dimanche 23 janvier 2011

La tête dans le carton à chapeau

Dans la nuit du 25 au 26 décembre, il flotte. L’eau submerge régulièrement ses lèvres décolorées mais n’entre pourtant jamais dans une bouche à demi ouverte, figée entre un sérieux de circonstance et l’idée, vague, du sourire. L’eau qui le porte débouche à vive allure des gorges de Villerest. La Loire est arrivée à Ratnapura et l’a emporté au passage. À partir de là, le fleuve ne rencontrera plus aucun obstacle – du moins minéral – jusqu’à l’océan. Les yeux grands ouverts au beau milieu d’un visage exsangue, il ira peut-être, comme il en est un jour au l’autre du cours des choses, se jeter dans l’Atlantique. Pour qui l’apercevrait, ce serait là un bien singulier baigneur, cahoté par le plus capricieux des cours d’eau du coin, le plus tumultueux des miroirs du ciel local. Sous la voûte, depuis le pont désert, votre serviteur le regarde s’éloigner, disparaître de temps en temps, de plus en plus, puis tout à fait. Et croyez-moi, il s’en trouve magnifiquement soulagé.

Mais revenons un peu en amont de cette histoire d’eau-là. Pas longtemps, non. Mais suffisamment tout de même pour qu’on ne sache plus qui avait prévenu, quelques jours plus tôt, Nallarasi-Hrundiette-la-reine-de-beauté de ce qu’on ne pouvait guère nommer autrement que « l’Accident ».

« Allo ? Madame Bakshi ? Madame Nallarasi – Hrundiette ? – Bakshi ? »

« Elle-même… Que… »

« Votre fils a eu un accident de la route, Madame Hrundiette… Heu… Madame Bakshi. »

« Oh, mon Dieu ! Hrundi ! »

« Oui, il s’agit bien de Hrundi, vous avez deviné. Mais pas d’inquiétude Madame Bakshi : votre cadet n’a rien. Il est en parfaite santé et il a beaucoup de chance si j’en juge par l’état de la voiture devant moi… »

« Où est-il ? »

Lorsque Hrundiette débarqua chez son grand fils Paridil – son aîné mais pourtant le cadet de ses soucis – le sentiment d’être envahis par un mal ancien, qui les ramenait tous, peu ou proue aux portes de leurs enfances respectives, saisit au ventre les invités que le maître de maison était en train de raccompagner. Les guiboles soudain cotonneuses, le cœur gros, il revint alors à l’esprit de chacun, qui le souvenir refoulé d’une terrible punition donnée pour un bonbon volé, qui les funestes reliques d’une humiliation publique devant des camarades d’école, qui encore l’image jaunie mais pour toujours présente d’une fin de repas où il lui fallut bien la meugler la chanson à la con, l’ânonner le poème de merde. À mille lieues de ces silencieux soliloques, c’est d’un regard que Nallarasi, qui était née pour embrasser la profession de mère plus que ses propres enfants, jaugea les forces en présence : un flic, sa pouf de femme emperlousée et deux lesbiennes à la ne mord-moi pas le nœud ! C’est à peine si elle les salua. À dire le vrai, elle les passa sous silence comme on passe un barrage de police : mâchoires serrées et regard pointé vers un horizon invisible. Déjà elle fondait sur Paridil.

« Où est-il ? Où est ton pauvre petit frère ? »

Lorsqu’elle apprit que le prophète, le fils prodigue, s’était trouvé en délicatesse avec les lois de la physique au volant de la voiture de son aîné, le sang maternel ne fit qu’un tour ! Les mots « fils indigne et irresponsable » furent prononcés à l’encontre de Paridil. Le camouflet était tout proche. Il s’en fallut d’ailleurs de peu qu’une gifle ne vint frapper la joue pourtant presque cinquantenaire de l’aîné des fils Bakshi. Une porte fut ensuite claquée. Des marches gravies quatre à quatre. Enfin, un long hululement se fit entendre qui glaça le sang de toute l’assistance déjà considérablement médusée par le bien furieux spectacle que venait de constituer le passage de la vieille trombe :

« Ooooh ! Le voilà, le pauvre chéri ! »

Chacun partit sans demander son reste, dans un silence que Paridil aurait aimé ne pas considérer comme gêné, pendant qu’à l’étage l’hystérie maternelle étendait son règne sombre et gluant sur votre serviteur. Ainsi fallut-il jouer le jeu de la commotion pour que la mère – toute de tentacules – ne se douta de rien. Les frères Bakshi tenaient la vedette pendant que leur mère tirait une gueule de guichet fermé. On discuta ferme entre mère et fils pour trouver un Modus Vivendi qui aurait permis de mieux vivre – et pourquoi pas ensemble – ce moment difficile. Mais on n’en trouva pas. Et la comédie de la famille alla bon train jusque tard dans la nuit.

Le lendemain Paridil évoqua pudiquement les forfanteries maternelles avec son ami Padaïthalaïvan lors d’une battue au sanglier.

« Pas l’air facile-facile ta mère ? » demanda ce dernier avec un sens consommé de l’entrée en matière.

« Hum… », répondit alors un Paridil tout d’esprit de synthèse.

Tous deux avaient les yeux ensommeillés et le teint pâle sous leurs fourniments respectifs de trappeur et de boucanier du dimanche. Malgré tout, Padaï – comme on l’appelait au banquet annuel des chasseurs de Ratnapura – sentit qu’il lui fallait changer de sujet dans le but de détendre un tantinet une atmosphère qui commençait à ressembler à une vieille corde effilochée au bout de laquelle pendait un piano à queue. C’est donc d’une voie aussi fluette et musicale que possible qu’il gazouilla sur le ton de l’anecdote :

« Au fait, j’ai revu ce gamin qui était venu porter plainte pour un portefeuille volé, tu te souviens ? » « Oui ? Je me souviens très bien… » – répondit Paridil plus que jamais étreint par l’angoisse.

« Bizarre ce môme. Le voilà qui débarque et me dit qu’il va porter plainte, qu’il connait le nom du type qui l’a agressé et que ça ne va pas se passer comme ça ! Et patati et patata ! Tu vois le genre ! Alors moi, je lui conseille de se calmer et je lui propose de s’asseoir pour qu’il soit plus à son aise pour me faire ses soi-disant révélations. Donc le voilà qui s’assoit. Et au moment où je lui demande d’en venir au fait, plus rien, plus un mot ! De grands yeux ronds, fixes en direction de mon bureau, voilà tout ! Et pendant deux, trois minutes, pas moyens de lui extorquer une parole. Alors je me lève et je m’approche, histoire de lui poser une paluche rassurante sur l’épaule, tu vois ? Du genre : « fiston tu peux tout me dire… » Mais là, au lieu de se confier, il s’empare de la photo souvenir de ma battue en Sologne, il la regarde puis me regarde moi, comme s’il faisait une sorte de comparaison… Sérieux, j’avais l’impression d’être une vache dans un des ces comices agricoles ! Et là, tout d’un coup, il se met à hurler qu’on est tous dans le coup ou quelque chose comme ça… J’étais abasourdi ! Puis il se barre comme une furie, ffuuiitt ! Incroyable ce gamin, non ? Complètement à la masse. Du coup, j’ai classé sa plainte… Pas de temps à perdre avec des zozos dans son genre, tu crois pas ? »

Si Paridil n’était pas tout à fait blanc comme neige dans cette histoire, on eut pu cependant aisément le confondre avec l’épais manteau blanc qui recouvrait les alentours de Ratnapura ce matin-là tant il faisait pâle figure. Il réunit ses forces pour se concentrer sur une image de chasse-neige et prendre ainsi un air dégagé. Alors il demanda :

« Cette photo sur ton bureau, c’est bien celle où nous posons tous les deux avec ce cerf dont nous n’avons jamais bien su qui de toi où de moi l’avait… tué ? »

« Arrête avec ça, Pari ! Tu sais très bien que c’est moi qui ai tiré le premier ce jour-là : tu ne vas pas remettre cette vieille histoire sur le tapis, quand même ? Enfin c’est bien de cette photo qu’il s’agit : celle du premier cerf qu’on a vidé sur place avec ton couteau neuf ! »

« Oui, celle où les entrailles de la bête se déversent sur la neige… Tu gardes cette photo sur ton bureau ? », questionna Paridil.

« Ben oui. On est souriants comme tout sur cette photo. Et puis, tout ce rouge sur cette neige blanche, c’est superbe, non ? »

Que dire de tous ces évènements à priori sans lien les uns avec les autres ? Peut-être que notre rapport à la réalité s’apparente le plus souvent à celui qu’entretiennent avec le goudron les skateurs lorsqu’ils exécutent non sans une certaine adresse ces figures qu’ils qualifient eux-mêmes de « free style ». Oh, bien sûr, la réalité, nous y sommes. Nous pourrions même la décrire. Certains d’entre nous s’y risquent volontiers et non sans réussite parfois. Pourtant qu’en savons-nous jamais ? De cet amour fou que dit éprouver Paridil-l’homme-sans-vice pour Mâdharasi-la-reine-des-femmes ou de cet amour dingue qui lie à jamais Nallarasi-Hrundiette à son plus jeune fils Hrundi, que pouvons-nous savoir en définitive ? Votre serviteur relate ici quelques uns des faits passablement anecdotiques qui ne sont jamais que les plus lointaines conséquences de phénomènes qui lui échappent en réalité. L’apparence des choses ne nous fait pas vraiment sentir ce qui la fait être ce qu’elle est… Qu’est-ce que la réalité, alors ? Une énigme refermée sur elle-même, comme étrangère à nos désirs et qui jamais – bien qu’un malentendu soit toujours envisageable – ne correspond à rien de ce que nous nous accordons le droit d’attendre ! La réalité passe tout notre temps à bafouer nos droits les plus élémentaires. Cette loi figure en tête de sa constitution. Dès lors, pas de rapport intime, personnel avec ce qui nous entoure. Pas le moindre, inutile de chercher. Croyez-moi, notre vie se poursuit dans les marges de la réalité. C’est un fait patent que voilà. Il se remarque simplement davantage chez les amoureux transis, les mères folles ou les paranoïaques, rien de plus.

« Oh, ma petite Jayalama… Tu es un peu la fille que je n’ai jamais eue, tu sais. » – annonce à grands coups de trémolos la voix de Nallarasi-Hrundiette à la jeune femme qui ne cherchait pourtant qu’à l’aider dans ses derniers préparatifs culinaires et qui, à présent, écarquille dans sa direction des yeux interloqués.

« Ecoutez, Hrundiette… Vous permettez que je vous appelle Hrundiette ? » – bredouille alors timidement la fille prodigue avant que de ne prendre de nouveau un bon coup de chevrotement lorsque la mère, l’interrompant, frappe de nouveau :

« Mais bon, c’est vrai : je n’ai jamais voulu de fille. Jamais. »

Noël est ce passionnant moment de l’année où se fêtent à grand renfort d’agapes les noces ratées de l’être et de la réalité. En effet, si nous tenons pour acquis que cette dernière n’est pour nous guère plus qu’un décor indifférent à ce qui nous occupe, alors les fêtes de fin d’année offrent à qui veut bien la voir une image stupéfiante d’honnêteté de cet état de fait. Outre l’aspect outrageusement factice dans lequel il nous faut bien évoluer durant tout un mois au risque d’être la honte ou la risée de tous ces réveillons où nous nous présenterions sans présents, Noël trahit volontiers en bout de course nos délires sur nous-mêmes ainsi que sur les autres : les cadeaux sont faits pour cela. Prenons l’exemple de la famille Bakshi, qui, deux jours après « le terrible accident » ayant lâchement frappé l’un de ses membres les plus éminents, s’apprête à fêter conjointement la naissance du petit Jésus et la survie du petit Hrundi. Cette famille a été réduite à une peau de chagrin par les multiples revers que lui ont imposés un destin facétieux et de fortes prédispositions à goûter le malheur comme il en serait d’un grand cru. Ne restent donc au pied de l’arbre à bouses, brillant de mille feux au milieu du salon de Paridil, que les deux frères Bakshi, leur mère et la jeune Jayalama dite petite guirlande, pièce rapportée du diable vauvert par votre serviteur et venue naïvement constater loin de son Nord natal à quel point la famille est une entité dont le but n’est visiblement pas le bonheur de ses membres dans le Sud non plus. Ce petit monde est prêt à s’enthousiasmer autour de la farandole de breloques qu’il s’apprête à s’offrir en tentant de ne jamais s’avouer que tout cela n’est qu’extériorité factice qui jamais ne se relie avec une quelconque intensité à notre intériorité. Ainsi traversons-nous l’épreuve. Ainsi éprouvons-nous tout ce qui nous entoure sans charme ni signification. Si l’intensité perdue se cherche parfois dans la querelle – toute famille qui se respecte est faite de ce genre de tensions – ou dans ce que tout un chacun se résout à appeler « amour » faute de mieux, il n’est pas question ce soir d’en arriver à de telles extrémités. La folle farandole des cadeaux doit se déployer dans un semblant de sérénité pour être validée par les uns comme par les autres.

Notons avant d’engager le lecteur aventureux sur le chemin glorieux de l’énumération festive que Jayalama et Hrundi ont pris soin de s’offrir leurs cadeaux mutuels la veille au soir dans le but de respecter la neutralité émotionnelle de rigueur en de pareilles circonstances.

Cadeau de Hrundi et Jayalama à Paridil : un roman mettant en scène une femme persécutée par un amoureux poisseux qui ne supporte pas l’idée d’être rejeté par celle sur qui il a jeté un dévolu sans limite. Titre : « J’ai aimé la reine des femmes ». À la fin, il meurt dans des circonstances tragiques.

Cadeau de Paridil à Hrundi et à Jayalama : ce qui répond à l’appellation d’origine aussi douteuse que peu contrôlée de « Beau livre ». L’ouvrage s’intitule « Les 100 catastrophes naturelles les plus marquantes de l’histoire de l’humanité » et est richement illustré. Votre serviteur se questionne encore sur les raisons de ce présent et constate avec étonnement qu’il n’y est étrangement jamais fait allusion à aucun membre de sa famille.

Cadeau particulier de Paridil à Jayalama : "Elles ont conquis le monde : les grandes aventurières de 1850 à nos jours". Il s'agit à nouveau, on le devinera sans peine, d'un de ces beaux livres contenant plus de deux kilos de photos recadrées et de textes approximatifs. L'ouvrage recense par ailleurs les fameuses aventurières - "des femmes libres sous l'armure desquelles vibraient des émotions violentes" - à partir de l'année 1592, ce qui rend son titre difficilement compréhensible. "Quels rapports entre Karen Blixen et Catalina de Erauso, la nonne soldat guerroyant en Espagne au temps du siècle d'or?" fait mine de demander la quatrième de couverture d'un ouvrage qui n'apportera évidemment aucune réponse à cette question. Quel rapport entre cette ouvrage aux consonances féministes fumeuses et Jayamala à laquelle il se destine ? L'auteur de ces lignes hésite. L'ouvrage sur les bras, cernée par la famille Bakshi, la charmante troque un sourire d'apparat que la terre entière aurait pu lui envier jusqu'ici contre les traits austères de l'exploratrice Evelyn Cheesman encerclée par les Papous de Nouvelle Guinée et par les membres de la tribu Bakshi massés autour de la terrifiante double page 141 et 142. Mais déjà la dure loi de l'offre et de la non demande reprend ses droits.

Cadeau de Hrundi et Jayalama à Hrundiette : trois courts essais formant une scandaleuse trilogie aux titres sans équivoque : « Jésus, un type comme les autres », « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Ou la question du Prophète au monde moderne » et « Seul le Messie peut nier qu’il est le Messie ! – les origines d’un tragique malentendu ».

Cadeau de Hrundiette à Hrundi et Jayalama : un dvd sobrement intitulé « Devenir Miss France », ainsi qu’un chèque d’une somme rondelette fiévreusement libellé à l’ordre du fils préféré.

Cadeau de Paridil à Hrundiette sa mère : au beau milieu d’un vaste carton circulaire, un ridicule modèle de chapeau de paille tressée à la va-vite pour fillette d’une époque indéterminée, rose fuchsia de surcroît, dont la taille minuscule apparente soudain la mère des frères Bakshi à un vieux clown ayant depuis longtemps perdu les faveurs de son public. Hrundiette semble ravie du saugrenu couvre-chef et décide qu’elle le portera avec toute la satisfaction qui s’impose.

Cadeau de Hrundiette à Paridil : une tête. La reproduction grandeur nature et extrêmement détaillée d’une tête d’indien avec peintures d’apparat et coiffe possiblement traditionnelle. Tous les détails du visage sont merveilleusement rendus. Par ailleurs, l’envers de l’étonnant présent étant plat et muni d’un solide crochet métallique, il semble qu’il s’agisse-là d’une sorte de bibelot dont la vocation décorative ne fait pas longtemps mystère une fois le choc de l’abominable apparition passé.

On ne peut que le constater, après que nos doigts avides se soient joués des emballages chamarrés, nous n’avons généralement pas à mimer une quelconque surprise de rigueur. En effet, c’est une véritable avalanche de signes qui déferle et nous emporte, stupéfaits, sur son passage. Pire ! C’est un tsunami de possibles qui assimile le pied du sapin à celui du mur pour qui succomberait à la redoutable tentation de s’adonner dès lors à l’activité herméneutique. Or votre serviteur, son dvd « Devenir Miss France » entre les mains, renonce à toute tentative d’interprétation…

Nous voyageons dans un train, voilà presque tout ce qu’on peut dire. Assis dans notre compartiment, nous lisons un roman de gare en attendant de descendre. Notre esprit est ailleurs. La réalité n’a pas plus d’intérêt ni de sens que ce paysage qui défile au-dehors. Nous n’attendons rien de ce paysage. La fiction que déploie l’ouvrage que nous déchiffrons goulûment à sur nous bien plus d’impact. Comment dès lors avoir une relation avec ce dont on n’attend rien ? Car tout de même c’est bien de notre attente que les choses reçoivent le sens qu’elles ont pour nous, non ?

Je me suis levé cette nuit-là. Je me suis habillé sans bruit. J’ai descendu l’escalier. Je suis resté un moment devant la tête d’indien accrochée au mur du salon entre celle d’un chevreuil et deux paires de pattes susceptibles de lui avoir appartenu mais qui pour l’heure faisaient office de porte-manteau. Puis, doucement, je me suis emparé du moulage richement décoré. Les mots « Black cloud » étaient gravés sur une plaque fixée à l’applique de bois dont semblait émerger la tête. J’ai alors placé cette dernière dans le carton à chapeau et je suis sorti. J’ai d’abord marché dans la neige sans préméditation d’aucune sorte. Pour le simple plaisir du crissement. Mais aux abords de la Loire, comme je m’approchais du port de plaisance de Ratnapura, l’idée de rendre à la nature quelque chose ne lui ayant jamais appartenu me traversa l’esprit. Je lançais alors l’impossible objet dans les airs, le plus loin de moi qu’il me fût permis. Modicité du projet. Bénéfice incontestable et dûment retiré. Je ne pus que louer quelques instants durant l’intense bien-être que mon simple geste m’avait procuré.

« Disparue ! Une tête toute neuve ! Impossible de remettre la main dessus au matin… Je n’y comprends rien », tentait d’expliquer un Paridil un rien hébété à une Mâdharasi tout aussi interloquée par sa propre énigme :

« Le petit Miran débarque chez nous et nous dit qu’il voit clair dans notre jeu, qu’on est tous de mèche, qu’il le sait bien et que ça n’est pas la peine de lui raconter le contraire ou de faire des manières avec lui, qu’il ne veut plus entendre parler de nous, tous autant que nous sommes… Incroyable, non ? »

« Incroyable… et incompréhensible ! Comment une tête peut-elle disparaître comme ça ? Elle n’est quand même pas partie toute seule ! », marmonnait en retour Paridil.

« Allez, viens, je t’offre un café », proposa alors Mâdharasi en songeant à la luxueuse édition de « L’Afrique au crépuscule » offerte à Noël par son Pritish de mari et oubliée sur la banquette arrière de sa voiture.

« D’accord pour un café », opina posément un Paridil hurlant « Sois mienne ! » en son for intérieur, son fort d’homme sans vice assiégé par le désir insatiable que déclenchait encore et toujours en lui la reine des femmes…

La réalité ? Qu’en espérer ? Qu’en craindre ? Voilà ce qui caractérise la signification que les choses prennent pour nous. Rien de plus. Voilà tout.

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