dimanche 3 octobre 2010

C'est l'heure du café


Comme deux prédateurs assoiffés se rencontrant par hasard à un point d’eau après une longue course dans la savane, Ceciliouchka et Marieke se retrouvent ce matin-là autour de la machine à café de leur bureau.


« Alors ? Comment ça va de ton côté ? »

« Ben écoute, pas trop mal. Et toi ? »

« Ça va, ça va, on peux pas se plaindre. »

« Bon, bon. »

« Eh oui. Voilà, voilà. »


La machine à café est de ce modèle dit « à café cher », système à onéreuses dosettes individuelles commercialisé depuis quelques années par des sociétés désireuses de nous vendre la même chose qu’avant mais pour plus cher.


« Et la famille ? Comment va ? » demande, histoire de causer, Cecilouchka en soufflant sur le café cher qu’elle vient de se faire.

« Ah ! M’en parle pas ! Mon mari, qu’est-ce qu’il peut m’énerver, alors, celui-là ! » lance Marieke en se dirigeant à son tour vers la machine.

« Ah ? C’est vrai ? Mince alors. Qu’est ce qu’il a fait ? »


Marieke, tout en discutant, commence à se pencher sur la machine à café cher pour tâcher d’en comprendre rapidement le fonctionnement dont elle n’est pas familière.


« Ben tu sais comme sont les hommes avec les appareils ménagers… » continue Marieke.

« Moui ? »

« C’est pas leur truc, quoi. »

« Moui ? »

« Enfin bon, je peux pas me plaindre, hein. Moi, mon mari, c’est lui qui fait la cuisine, le soir, en général, comme il rentre plus tôt que moi. Et il cuisine pas mal, en plus. »


Ayant terminé son examen technique de l’appareil, Marieke prend un dosette souple de café cher et la place dans le réceptacle prévu. La place à l’envers. Ceciliouchka s’en aperçoit.


« Attention Marieke, je crois que tu… »

« Il cuisine pas mal, c’est sûr » l’interrompt Marieke tout à son idée, « mais y’a un truc qui me tue chez lui, c’est cette histoire avec les Tupperwares ! »


Galvanisée par son histoire de Tupperware (objet maléfique bien connu dont j’ai déjà parlé ici), Marieke rabat d’un geste décidé le clapet de la machine et lance le processus de production de café cher.


« Attend, il aurait fallu mettre la capsule dans l’autre s… » tente en vain d’intervenir Ceciliouchka.

« Les Tupperwares ! Tu sauras jamais ce qu’il m’a dit ? À propos des Tupperwares ? » poursuit obstinément Marieke.

« Euh non. »

« Il m’a dit que c’était nul, les Tupperwares ! Tu te rends compte ? »


La machine a café commence alors son cycle de fonctionnement normalement, mais la capsule, mise dans le mauvais sens, empêche rapidement le bon écoulement. Un flot d’eau vaguement marron commence à s’écouler des bords de l’appareil.


« Dire que les Tupperwares, c’est nul ! Non mais tu le crois, ça ? Tu le crois ? » poursuit Marieke, son indignation la rendant aveugle au comportement anormal de la machine devant elle.

« Dis, tu crois pas que tu devrais… » tente encore Ceciliouchka.

« Et du coup, comme il trouve ça nul, les Tupperwares, il refuse de s’en servir ! »

« Ben oui, forcément. Dis pour la machine à café, là, il faudrait peut-être… »

« Il refuse de s’en servir ! Alors que c’est tellement pratique, les Tupperwares ! »


L’eau marron s’écoule mollement sur la table puis sur le sol. Marieke, distraitement, passe sa tasse le long de la machine pour en récupérer un peu tout en continuant de deviser.


« Et puis alors, ce qui m’énerve le plus, c’est qu’il a pas compris que les Tupperwares, ça s’emboîte ! Tu vois ce que veux dire ! Pour les ranger, il faut les mettre les uns dans les autres, du plus petit au plus grand, avec les couvercles à part. Parce que mon mari, lui, il les range tous à part et ça tient une place folle dans les placards. »

« Ben oui, forcément » commente Ceciliouchka qui, n’essayant plus d’intervenir, observe tout à son aise le manège de Marieke en buvant son café.

« Je suis toujours obligée de repasser derrière lui pour ranger les Tupperwares, du coup. Ces hommes, les trucs pratiques, décidément, ça les dépasse. »


S’étant saisie d’une éponge, Marieke commence à éponger distraitement autour de la machine et sur le sol. Cela prend un certain temps. Quand elle a fini, elle reprend sa tasse, la regarde comme pour la première fois, constate qu’elle ne contient qu’un fond d’eau marron tiède.


« Rhaa mais regarde moi ce bazar, y’en a un qui a laissé traîner sa tasse sale, c’est vraiment dégueulasse. Mais bon allez, c’est pas le tout, j’ai du boulot, moi. À plus tard. »

« À plus tard, à plus tard. »

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