mercredi 25 septembre 2013

Province, je te hais !

Chers amis parisiens,

Je m’empresse de vous rassurer : je vais bien. Mon séjour en Province se déroule beaucoup mieux que je ne le craignais : les provinciaux ne sont pas ces barbares sales et incultes que l’on imagine à Paris. D’ailleurs, croyez-le si vous voulez, l’eau et l’électricité sont courantes dans la plupart des maisons provinciales. Certains ont même accès à internet ! Pour autant, les provinciaux ne sont pas comme nous et en conséquence, mon séjour en Province est bel et bien cette expérience de l’exotisme que j’espérais lorsque j’ai franchi avec courage et détermination le périphérique il y a quelques mois.


Le voyageur arrivant en Province est tout d’abord frappé par le fait que tout y est gros. Les gens, en particulier, sont gros, en Province. Gros et rougeauds. Et ça m’arrange, en réalité. Ce n’est pas que je sois gros, non, mais enfin, je ne suis pas maigre. Et je m’étais aperçu avec agacement par exemple qu’en réalité, à Paris, je ne peux pas vraiment acheter de vêtements. Des pantalons, par exemple. En plein cœur de Paris, au Forum des Halles, la plus grande taille de pantalon que proposent les boutiques m’aurait convenu quand j’avais 11 ans. Ces magasins ne vendent des vêtements que pour des hommes de 50 Kg. Il faut se rendre à l’évidence : je ne suis pas à ma place au Forum des Halles. En revanche, en Province, puisque les gens sont gros, je trouve des vêtements à ma taille dans les magasins.

D’ailleurs, les magasins aussi sont gros, en Province. J’avais une course à faire, l’autre jour, et l’on m’avait dit qu’il y avait un Simply Market à proximité. Au vu de ce nom, d’ailleurs grotesque, je m’attendais à une supérette de trois mètres sur trois, comme il est de règle à Paris. Mais non : je me suis retrouvé dans une espèce de méga-hypermarché de 10 hectares dans lequel il faut 15 minutes de marche pour atteindre le rayon que l’on cherche. Une expérience très exotique pour un Parisien. Mais l’accès aux magasins n’est pas simple, en Province. Il faut se battre comme un lion pour fourrer son argent dans les mains des commerçants, car les horaires d’ouverture font se demander au parisien si les habitants de nos belles régions ne seraient pas par hasard des putains de feignasses : les bureaux de postes sont ouverts un après-midi par semaine entre 15h et 15h30 ; les magasins ouvrent à 10h30 et ferment entre 11h30 et 15h pour leur permettre de manger tout à leur aise… il est vrai que la nourriture est un des rares avantages de la Province.

Les portions, elles aussi, sont grosses, en Province. Cela doit être d’ailleurs pour ça que les gens sont gros. Mais c’est plaisant. Paris, comme vous le savez, est désormais tombé aux mains de gonzesses anorexiques nutritionnistes. La taille des portions que servent les restaurateurs parisiens leur vaudraient, s’ils les servaient en Auvergne par exemple, d’être cloués à la porte d’une grange. En Province, les portions sont de taille que j’estime normale, c’est-à-dire suffisantes pour nourrir un homme adulte de taille normale. Prenons l’exemple de cette sympathique institution que j’ai eu l’occasion de visiter dans certaines de nos provinces : la camionnette à frites. La dernière que j’ai honoré de ma clientèle était agréablement située sur le parking d’un supermarché. Elle proposait à la convoitise du chaland sa spécialité : l’américain double steak mayonnaise frite. Outre sa grosseur, le provincial se caractérise par son honnêteté et sa simplicité. L’américain double steak mayonnaise frite se compose ainsi exclusivement des ingrédients annoncés dans son intitulé : pain, viande, mayonnaise, frites. Ce qui en lui étonnera d’abord le Parisien, est, bien entendu, sa taille : il a la longueur d’une baguette et doit peser 1 Kg. Mais ce qui achèvera de fasciner est que le steak haché est non pas grillé, mais frit dans l’huile de cuisson des frites. On peut dire ce qu’on veut des provinciaux : ils savent vivre.


Mais ce savoir-vivre est parfois battu en brèche, notamment par un fléau qui ravage nos régions : le marketing. Les provinciaux sont aussi dépourvus de défenses contre le  marketing que des lapereaux contre un char d’assaut. Ainsi, en Province, en dépit de la réelle vitalité des traditions culinaires et viticoles, les gens sont capables de s’enticher du plus grotesque produit que l’industrie agroalimentaire pourrait vouloir leur vendre. Le dernier en date est le rosé pamplemousse. C’est une véritable lèpre : où que j’aille, on ne boit plus que du rosé pamplemousse. Quand je dis aux gens que je n’en veux pas, car je trouve ça répugnant, ils sont d’accord avec moi. « Ah oui, alors, c’est vraiment dégueulasse ». Pas une personne pour me dire qu’elle trouve ça bon. Pas une. Mais quand je leur demande pourquoi diable alors ils en achètent, leur œil devient vitreux, leur mâchoire inférieure se met à béer et ils marmonnent quelque chose d’incompréhensible à base de « Boaf bon, ouais boh… ça se fait, maintenant… chais pas… promo à Auchan… vu à la télé… ça ou autre chose, de toute façon… » Possédés, qu’ils sont, par le marketing, je vous dis : possédés !


C’est que le provincial est une âme simple, un être courtois, jovial, même. On est frappé par sa politesse. Aux passages piétons, le provincial s’arrête pour vous laisser traverser ! Oui, vous avez bien lu, amis parisiens : il s’arrête ! Et j’ai même vu plus fort : un automobiliste provincial qui ne m’avait vu qu’au dernier moment n’avait pas eu le temps de s’arrêter pour me laisser traverser. Il m’a donc fait un signe de la main pour s’excuser de ne pas m’avoir laissé passer. Alors là, je veux bien que les provinciaux soient polis, mais pour tout dire, à un tel niveau, la politesse, c’est inquiétant. Suspect, même. Et en vérité, en tant que Parisien, nous aurions tort de laisser endormir notre vigilance par ces salamalecs. Amis de Paris, n’oubliez pas cela si d’aventure, à Dieu ne plaise, vous franchissiez le périphérique : ces gens vous haïssent. Le provincial voue au Parisien une haine farouche et fanatique !

Cette haine prend sa source dans l’aigreur éprouvée par le provincial dès qu’il est question d’une manière ou d’une autre de Paris. Naturellement meurtri dans son patriotisme local par la médiocrité de sa ville par rapport à la capitale, le provincial peut devenir très agressif. Les conversations sur ce sujet se déroulent de la manière suivante. En apprenant que vous êtes parisien, le provincial vous somme d’abord de vous justifier : habitez-vous à Paris par contrainte (professionnelle ou autre) ou par choix. Si vous dites « par contrainte », il vous assurera aussitôt de toute sa compassion et vous pourrez discuter avec lui à loisir du bonheur que l’on éprouve à vivre à Vierzon ou à Roubaix. Si en revanche vous dites « par choix », le provincial dans 100 % des cas prononcera mot pour mot la phrase suivante « Ah, Paris, c’est bien pour y passer une semaine, mais je ne pourrais pas y habiter » (je vous le jure, faites le test, c’est amusant : 100 % des cas, garanti). Ayant ainsi asséné ce qu’il croit être une opinion personnelle, il commence généralement à s’échauffer et à déployer des arguments aussi multiples que contradictoires pour tenter de défendre sa ville : le riverain de la raffinerie de Feyzin ou du terminal méthanier du port de Dunkerque vous expliquera que Paris est pollué, l’habitant de Roanne vous dira que la saison culturelle de sa ville vaut presque celle de Paris, le Lyonnais signalera fièrement que le système de bicyclettes en libre service de sa ville a été mis en place plusieurs mois avant celui de Paris… Les plus mauvais en viendront même à vous insulter en arguant de l’agressivité des Parisiens.

Autrement dit, je m’en rend compte, le Parisien gagne à être prudent lorsqu’il discute avec un provincial. D’ailleurs, disons-le, l’art de la conversation n’est pas très cultivé en Province. Pour ce que j’ai pu en voir pour l’instant, il semblerait qu’il n’y ait que deux types de conversations entre provinciaux : celles qui commencent par la phrase « j’ai vu un reportage à la télé, y’a une étude américaine qui dit que… » (le provincial est en effet contraint par l’ennui à beaucoup regarder la télévision) ou celles qui concernent le brame du cerf, quand c’est la saison (le provincial est en effet volontiers chasseur, ce qui contribue à son charme désuet). Hors saison du brame, en Province, on ne parle que de la télé.


La chasse et la télévision ont une grande importance en Province du fait de l’absence de vie culturelle et intellectuelle. Il y a bien quelques grands événements culturels provinciaux très médiatisés, tels que le Festival d’Avignon ou La Folle journée de Nantes, mais ce sont finalement des manifestations assez pénibles. Tout d’abord, les places y sont hors de prix : le provincial n’allant quasiment jamais au concert ou au théâtre, il est prêt à débourser des sommes importantes quand cela lui arrive. Ensuite, l’ambiance y est particulière.


Lors de ma récente visite dans un festival de musique classique provincial, j’ai pu constater que le problème principal était le niveau général d’inculture artistique. Rencontrer à Paris quelqu’un de cultivé est chose fréquente. Normale, même. En Province, c’est un événement d’une extrême rareté. Lorsque vous rencontrez un de ces rares provinciaux cultivés, ils n’arrivent généralement pas tout de suite à croire qu’ils sont en présence d’un de leurs semblables (« Quoi ? Vous connaissez Chostakovitch ? Vraiment ? Mais, Dimitri Chostakovitch, le compositeur ? Sans rire ? Mais c’est dingue !»). Quant aux autres, ils se rendent au concert essentiellement comme à un événement social et pour tousser bruyamment entre les mouvements des morceaux (quand ils n’applaudissent pas entre les mouvements pour les plus primitifs). Au concert, pour le provincial, aucun plaisir n’égale celui de reconnaître la musique d’une publicité télévisée. Quand cela se produit, et les programmateurs des concerts en Province s’emploient à ce que cela se produise, le provincial ressent le besoin de le faire savoir à ses voisins : il tape des mains, claque des doigts, fredonne voire sifflote la mélodie. C’est très fatiguant d’aller au concert en Province. Le côté enfantin du provincial agace vite. Il raffole par exemple des musiciens classiques qui bougent beaucoup et font des grimaces en jouant, tels que Maxim Vengerov ou Patricia Kopatchinskaja : cela le divertit pendant le concert et il en déduit que l’interprète « vit vraiment sa musique » (le provincial ne rechigne pas devant l’emploi de lieux communs quand il s’agit de parler d’art). Et en même temps, cela le conforte dans son idée que finalement, artiste, c’est pas très sérieux comme métier quand on y pense. C’est des saltimbanques, au fond, ces gens-là. Non, ce qui est, en réalité, le gage suprême de sérieux d’un événement artistique pour un provincial, c’est la présence de la télévision. S’il y a la télé, c’est que c’est important. Et en plus, peut être qu’on pourra se voir à la télé ! Le provinciaux qui sont, pour une raison ou pour une autre, passé à la télé jouissent en effet dans leur village d’un prestige certain pendant de nombreuses années. Les gens de la télévision ont d’ailleurs bien conscience d’être vu dans nos régions comme des messagers divins et se comportent en conséquence comme des porcs. Il est curieux de voir que lors d’un concert, pour lequel j’avais payé, ainsi que mes voisins, ma place fort cher, il était normal que la caméra, au bout de son bras articulé, passe sans arrêt devant nous et nous empêche finalement de voir le concert. Personne n’a râlé : voir que le concert était filmé était plus important que voir le concert.


Mais le rapport à l’art, pour le provincial, se réduit la plupart du temps à aller au cinéma, faute d’autre chose. Il préfère généralement le cinéma français, notamment les comédies telle que Bienvenue chez les ch’tis ou la série des Astérix. Elles permettent d’ailleurs de retrouver sur grand écran les comiques que l’on voit à la télé, ce qui est très apprécié en région. Mais le plus grand film de tous les temps est toutefois, pour le provincial, Intouchables, parce que c’est un film qui dénonce. Le cinéma étranger, il n’aime pas trop ça. Il le regarde d’ailleurs en version française, car les sous-titres, c’est trop compliqué : « moi, je ne peux pas lire et regarder en même temps » explique-t-il finement. On n’aime pas trop ce qu’on ne connaît pas, en Province.

Pourtant, la Province est parfois aussi exotique que la plus impénétrable des forêts subtropicales. Ainsi un jour, à la machine à café, où l’on se retrouve pour boire tels les grands fauves autour d’un point d’eau dans la savane, un collègue m’a dit « Tu savais qu’on a retrouvé Carlos ? ». J’ai rétorqué « Le chanteur ou le terroriste ? ». « Le bouledogue », m’a-t-il répondu. J’ai donc appris que tout le département était en émoi du fait de la disparition de Carlos, bouledogue français appartenant à un habitant d’un village proche. Sans que j’en sache rien, le journal local s’était fait l’écho de cette disparition pendant des semaines jusqu’à ce qu’un pêcheur retrouve le cadavre dont l’examen a révélé qu’il avait été dévoré par un silure, sorte de poisson de rivière géant dont j’ignorais l’existence jusque-là. C’est dans ces moments-là que le Parisien se demande s’il est bien raisonnable de vivre dans une région où des poissons géants peuvent happer des bouledogues sur le bord des rivières. C’est aussi le moment où le Parisien prend conscience de l’ahurissante médiocrité de la presse de Province.

 


 En un mot, chers amis parisiens, je vais bien. Mon séjour en Province se déroule beaucoup mieux que je n le craignais. On rigole bien, là-bas. Mais quand même, putain, vivement que je revienne à Paris !

6 commentaires:

  1. Affligeant.

    Si l'on a affaire à du mauvais second degré, il est abject, grotesque et creux. C'est pire encore si " l'auteur " se veut sérieux. C'est terrifiant de s'écouter parler, ou de se lire écrire à ce point en ayant si peu de talent pour le récit. Je ne remercie pas l'ami qui m'aura orienté vers votre infâme et ennuyeux territoire.

    Si la Province est à éviter, votre antre n'est qu'un insignifiant monticule de frustration névrosée, tenant sans doute à vore culture et instruction d'un niveau assurément formidable, comme vous aimez à le préciser - et avez besoin de le présenter, en Grand Incompris manifestement sevré, Dieu merci, de reconnaissance.

    Très bonne continuation à vous !

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  2. Cher(e) Numa,

    Merci de l'intérêt que vous portez à mon blog et de la peine que vous avez pris de venir ainsi donner un exemple de la balourdise et de l'agressivité des provinciaux que j'évoquais dans mon texte.

    Bien cordialement.

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  3. numa vous avez parfaitement cerné le loulou hélas. pardonnez ses névroses il n'est dans le fonds pas méchant. frères, humains qui après ernesto vivrez, n'ayez contre lui les coeurs endurcis...

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  4. N'y aurait-il pas, parmi les deux auteurs de cet étrange blog, un certain G.B. ? Ceci dit gratuitement, juste pour savoir, tant il me semble y reconnaître quelques traits de sa personnalité, ainsi qu'un titre dont il est l'auteur, du moins l'ai toujours cru jusqu'ici.
    Nico

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  5. Bonjour messieurs.
    Voici bien des mois que je ne m'étais penché sur le destin erratique et néanmoins sans conséquence de ce blog dont je suis l'heureux colocataire.
    Que de surprises là où il ne se passe d'ordinaire pas grand chose. Toute chose égales par ailleurs.
    Mon cher Numa, au vu de votre réaction, peut-être un brin exagérée puisque mon très bon ami Palsacapa n'a tout de même pas obtenu le Goncourt avec les quelques lignes (extrêmement drôles par ailleurs, Palsacapa j'aime beaucoup ce que vous faîtes par ici) qui ont eu l'heur de déclencher votre ire, je ne saurai trop vous recommander de reconsidérer les affections qui vous lie à la personne - pourtant de goût - qui vous a conseillé en matière de lectures numériques.
    Quant à toi, mon éternelle Baleine si peu anonyme, contrairement à notre nouvel ami : tu vois juste! Je suis celui que tu crois. Et cette correspondance inopinée me permets de te présenter mes hommages. La bise donc. La vraie!
    Bon continuation à tous.

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  6. Il me semble plutôt bien troussé, ce pastiche de la « conjuration des imbéciles » et en effet, on retrouve bien les qualités – ou névroses- pétulantes de notre bienaimé Ignatius : (parfaitement) « abject », (particulièrement) « grotesque » et (totalement) « creux » : on pourrait résumé : écrit en « fat majeur», avec un je-ne-sais-quoi de Goscinny dans ce texte : lâcher un silure dans le Mississippi, ce n’était pas forcément plus aisé que de marier Ignatius à Bécassine.
    J’aurai tendance à en redemander : venant de province, j’aime les portions conséquentes.

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