samedi 12 juin 2010

L'amour sur un pot ou le supplice de la chaise

N’hésitons pas à le dire dans une langue aussi fleurie qu’adaptée à la situation de Paridil-mon-frère-sans-vice qui aime mais n’est pas aimé de retour : Paridil en chie comme pas possible au quotidien ! Ainsi pourrait-on croire que la cruauté de l’amour lui facilite pour le moins le transit à défaut de la vie ? Il n’en est rien car Paridil donnerait à quiconque et dès qu’il paraît l’impression de chier jour après jour de la vaisselle cassée ! Paridil, on ne peut guère se le cacher, a le plus souvent la tête d’un type qui a sans nul doute le couloir à lentilles en feu ! Conséquemment, il ne peut échapper à personne que Paridil-l’homme-pourtant-sans-vice souffre comme un damné…


Seul ce court laps de temps au réveil qui voit les limbes du sommeil se dissiper lui octroie un peu d’accalmie. Et puis très vite et chaque jour que Sivèn, Sakti et Visnu font (s’y mettre à trois pour faire ça… enfin passons !), d’invisibles démons travaillent sans relâche à resserrer autour de la poitrine de Paridil un formidable étau pendant que d’autres, tout aussi vils, le font ployer sous une chape de plomb, faisant de la sorte et dès l’aube passer Paridil par toutes les couleurs de l’arc en ciel. Et c’est distinctement sous la forme d’une sorte de rubik’s cube de l’amour, comme moulé à chaud par le mal du même nom, comme proposant au regard une énigme chamarrée à la résolution laborieuse, que Paridil sort de son lit. Ce n’est pas là la forme la plus adéquate pour traverser aisément l’existence, c’est une affaire entendue. Mais l’aisance n’est plus de mise depuis fort longtemps dans l’existence de Paridil et s’il se lève tant bien que mal et au prix fort, il ne le fait que pour se rendre, pieds et poings liés, à Mâdharasi-la-reine-des-femmes, que Paridil idôlatre, ainsi qu’au centre des impôts de Ratnapura - sous-préfecture de la Loire - où Paridil doit aller gagner sa vie. Comme Mâdharasi l’amour de sa nouvelle vie. Comme Amaïdhimalar l’épouse de son ancienne vie.

Au centre des impôts de Ratnapura, tous pensent que Paridil – jadis gai comme un italien lorsqu’il sait qu’il aura de l’amour et du vin – s’est paré de l’austère masque de la détresse en raison du départ de son épouse. Comme nous le savons, il n’en est rien. Ledit départ, largement consenti de part et d’autre, s’est déroulé sur le terrain dulcifié de l’amitié et sous un climat qu’on ne saurait trop qualifier autrement que de tempéré. C’est à peine si quelques averses firent ça et là de courts passages. On n’en fit pas grand cas de part et d’autre de toute façon.

Notons ici le profond sens du sacrifice d’Amaïdhimalar. En effet, tout en refaisant sa vie dans l’exotique cité de Tricomalee, dans le Rhône, refuge de bien des sensualités meurtries, avec un dénommé Rathinavelan – autrement dit « celui-qui-possède-la-lance-de-pierres-précieuse », ce qui est tout de même vendeur, non ? –, l’épouse déchue de Paridil n’a pas hésité une seconde à tenir, après celui déjà ingrat de confidente, le rôle encore plus malaisé de la fauteuse de troubles aux milles yeux braqués sur elle du centre des impôts de Ratnapura, microcosme d’une société toujours prompte à se faciliter la compréhension des choses de la vie et, de fait, avide des clichés les plus éculés. Ainsi, chaque matin, sa fidélité à celui qui fut vingt ans durant son époux, l’oblige encore parfois à subir les quolibets larvés, les rumeurs perverses que l’on devine aisément être, avec le café, le carburant essentiel d’un corps social normalement constitué.

À quoi ressemble la journée de Paridil ? Et bien à n’importe quelle journée du moment que Mâdharasi lui sourit. Si tel est le cas, Paridil puise dans la perception de cette contraction musculaire sacrée, de ce mouvement de la bouche et des yeux divins, une énergie suffisante pour édifier du mieux qu’il peut un jour acceptable à ses yeux comme à ceux de son entourage. Mais si tel n’est pas le cas, c’est un enfer qui s’ouvre sous les pas de Paridil. La déesse Massalin Karly-la-furieuse en personne, maîtresse et mère de toute création, entre alors en Paridil par son front torturé comme on défonce une porte ! Ce qu’il faut savoir de Massalin Karly se résume à peu de choses mais il est impératif d’en être bien conscient : si elle n’est pas satisfaite la susdite détruit purement et simplement toutes les choses que nous aimons, que nous possédons ! Domaine, fortune, cheptel, êtres chers : tout y passe ! Pour l’anecdote c’est une déesse au teint plus que bleuté, qui affectionne les guirlandes de crânes autour du cou, possède dix visages et dix pieds pour faire bonne mesure en toutes circonstances, manie l’épée comme personne et n’est pas là pour rigoler comme on peut raisonnablement s’en douter à sa vision. Alors Paridil-le-vicié, comme possédé, se ferme, se tend, se noue et finit, tout violacé, par exploser, sous des prétextes aussi divers que variés mais toujours transparents aux yeux du monde, dans le bureau de Mâdharasi qu’il vient défier de le mépriser encore. Paridil, dans ces moments-là, redéfinit l’idée-même du transport amoureux en ne se déplaçant plus que pour aller exister là où il n’y a pas de place pour lui. Alors face à Mâdharasi, là, devant elle, Paridil, ce qu’il dit, ce qu’il fait, tout est alors déplacé, abusif et vain.

Après que Massalin Karly ait quitté son corps défendant, Paridil donne généralement de ses nouvelles.


« Allô ? »

« Salut. Ça va ? »

« Non. »

« … »

« J’ai regardé la météo… »

« La météo ? Et alors ? Ils t’ont annoncé la fin du monde ? »

« Oui. »

« Comment ça ? »

« Demain il pleut. »

« Je peux te prêter un parapluie si tu veux… On va s’en sortir, crois-moi. Je ne te laisserai pas sous la pluie sans parapluie, tu as ma parole… »

« Tu ne comprends pas. Demain c’est mercredi. Le jour où… »

« …vous jouez au tennis, toi et Mâdharasi, c’est ça ? »

« Oui. Les terrains couverts sont tous réservés. Je viens de vérifier. Nous ne jouerons pas demain. Demain je ne verrai pas Mâdharasi. Demain… »

« Propose-lui autre chose… Propose-lui d’aller boire un verre. C’est une activité in-door comme disent les tennismen. »

« Non. Je ne veux pas qu’elle pense que je ne comprends pas la situation. »

« Mais tu ne comprends pas la situation : tu n’admets pas qu’elle te rejette… »

« Non. C’est insupportable. »

« Invite Granamabar, elle vient de divorcer… »

« … »

« Quoi ? J’ai dit quelque chose de mal ? Je ne te demande tout de même pas de vivre à cent à l’heure, de mourir jeune et de laisser un cadavre obèse ! »

« Je ne saurais même pas quoi lui dire… »

« Dis-lui ce qu’on dit dans ces cas-là : que tu gagnes à être connu. Ensuite, tu lui proposes un rendez-vous et si elle accepte… Et bien vous gagnez tous les deux à vous connaître, non ? »

« Et si elle refuse ? »

« Tu proposes tes services à Kurinji… »

« Mais c’est Mâdharasi que j’aime ! Un amour pareil n’arrive qu’une fois dans la vie… »

« … »

« Tu comprends, je ne supporte pas qu’elle parle à tout le monde au boulot sauf à moi. Mâdharasi s’y entend pour souffler le chaud et le froid. Émotionnellement c’est trop dur, je n’y arrive plus, je… »

« Mets-toi à sa place cinq minutes. Que ferais-tu dans la situation inverse ? »

« Je ne sais pas… »

« Bien sûr que si, tu le sais, à sa place à elle tu t’éviterais toi comme la peste ! »

« Pourquoi ne le fait-elle pas tout le temps alors ? Mais seulement de temps en temps ? »

« … »

« Je sais qu’elle ne m’aimera jamais. Pourtant je veux être là en cas de coup dur, je veux l’aider, je veux que… Pour cela, il est impératif que je reste dans la course ! »

« La course ? Bah ! Que serait la vie sans la capacité à prendre les mauvaises décisions ? Je te le demande bien… »

« Elle pourrait être ma meilleure amie, tu vois ? »

« Une amie ? Hum… Une amie dotée d’un trop riant bocage, tu ne crois pas ? »

« Elle est si merveilleuse, si vivante, elle est tout ce que je ne suis pas ! J’aurais tellement aimé être quelqu’un… comme elle… »

« !!! »

« Sa famille est prodigieuse. Ils s’entendent tous à merveille. Prîtish est un type épatant et banquier avec ça ! Ça n’est pas facile pour eux en ce moment, Murthy va déjà partir de la maison… Tu te rends compte, il va au Canada ou quelque chose comme ça… »

« Il a vingt-six ans ! »

« Mais c’est une famille tellement unie. C’est un tel choc pour eux… »

« Écoute, tout le monde a une vie de famille insatisfaisante sinon tout le monde vivrait chez ses parents ad vitam aeternam ! »

« La famille de Mâdharasi est différente… Etc. Etc. Etc. »



On le voit, Paridil, abandonné par l’amour bilatéral, s’est à défaut d’une amante trouvé une propriétaire, quelqu’un à qui il doit des comptes imaginaires, à qui il paye un lourd tribut dont personne ne veut, à qui il donne un pouvoir bien extravagant qui fait de Mâdharasi l’instrument exclusif de son oppression.


« Allô ? »

« Paridil ? »

« Oui. Je voulais m’excuser pour tout à l’heure. Ça va mieux… En fait, tout va bien. Ne t’inquiète pas. On se rappelle. »

« Bon. »



Votre serviteur apprendra le lendemain que Mâdharasi venait d’appeler Paridil pour le convier – comme elle le fait à l’occasion – à venir regarder un match de football – tous deux sont supporters de l’A.S.S.E. – sous son toit et en famille. Mais revoyons la scène au ralenti : Mâdharasi et Prîtish trônant en majesté sur le divan, Murthy et Madhabada, dociles et souriants, à leurs pieds et mon frère Paridil assis sur le fauteuil du salon, ébaubi par tant de perfection entre deux coups d’œil furtifs aux démêlés footballistiques des anges verts immaculés. Après le match, confiera Paridil à son frère impuissant, une discussion productive a eu lieu à la faveur de la victoire de ceux que l’on nomme « les Verts » dans ce département bigarré qu’est la Loire. De cette conversation entre Mâdharasi-la-reine-de-toutes, Murthy le sage comme une image divine et Paridil le bon samaritain qui passait par là, l’issue suivante s’est faite jour : Murthy va reculer son départ de quelques mois, Paridil a su, à titre d’observateur extérieur et impartial, trouver les mots bleus, les mots tortueux qui font que les fils ne quittent pas leurs mères comme ça ! Il n’est donc dans la vie que l’amour… ?


Quelques jours plus tard et dès potron-minet, au bistrot, Paridil et son frère perplexe commandent deux cafés, dont un calva pour votre serviteur (le café ça réveille mais le calva ça ouvre les volets et ceux de votre serviteur étaient un peu grippés ce matin-là). Morceau choisi :


« Alors… ? »

« Quoi ? »

« Comment ça va ? »

« Bof… »

« Quoi de neuf ? »

« Rien… »

« Quoi de vieux alors ? »

« J’ai encore fais ce rêve, tu sais… »

« … »

« Mais si ! Je rêve d’une grande pièce blanche. Vide. Enfin pas tout à fait. Dans un coin, à dix bons mètres de la porte d’entrée, il y a une chaise. »

« Une chaise ? »

« Ben oui… »

« Et rien d’autre ? »

« Ben non. »

« Ah. »

« Bon, je continue. »

« J’allais t’en prier. »

« Au bout d’un moment, un type entre. »

« Tu le connais ? »

« Non. Arrête de m’interrompre tu veux bien ! »

« D’accord, d’accord. Je me tais. C’est ton histoire après tout. »

« Merci. Bon, c’est un gros type et il a l’air vanné. Il est en nage. Il a des sacs de voyage sous les yeux ! Le bout du rouleau, quoi. Malgré tout, il s’avance… »

« Et ? »

« A chaque fois, je mets du temps à comprendre que cette chaise, c’est moi. Et pendant qu’il s’écrase la raie sur moi dans un long soupir, je me dis que jamais – jamais tu m’entends ! – je ne me suis senti aussi utile… »

« … »



À suivre...

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