mardi 27 décembre 2011

Tentation de l’exotisme au Quai Branly

L’exotisme. Voilà l’ennemi. On ne se méfie jamais assez de notre goût pour l’exotisme. Ce goût qui nous fait penser que ce qui est différent de nous est forcément mieux, ou même simplement, forcément intéressant. Alors que ce qui est différent de nous est, simplement, différent de nous, c’est-à-dire qu’on ne le comprend pas. Le goût pour l’exotisme est le double positif du racisme. Les deux sont des approches aberrantes de la réalité.







On part en voyage dans des pays exotiques. On nous y fournit ce que les gens du coin s’imaginent que l’on pense de leur pays et nous pensons en retour que ce qu’on nous fournit est authentique. Je passe tous les jours devant la Taverne Karlsbraü de la rue Coquillère dans le Ier arrondissement de Paris. Elle est installée dans un bâtiment haussmanien que les architectes et les décorateurs du groupe Karlsbraü ont grotesquement maquillé en maison alsacienne traditionnelle : faux colombages et poutres apparentes en plastique, géraniums aux couleurs criardes aux fenêtres, enseignes faussement anciennes écrites en gothique de bouteille de vin. Monstrueux. Je ne passe pourtant jamais devant sans voir deux ou trois japonais qui le prennent religieusement en photo, sincèrement émus d’être tombés ainsi sur un si bel exemple d’architecture française ancienne.






La nourriture est sans doute le lieu où notre goût pervers pour l’exotisme s’épanouit le plus. Je m’y laisse prendre, comme tout le monde. Ainsi, l’autre jour, un collègue de bureau revenait du Japon. Ah, le Japon : que voilà un merveilleux pays pour fantasmer sur des gens auxquels on ne comprend rien. Et leur cuisine ! Quel délicieux n’importe quoi : des algues, du poisson cru, des œufs pourris… non, les œufs pourris, c’est les chinois, je crois… je ne sais plus. Bref. Ce collègue revenait du Japon. Il a donc rapporté quantité de petites horreurs pour faire rire ses camarades de bureau. Nous avons donc, comme il se doit, fait état de notre émerveillement goguenard devant les biscuits apéritifs au poisson, les chips aux algues et autres mignardises improbables. Puis on s’est remis au travail. Pas que ça à faire, non plus.

Quelques heures plus tard, je repasse à la cuisine du bureau pour me faire un café. En attendant que l’eau soit chaude, j’avise le tas de mignardises nippones qui traine là et je me dis que je pourrais bien en goûter une autre. Ça m’occuperait un peu. Je m’empare donc d’une boîte couverte de nombreuses inscriptions criardes en idéogrammes aussi exotiques qu’incompréhensibles, plonge la main à l’intérieur et en tire une boule de 2 cm de diamètre d’une matière sombre, sèche, granuleuse, étrange. Je renifle : l’odeur est connue, mais je n’arrive pas à identifier à quoi elle correspond. Quelque chose de comestible, en tout cas, mais quoi ? Impossible de le déterminer. Tant pis : je mets la boule étrange dans ma bouche et commence à la mâchonner. C’est dégueulasse : sec, dur, poudreux, et ça dégage un puissant goût qui me rappelle quelque chose, quelque chose de comestible, mais quoi ? Je continue une petit moment à mâchonner, me disant que quand même, ces japonais, ils sont bien bizarres, mais enfin bon, que s’ils mangent ça, c’est que ça doit être bon, qu’il faut être ouvert d’esprit, ouvert aux autres cultures etc. avant de m’apercevoir que j’étais, depuis 5 minutes, en train de mâcher des feuilles de thé.


Néanmoins, mon goût pervers pour l’exotisme n’en a pas été diminué, semble-t-il, puisque le week-end dernier, j’ai eu la lubie de me rendre au Musée du Quai Branly, qui est consacré, comme l’on dit pudiquement, aux arts premiers. Cet établissement, héritier à plus d’un titre du Musée de la colonisation, est un endroit dont la visite n’est pas dénuée d’intérêt.


Passons rapidement sur le bâtiment, qui est un geste architectural aussi prétentieux qu’illisible, pour nous concentrer sur l’intérieur. Première constatation : les gens qui ont conçu la muséographie du lieu ont eu à cœur de tout plonger dans une pénombre à peine atténuée par des éclairages tamisés de très faible intensité. C’est assez beau, mais on n’y voit rien. Mais alors vraiment rien, au point que, la forme des pièces, du sol, du bâtiment en général, étant aussi biscornue que possible, c’est assez casse-gueule. On est accueilli par un personnel jeune portant un étrange uniforme marron clair évoquant quelque section des jeunesses maoïstes.


Côté œuvres, c’est, pour moi, une grosse déception. Je ne sais pas ce à quoi je m’attendais, mais j’espérais quand même, confusément, des têtes réduites, des boucliers en peau d’ennemis… je ne sais pas, moi… des trucs dégueu, quoi. Eh bien non. Les collections sont rangées par continents et se composent d’objets beaux ou pas (le plus souvent, pas) que l’on pourrait décrire ainsi :



Océanie : Essentiellement des bouts de bois. Souvent sculptés en forme de bite ou de nichons. Parfois de pirogues.


Asie : Tenues chamarrées qui ressemblent étonnamment à celles vendues à bas prix dans les boutiques de hippies. Quelques tout petits objets en forme de bite, également.


Afrique : À nouveau des bouts de bois, mais plus petits.


Amérique : Deux sections ici avec, côté Amérique du sud, des ponchos aux couleurs criardes et côté Amérique du nord, des objets indéfinissables en plumes. À noter qu’on peut trouver, en Amérique centrale, des ponchos aux couleurs criardes et avec des plumes.


Europe : il n’y a pas de section Europe. 


Je suis prêt à admettre que ma vision, bien vulgaire, de ces collections n’est que le reflet de mon ignorance, mais malheureusement, ce n’est pas au musée du Quai Branly que je pourrai y remédier car il y a un grave problème du côté des explications que l’on offre au chaland dans cet établissement. La plupart des œuvres sont certes accompagnées d’un petit carton sensé nous renseigner, mais les explications se limitent en général à dire que l’objet sert à une cérémonie dont on ne sait rien chez un peuple qu’on ne connaît pas, à la culture qui nous est totalement mystérieuse et qui vit dans une région du monde dont on n’a jamais entendu parler. Quelque chose du genre : Masque rituel funéraire chez les Cunu-Cunu (sud-ouest du Grosso-Matos). En un mot, du pur exotisme : quelque chose qui étonne par son étrangeté, mais auquel on ne comprend rien et qui donc, disons-le, ne nous apporte pas grand chose.


Autour des vitrines contenants tous ces objets, on pense un moment chercher plus de renseignements dans les énormes structures marrons en forme de bouses de brontosaure qui proposent à la fois des sièges et des écrans tactiles, mais hélas, c’est un fait bien connu des gens qui fréquentent les musées : les écrans tactiles n’apportent jamais rien. Tout au plus, on reste quelques instants à jouer avec, le temps de se rendre compte qu’ils sont incroyablement mal fichus ou qu’ils ne marchent plus.


On reste donc à avoir une approche poétique de certains objets assez jolis et dont l’explication vous plonge dans une perplexité goguenarde, tel ce masque d’exorcisme Maha Sohoma Yakka (Sri Lanka) qui sert mystérieusement « à guérir ceux qui redoutent les animaux de la jungle ».




Bref, l’exotisme, c’est con.  




4 commentaires:

  1. Avec l'âge et les années défilants, on voit des choses. Ainsi, se forge quelque chose que l'on nomme "l'expérience", sous condition que l'être soit doté d'un peu de mémoire et de plus de 2 neurones en capacité d'activer leurs synapses pour des décharges électriques salvatrices. Et donc, cette expérience me fait dire que l'exotisme est à notre porte, qu'il commence là ou est l'autre.... Vous même, exotique au pays des exotiques, exerçant votre exotisme au ministère du même nom, bien que ne l'étant point à vos yeux, mais doté d'un ministre ne l'étant pas moins. Moi-même, que je considère dénué d'exotisme, mais l'étant au regard de l'autre....

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  3. Mon Palsacapinou,

    Tu es seul sur le pont depuis trop longtemps. A toi qui est l'âme de ce blog, en un mot l'âme de la situation, je tiens à dire deux choses : j'aime beaucoup ce que vous faîtes, Bravo et I'll be back very soon.

    Ton Hrundinounet.

    PS : Oui je sais, ça fait trois choses.

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  4. Tu es bien bon. Et encore, je manque de temps pour raconter tout ce qui m'arrive. Quand trouverai-je le loisir de narrer au monde ma récente rencontre avec un égyptologue et avec les danseuses de scène de Johnny Halliday (car j'ai rencontré tous ces gens, moi qui vous parle) ? Quand ? Oui, quand ?

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