Un matin, à Dijon, dans une charcuterie du centre-ville…
Moi : Bonjour Madame.
La charcutière : Monsieur. Qu’est-ce qu’il vous fallait ?
Moi : J’aurais voulu une tranche de jambon persillé, s’il vous plaît.
La charcutière (comme extatique) : Ah… Vous êtes d’ici ?
Moi : Euh, non. J’habite à Paris.
La charcutière : Notre jambon persillé… il est réputé, vous savez.
Moi : Eh bien oui, il paraît. C’est pour ça que je viens.
La charcutière : On a été médaille d’argent au concours du meilleur jambon persillé.
Moi : Ah, c’est vrai ? Bravo.
La charcutière : On était médaille de bronze depuis des années et là… (elle ferme les yeux et soupire) on est passé médaille d’argent.
Moi : Ah très bien. Vous vous améliorez.
La charcutière : Oui. C’est un état d’esprit ici.
Moi : Très bien. Bon. Donc j’aurais voulu une tranche de…
La charcutière : Et puis après, au-delà, il y a la médaille d’or.
Moi : Et oui. Oh, vous l’aurez sûrement.
La charcutière : Non.
Moi : Non ?
La charcutière : Non.
Moi : Ah bon. Mais pourquoi ? Y’a une charcuterie qui est meilleure que vous ?
La charcutière (outrée) : Quoi ? Vous voulez parler de ces connards de chez Jouffre qui ont encore eu la médaille d’or cette année ? Mais on les dépasse quand on veut. Quand on veut, je vous dis !
Moi : Mais je n’en doute pas, madame. Bon dites, j’aurais voulu une tranche d…
La charcutière : Non. C’est pas ça. La médaille d’or, on pourrait l’avoir, mais on ne la veux pas.
Moi : Ah bon ? Mais pourquoi ?
La charcutière : Eh bien, on a eu la médaille de bronze pendant des années. On en a mis un grand coup et on a eu la médaille d’argent, mais là, il est temps de se calmer un peu.
Moi : Ah ?
La charcutière : Oui. Là, c’est un peu la folie. Il faut calmer le jeu.
Moi : Ah.
La charcutière : Oui. Ne pas se laisser balayer par la vague.
Moi : Non.
La charcutière : Que ça ne monte pas à la tête, tout ça.
Moi : Non. Bien sûr.
La charcutière (comme en transe) : Et puis je vous le demande : après la médaille d’or, qu’est-ce qu’il y a ?
Moi : Ben…
La charcutière : Rien. Au delà, il n’y a rien.
Moi : Non ?
La charcutière : Plus rien. Et quand on est au sommet, on ne peux que redescendre. S’amoindrir.
Moi : …
La charcutière : Ce n’est pas d’être au sommet, qui compte. Ce qui compte, c’est de croître, de s’améliorer. Avoir la médaille d’or, ce serait le début de la décadence.
Moi : …
La charcutière : Et ça, on n’en veux pas.
Moi : …
La charcutière : Jamais.
Moi : …
La charcutière (comme s’éveillant d’un rêve agité) : Et donc, qu’est-ce qu’il vous fallait ?
Moi : Euh… ben, une tranche de jambon persillé, s’il vous plaît. Pas trop fine, si ça ne vous dérange pas, sans vouloir vous commander…
La charcutière : Mais certainement. Vous verrez, il est bon. Et avec ça ?
Moi : Euh ça ira merci.
La charcutière : Parce qu’on a un très bon boudin blanc, aussi. On a eu un prix au concours du meilleur boudin blanc.
Moi : Non. Bien vrai. merci, mais non.
Cette charcutière bourguignonne est un grand stratège. Elle connaît bien le précédent espagnol : l'or, c'est le début de la décadence ! Elle a retenu la leçon. C'est pas comme ces connards de chez Jouffre.
RépondreSupprimerPfff... chez Jouffre, c'est des nazes, de toutes façons.
RépondreSupprimerCela me rappelle un certaine pâtisserie au Puy...
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