la rue des martyrs, Paridil rencontre Pritish-le-dieu-de-l’amour, l’époux de Mâdharasi. Tout d’abord Paridil est pris de panique. Il voudrait fuir. Disparaitre dans un trou de souris comme le veut l’usage. Mais c’est déjà trop tard, Pritish fond sur Paridil comme l’aigle sur la vieille buse ! Cherchant à éviter son regard, Paridil après un rapide signe de la main et un sourire contrit, détaille le contenu du caddie du plus chanceux des hommes : « Night », Le parfum pour hommes d’Hugo Boss en Boss Bottle, le kit « chantier matinal » de Nivea for men – un panachage de divers onguents – un beaume hydratant « ClarinsMen », un exfoliant « Green Boost » énergisant pour le visage et un coffret après-rasage Azzaro « Captivant Chrome » attire l’attention d’un Paridil qui n’a dans son chariot qu’un premier prix Carrefour de mousse à raser et une bouteille d’eau de Cologne. Antipodes. Deux mondes différents entrent en collision dans une obscure travée d’hypermarché. Dans le monde de Pritish tout n’est que produits frais, mets variés et délicats au format familial. Dans le monde de Paridil tout n’est que surgelés pour une personne, saucisses orange et boites de cassoulet de secours. Un court moment social a lieu. Puis chacun reprend sa route, semée d’étoiles pour Pritish et de mines anti-personnel pour Paridil en qui gronde soudain une sourde colère qu’il ne peut s’expliquer. La caissière, qui écoute en secret une radio miniature, demande à Paridil d’avancer. Il gène.


« D’après un sondage Times-CNN publié au lendemain du 11 septembre 2002, soixante deux pour cent des Américains voulaient que les États-Unis déclarent la guerre, mais soixante et un pour cent d’entre eux ne savaient pas à qui la déclarer. C’était le flash de 18 heures sur RTL2. »



De retour chez lui, Paridil constate qu’il doit déjà se changer pour mettre le cap toujours plus à l’Ouest : la soirée proposée par Granamabar est une soirée déguisée ! Ouvrant son placard à la recherche de quelques atours qui pourrait correspondre au signalement du genre de gars qu’on pourrait croiser à une soirée Country, Paridil constate, non sans inquiétude, que n’importe lequel de ses vêtements pourrait faire l’affaire !

Sur la route, Paridil dans une superbe chemise à carreaux rouges et noirs, ragaillardi par la perspective de ne pas être seul ce soir-là, sourit pour la troisième fois en apprenant une étonnante nouvelle par l’entremise d’un autoradio qui décidément fonctionne à merveille, preuve que la vie n’est peut-être pas si moche après tout :


« John Ashcroft, candidat républicain au poste de gouverneur du Missouri, a perdu les élections face à un adversaire officiellement décédé trois jours avant le scrutin. Il est vingt heures et quatre minutes sur Europe n°1 ! »



« Allô, Hrundi, mon petit ? »

« Qui d’autre ? Dis donc Paridil mon grand, ignorerais-tu que dans mon fuseau horaire il est deux heures du matin ? »

« Deux heures et demi. Elle a préféré se faire raccompagner par un mort ! »

« Pardon ? »

« J’étais, ce soir, à une sorte de… soirée dansante. L’un de ces rituels rythmiques comme les affectionne nos semblables. »

« Et ben c’est bien ça, non ? »

« Oui, je continue comme tu le vois à faire mes petites choses pour garder la tête hors de l’eau… Même si je suis terrifié à l’idée de devoir… gérer le refus, ce genre de truc. »

« Moui… Quel genre de soirée était-ce ? »

« Déguisée… »

« J’espère que tu y es allé en Fakir ! »

« Pardon ? »

« Ben oui, c’est le meilleur costume pour qui espère se faire avaler le sabre ! »

« Hrundi ? »

« Oui ? »

« Mon tout petit ? »

« Moui… ? »

« Pourrais-tu enfin te taire et m’écouter cinq minutes à la fin ! Tu ne la fermes jamais ! C’est à peine croyable ! C’est tout de même moi qui appelle, non ? »

« Pardon, pardon. Heu… Tu as raison. Je parle trop. Vas-y ! Envoie la purée. Je ne suis qu’oreille… C’est quand tu veux… Paridil, mon grand ? »

« Oui. Bon. J’étais donc convié à cette… sorte de… féérie dansante de l’Ouest américain. Et vois-tu, j’y étais avec cette collègue divorcée et… son mari décédé. Et bien malgré cet état de fait, qui peut légitimement être considéré comme un handicap dès lors qu’il s’agit de séduire, cette femme a finalement choisi de finir la soirée avec un cadavre plutôt qu’avec moi. Elle m’a dit que… Enfin qu’elle ne pouvait pas me donner ce que j’attendais, que c’était finalement trop tôt pour elle, qu’elle pensait encore à lui… Mais je n’avais rien demandé moi ! Je ne m’étais même pas aperçu que j’attendais quelque chose… Un mort ! Tu te rends compte ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Et bien je vais te le dire ce que ça veut dire, moi ! Ça veut dire… que je suis moins attractif qu’un macchabée ! Je… Je suis un homme fini. Fini, tu comprends ? »

« Assez mal a vrai dire… Je… ne… comprends pas un traître mot de ce que tu me racontes-là. »

« Aucune importance ! Rien n’a plus d’importance ! On se rappelle. »


Votre serviteur s’était endormi ce soir-là en laissant la radio allumée.


« Dépêche AFP. On nous annonce que plus personne ne comprend la langue maternelle de Marie Smith, quatre vingt trois ans, native de l’Alaska, dernière au monde à parler l’Eyak. France Culture. Il est trois heures. »



Au bout d’un moment, il s’est levé pour aller l’éteindre.


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