samedi 29 juin 2013

La tribu des mangeurs de caca



Mes amis Cathy et Stéphane ont des enfants. Mais ils sont bien, quand même. J’étais chez eux, en Province, le week-end dernier. J’y allais en espérant passer deux jours tranquilles à boire des bières à la campagne. Un week-end en Province, quoi. Tranquille. Aussi tranquille du moins que l’on peut l’être quand il y a des enfants. Hélas, c’était l’anniversaire de leur fils aîné, César.

Je n’ai pas d’enfants. Il y a en outre longtemps que je ne suis plus un enfant moi-même. Et puis, je ne me tiens pas au courant de ces choses. Bref, je ne suis pas très au fait de ce qu’est la vie des enfants et de leurs parents de nos jours. J’ai donc découvert avec étonnement que maintenant, en Province, quand on a des enfants, il convient d’organiser de grandes fêtes pour leur anniversaire. Ça n’a l’air de rien, dit comme ça, mais cela soulève une certain nombre de questions assez douloureuses.

Je ne voudrais pas passer pour un vieux con mais… bon, si : j’ai très envie de passer pour un vieux con, j’avoue. Bref, donc : quand j’étais petit, ma grand-mère, en voyant tous les cadeaux que j’avais pour Noël, me disais immanquablement « Pfff, les jeunes de maintenant, vous êtes gâtés pourris : moi, à ton âge, pour Noël, j’avais une orange, et j’étais contente quand même. » Qu’est-ce qu’elle a pu me faire chier avec son orange, la vioque ! Est-ce que c’était ma faute à moi si elle avait passé son enfance au Moyen-Âge ? Si elle s’est imaginé que ses histoires m’ont donné la moindre mauvaise conscience lorsque je jouais avec mon Big Jim ou mon Steve Austin en plastique, elle s’est carré le doigt dans l’œil jusqu’au derche, la vieille bique. En tout cas, me voilà bien attrapé puisque je me retrouve dans la même situation qu’elle : quand je vois les monceaux obscènes de coûteux cadeaux qu’ont maintenant les enfants pour Noël ou pour leur anniversaire, j’ai envie de les faire chier en leur disant « Pfff, les jeunes de maintenant, vous êtes gâtés pourris : moi, à ton âge, pour Noël, j’avais un Big Jim et un Steve Austin en plastique, et j’étais content quand même. » C’est bon, mémé, tu peux te foutre de moi.

Mais pour en revenir à mon histoire de fêtes d’anniversaires, les hasards de la carte scolaire font que mes camarades Cathy et Stéphane, bien que n’ayant pas des revenus très élevés, ont mis leurs enfants dans une école assez chic du centre-ville. Les anniversaires auxquels leur fils César a été convié par ses petits camarades se sont donc trouvés être des événements organisés dans des parcs d’attraction ou des centres de loisirs privatisés pour l’occasion avec grand renfort de clowns, animateurs et autres amuseurs d’enfants professionnels. Il semblerait même que se joue entre les parents aisés de ces bambins une petite compétition pour savoir qui ferait à son rejeton la fête d’anniversaire la plus prestigieuse. Les enfants, on s’en doute, dans ces circonstances, ne sont pas les derniers à exiger de leurs parents des dépenses somptuaires et des cadeaux sardanapalesques pour épater leurs copains. La compagnie des enfants m’a toujours été désagréable : les côtés sombres de la nature humaine ressortent souvent chez eux de manière bien plus crue que chez les adultes.

Quand le moment d’organiser la fête d’anniversaire du petit César est arrivé, mes amis Cathy et Stéphane se sont donc trouvés dans une situation délicate. Lors de la dernière fête d’anniversaire, le jeune César avait été invité chez Jim & Jump, un endroit aberrant ou il a passé la journée à se livrer à d’abrutissantes activités à caractère ludique et à manger d’innommables choses qu’on lui interdit de manger le reste du temps. Cathy et Stéphane ne désiraient pas jouer le jeu et entrer dans cette compétition grotesque, mais enfin il fallait bien organiser quelque chose d’à peu près potable pour ne pas avoir honte auprès des autres parents. Ils décidèrent, et c’est à leur honneur, de tout miser non pas sur le pognon mais sur la créativité : organiser une grande chasse au trésor en forêt avec des épreuves, des énigmes et tout et tout. Chic ! Chic ! Chic !

Mais vous savez comment c’est, la vie : on a des grands projets et puis le temps passe, on a du travail, on manque de temps, on est fatigué en rentrant le soir etc. bref : arrivée la veille de la fête d’anniversaire du petit César, Cathy et Stéphane n’avaient encore rien préparé. Et comble de malchance, c’est le jour que j’avais choisi pour venir leur rendre visite. Apéritif, repas, vin, digestif : nous passâmes une bonne soirée, mais nous voici rendus au matin de la fête maudite avec rien d’autre que notre bite et notre couteau ainsi qu’une gueule de bois de classe 3.

Moi, je ne fais rien. Pas mon problème, tout ça. Cathy ne faisant guère plus, c’est Stéphane qui prend les choses en main : un tour sur internet lui fournit quelques éléments, il découpe, emballe, dessine, fourre le tout dans un grand sac et part chercher les marmots pour les emmener dans les bois. Nous convenons de les rejoindre plus tard.

Prise de remords, Cathy se lance dans la préparation d’un gâteau. On n’est jamais au meilleur de ses capacités quand on a la gueule de bois : le gâteau brûle. On se dit que ces marmots ne vont pas nous fatiguer, de toutes façons, ces chiards, ça n’a aucun goût : nous emballons le gâteau quand même et partons dans les bois à la recherche de Stéphane et des gosses.

Après avoir erré un certain temps, nous finissons par arriver dans un clairière où nous retrouvons le petit César et ses amis Arthur, Clovis, Maximilien et Matteo. Je constatai rapidement que le petit Matteo, était le seul à ne pas avoir été nommé d’après un empereur ou un roi, mais à avoir un prénom de gitan. Il était aussi le seul à avoir un vélo un peu pourri, un peu rouillé, un peu acheté d’occasion. Que mes lecteurs méchants se rassurent, les malheurs du petit Matteo ne vont pas s’arrêter là.

Mon ami Stéphane s’en sortait plutôt bien. Il a, je crois, exercé dans sa jeunesse la terrifiante profession d’animateur de centre de loisir – ce que je ne ferais pour rien au monde – et il en a retiré sang froid et sens de l’organisation. Il fait donc bonne figure paternelle devant les gamins, mais en aparté, il m’avoue rapidement que son affaire part en couille et qu’il a besoin d’aide. Dans sa précipitation, il a oublié la moitié des énigmes qu’il avait prévu. Il faut donc temporiser.

Pendant que Stéphane part dans les bois pour préparer des jeux divers, Cathy et moi décidons, pour occuper la horde de petits sodomites, de les bourrer de gâteau brûlé. Ils font la gueule, disent que chez Jim & Jump, ils avaient eu de la glace parfum Malabar, mais ça passe. En plus, Cathy et moi découvrons un gros sac de bombons Krema dégueulasses qui traînait par là. Ces petits enculés le liquident en 7 secondes. Quand Stéphane revient et s’en aperçoit, son visage s’allonge : ces bonbons devaient servir d’indices pour l’épreuve suivante. Nous décidons donc de récupérer les papiers vides et d’y mettre des cailloux à la place : ça fera bien l’affaire.
 
Stéphane m’expose le jeu astucieux qu’il avait prévu : faire sentir des choses ayant une odeur particulière aux enfants qui, les yeux bandés, doivent deviner de quoi il s’agit. C’est pas mal. Il avait préparé de la moutarde bio au basilic à l’ancienne et des huiles essentielles de pamplemousse issues du commerce équitable, mais manque de bol, il les a oubliés à la maison. Je me mets donc en quête de « choses ayant une odeur particulière » dans les bois pour remplacer. Je commence par récupérer le mégot de la cigarette que je viens de terminer. C’est un bon début. Je dégotte ensuite une crotte de cheval (presque) sèche. Afin de ne pas me salir les doigts, je cherche dans mes poches quelque chose pour le saisir. Je trouve un bonbon Kréma rescapé. Je le déplie, mets le bonbon dans ma poche (je ne vais pas le manger, j’ai horreur de ces trucs) et saisis un beau morceau de crottin avec le papier Enfin, grâce à mes connaissances étendues de la faune et de la flore, je découvre une feuille de menthe. Je suis particulièrement fier de cette dernière trouvaille (les deux autres sont assurément moins bien, mais bon, je manquais de temps). Je me voyais déjà en trappeur avec une toque en peau de ragondin et une veste en daim à franges, capable de survivre pendant des mois de chasse et de cueillette dans les étendues infinies de la Colombie Britannique, mais hélas, Stéphane m’apprend que ce n’est en fait pas de la menthe mais une autre plante dont j’ai oublié le nom et qui ne sent rien. Et de fait, cette feuille ne sent rien. Je la jette. Restent le crottin et le mégot qui, eux, sentent. Je ressors le bonbon Kréma de ma poche et le replie dans son papier enduit de crottin et je jette le tout dans un coin. Le jeu a son petit succès et permet de voir quels sont les enfants qui ont des parents fumeurs : ce sont les seuls à identifier le mégot.

Mais on s’amuse, on s’amuse et le temps passe. Il est bientôt temps de rendre ces petits bâtards à leurs parents. Nous commençons à ranger un peu la clairière. En ramassant des gobelets en plastic souillés d’Oasis, j’aperçois le jeune Matteo qui prend un air émerveillé : il vient de trouver le bonbon Kréma que j’ai jeté peu de temps auparavant. Avant que j’ai le temps de dire ou de faire quoi que ce soit, il l’a déjà enfourné dans sa bouche et le mâchonne avec délectation. Je me dis en regardant les enfants aux prénoms d’empereurs et Mattéo monter dans les Scénics de leurs parents que pour Mattéo comme pour Conan, ce qui ne le tue pas le rend plus fort.

Ce fut une bonne après-midi, finalement, sans faux-semblants, plus authentique, me dis-je : chez Jim & Jump, ces enfants auraient mangé de la merde, alors qu’avec nous, ils ont littéralement mangé de la merde.

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